La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La réforme attendue du mécanisme de régulation des prix de l’électricité nucléaire en France a fait un pas en avant.
Le gouvernement a exposé son projet le 17 janvier dans une consultation et laisse deux mois aux parties prenantes pour répondre. La tâche est difficile puisqu’il y a deux objectifs a priori contradictoires à atteindre. Il faut en effet à la fois empêcher les factures d’électricité des français de s’envoler et en même temps sécuriser la capacité d’EDF à investir dans l’outil de production nucléaire.
La structure du mécanisme actuel, l’ARENH, devrait être modifiée en profondeur. Le volume d’électricité concerné serait considérablement augmenté en s’étendant à quasiment toute la production nucléaire d’EDF et le prix de vente serait encadré par deux valeurs fixées à l’avance par les pouvoirs publics. Ces valeurs ne sont pas encore connues.
La France possède un parc de centrales nucléaires capable de produire une part conséquente de l’électricité dont elle a besoin puisque, même si la loi prévoit de limiter la part du nucléaire dans la production électrique à 50 % à partir de 2035, elle était encore de 71 % en 2019[i]. La construction des centrales étant désormais financièrement amortie et leur coût marginal de production étant plus faible que celui des centrales thermiques, c’est une électricité nucléaire abondante et compétitive dont nous disposons. Sachant que les prix de marché, qui suivent la logique du merit order, sont très dépendants des prix des matières premières fossiles eux-mêmes très volatiles, le parc nucléaire français est perçu comme un « avantage compétitif »[ii] par le gouvernement.
Les variations des prix du marché de gros se répercutent dans les factures des consommateurs dont le coût d’approvisionnement représente près du tiers du montant TTC[iii]. L’optimisation de ce coût, avec celui de la marge commerciale, est donc un vrai levier de compétitivité. Et cela est d’autant plus vrai que le reste de la facture est constitué des taxes et du coût de l’acheminement sur lesquels aucune différenciation économique n’est possible pour les fournisseurs.
Le mécanisme ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique) a été mis en place en 2011 afin de faire bénéficier aux consommateurs français de la compétitivité du parc nucléaire. Ce mécanisme prévoit qu’EDF cède chaque année aux fournisseurs alternatifs un volume de 100 TWh au maximum à un prix fixe, c’est-à-dire indépendant des prix de marché, de 42 €/MWh. Les volumes cédés in fine par EDF dépendent des demandes faites par les fournisseurs alternatifs. Il y a donc de gros enjeux pour les fournisseurs, pour EDF et pour les consommateurs autour des règles de partage du bénéfice du nucléaire. D’autant que le mécanisme actuel est contesté.
D’un côté, les fournisseurs alternatifs aimeraient bien pouvoir profiter de davantage d’électricité à prix garanti pour pouvoir vendre des offres d’électricité à un prix plus compétitif et attirer des clients lorsque les prix de marché sont élevés. Or, c’est le phénomène inverse qui se passe. En effet, les parts de marché des fournisseurs alternatifs n’ayant cessé de croître depuis l’instauration du mécanisme, le plafond de 100 TWh a fini par être atteint en 2019. Ainsi, cette année-là puis à nouveau en 2020, les fournisseurs alternatifs ont reçu moins d’ARENH par client que ce qu’ils avaient demandé. Ils ont dû compenser en achetant de l’électricité sur le marché, à un prix plus élevé.
Pour les consommateurs, cela s’est traduit par une hausse des factures, que ce soit pour les clients des offres de marché ou pour les clients du TRV, pour lesquels le mécanisme ARENH est répliqué pour des raisons d’équité commerciale entre fournisseurs alternatifs et historiques. Cela avait d’ailleurs forcé la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) à annoncer une hausse du TRV de + 5,9 % TTC en février 2019[iv] dont un peu moins de la moitié (3,3 €/MWh HT) était due cet effet. Les associations regroupant les fournisseurs alternatifs jugeaient dans un communiqué commun en septembre 2018[v] que « […] le plafond de l’ARENH, fixé actuellement à 100 TWh, est insuffisant pour répondre aux besoins de tous les consommateurs ayant fait le choix d’un autre fournisseur d’électricité qu’EDF ou ses filiales, alors que les prix de l’électricité sur le marché de gros sont bien supérieurs à celui de l’ARENH. »
De l’autre côté, EDF estime que le prix du nucléaire est sous-évalué aujourd’hui et pénalise sa capacité d’investissement. Ce dont il a grand besoin pour prolonger la durée de vie des centrales nucléaires (à travers le programme du Grand carénage, estimé par le PDG d’EDF à 4 Md€/an[vi]) et construire d’éventuels nouveaux EPR (selon la feuille de route que décidera le gouvernement), alors même que le groupe est fortement endetté à hauteur de 41 Md€ en 2019[vii].
C’est pourquoi Jean-Bernard Levy, le PDG d’EDF appelle à une « réforme structurelle de la régulation du nucléaire »[viii] pour qu’EDF soit « protégé dans les périodes de prix trop bas, de manière à ce que la rémunération du parc nucléaire existant soit juste. ». Il fait notamment référence aux années 2015 et 2016 quand les fournisseurs alternatifs n’avaient pas ou quasiment pas demandé d’ARENH mais avaient préféré s’approvisionner sur le marché où les prix étaient descendus sous le prix de l’ARENH.
Ainsi, outre le niveau de prix, « qui n'a pas été révisé depuis presque dix ans », EDF dénonce une régulation « asymétrique et injuste » qui l’oblige à céder de l’électricité nucléaire peu chère lorsque les prix du marché sont élevés, mais qui ne le protège pas lorsque les prix sont bas et que les fournisseurs alternatifs préfèrent passer par le marché.
Une des principales mesures porte sur l’augmentation de la quantité d’énergie allouée au dispositif. De 100 TWh/an au maximum actuellement, elle « couvrirait la totalité des centrales du parc nucléaire français existant, y compris Flamanville 3 » d’après le document de consultation mis en ligne par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Ce qui, vu d’aujourd’hui, représenterait près de quatre fois plus d’électricité nucléaire[ix]. La quantité d’électricité nucléaire produite devant baisser d’ici 2035[x], cela pourrait, finalement représenter entre deux et trois fois plus d’électricité nucléaire qu’aujourd’hui.
La généralisation de la régulation à toute la production nucléaire, activité pourtant a priori de nature concurrentielle, serait permise car l’activité deviendrait un « service d’intérêt économique général ». Ce qui se justifie selon le gouvernement car « les objectifs d’intérêt général poursuivis par la régulation ne peuvent être remplis spontanément par le seul marché ». La réforme de la régulation qui permet de rémunérer cette activité est un prérequis à cette transformation selon EDF, comme son PDG l’expliquait au sénat en novembre dernier : « sans réforme préalable de l’ARENH, nous ne pouvons justifier d’aucune évolution de l’organisation d’EDF ». Le document de consultation précise que l’entité Commerce d’EDF serait de son côté placée sur un pied d’égalité avec ses concurrents du point de vue de l’approvisionnement, puisqu’elle ne bénéficierait plus d’un accès privilégié à l’électricité nucléaire mais devrait acheter son électricité nucléaire sur les marchés.
Une autre mesure forte du dispositif est l’évolution du prix du nucléaire et des modalités d’accès au mécanisme. Alors qu’aujourd’hui le prix de l’ARENH est fixe, connu à l’avance et inchangé depuis 2012, le prix final avec le nouveau mécanisme serait égal à la moyenne pondérée des prix des échanges, et donc ne serait connu qu’au début de la période de livraison.
Dans les faits, les ventes du produit nucléaire se feraient à travers le marché organisé et donc à prix de marché. Toutefois, pour maîtriser la volatilité du marché, le projet prévoit pour le prix final une limite haute et une limite basse appelées prix « plancher » et prix « plafond » et séparés d’un écart de 6 €/MWh. Si la résultante du prix des échanges se situe au-delà ou en-deçà de ces limites, alors un mécanisme de reversement entre les acteurs est prévu afin de ramener le prix final du produit nucléaire dans ce « corridor » (voir figure ci-dessous). Ce mécanisme serait purement financier et aurait lieu après coup.
Le nouveau mécanisme expliqué dans le document de consultation remplirait l’objectif principal de rendre le prix d’approvisionnement moyen moins tributaire de la volatilité des marchés :
Une des principales inconnues restantes et qui devrait faire l’objet de discussions intenses entre les acteurs et les autorités, est le niveau des prix plancher et plafond. Que ce soit pour les consommateurs, EDF ou les fournisseurs alternatifs, il sera difficile de tirer des conséquences sur les bénéfices du projet de réforme tant que les prix plancher et plafond ne seront pas fixés. Le gouvernement a précisé qu’il chargerait la CRE de le faire « à partir d’une méthodologie transparente et objective ».
A cinq ans du terme de la régulation actuelle, le projet du gouvernement acte donc d’une volonté de prolonger, voire de pérenniser le système de régulation des prix du nucléaire. Grâce au fonctionnement envisagé, renforçant l’influence du nucléaire dans les prix de l’électricité, le coût d’approvisionnement moyen en France devrait gagner en stabilité. Dans le même temps, EDF devrait être protégé d’éventuelles phases de prix bas et ainsi voir sa capacité d’investissement renforcée. Avoir une source de revenus garantie préserverait donc l’actif nucléaire et ouvrirait la voie au projet de restructuration du groupe.
Le gouvernement devra ensuite convaincre la Commission européenne de valider que le nouveau mécanisme et que la nouvelle organisation d’EDF respectent bien le principe d’équité commerciale qu’elle exige sur les marchés intérieurs de l’Union Européenne.
Un analyse de Charles Gérard
Notes et Sources :
[i] Source : Bilan Electrique 2019 de RTE
[ii] Source : Programmation Pluriannuelle de l’Energie 2019
[iii] Source : CRE, sur la base du TRV résidentiel moyen au 1er juin 2019. Hors marge commerciale, coût de l’acheminement et taxes
[iv] Délibération de la CRE n°2019-028 du 7 février 2019
[v] Source : communiqué de presse du 18/09/2019 : Réforme de l’ARENH : réaction commune des associations AFIEG, A.N.O.D.E, UPRIGAZ et du CLEEE. Communiqué de presse, à propos de la réforme du mécanisme actuel qui avait été prévue en 2018 mais qui n’avait finalement jamais été réalisée. A distinguer donc de ce nouveau projet de réforme.
[vi] Source : audition de Jean-Bernard Levy, le PDG d’EDF, lors de son audition devant la Commission des affaires économiques du Séant en novembre 2019
[vii] Source : résultats financiers d’EDF publiés le 14/02/2020
[viii] Source : audition de Jean-Bernard Levy, le PDG d’EDF, lors de son audition devant la Commission des affaires économiques du Séant en novembre 2019
[ix] 380 TWh d’électricité nucléaire ont été produits en 2019 d’après le bilan annuel 2019 de RTE.
[x] La loi Energie-Climat prévoit de limiter la part du nucléaire dans le mix de production national à 50 % à partir de 2035.
[xi] Consultation Nouvelle régulation du nucléaire existant dont les éléments sont accessibles sur le site du ministère de la transition écologique et solidaire depuis le 17/02/2020. La consultation est ouverte jusqu’au 17/03/2020.