La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Les régies publicitaires ont vu ces dernières années leur marché redessiné principalement par deux phénomènes.
Les régies publicitaires ont vu ces dernières années leur marché redessiné principalement par deux phénomènes.
1. Le développement des technologies de l’adtech (achat programmatique & real-time bidding, retargeting, etc.) qui transforment la manière de qualifier, tarifer et commercialiser les espaces publicitaires.
2. La fragmentation, la volatilité et la publiphobie persistante des audiences, qui contribuent à affaiblir l’impact et l’attractivité des offres proposées. Le rôle de la régie publicitaire et son positionnement au sein de la chaîne de valeur se trouvent ainsi remis en question.
De fait, les régies publicitaires sont confrontées à deux défis :
1. Un défi stratégique : définir un positionnement clair et différenciant dans un environnement concurrentiel tendu.
2. Un défi organisationnel : s’adapter culturellement aux nouveaux modes de commercialisation et trouver un modèle d’organisation efficace et rentable. A ce titre, cette note vise à explorer les tendances structurantes du marché des régies publicitaires et à proposer des pistes d’action concrètes pour accompagner les médias dans la transformation de leurs régies.
Le marché mondial affichait en 2016 une hausse des investissements publicitaires de +5,7%, pour atteindre 444 milliards d’euros tous médias confondus1, ce qui représentait la plus forte croissance depuis 2010. En France, les investissements ont atteint 11 milliards de dollars l’année dernière soit +2% de croissance par rapport à 20152.
Ce résultat historique est toutefois à relativiser car il est principalement nourri par des événements d’envergure mondiale tels que les élections présidentielles américaines, les Jeux Olympiques de Rio ou encore l’Euro de football en France : l’année 2017, moins riche en événements, devrait être en conséquence moins florissante (-0,4% pour le premier trimestre par rapport au T1 20163 ).
L’analyse de la répartition des investissements du marché permet de se rendre compte de la réalité contrastée de ce dernier aujourd’hui : en France, le marché publicitaire devrait certes croître de +1% en 2017, mais en grande partie grâce à la publicité numérique (+10%) alors que la publicité traditionnelle peine à demeurer attractive (-4%)4. L’e-publicité est ainsi le premier média investi au premier semestre 2017 (33%) devant la TV (28,3%).5
La croissance des dépenses publicitaires sur internet est essentiellement tirée par les régies Google (AdWords, Réseaux Display) et Facebook Ads, qui croissent respectivement de 20% et 62% entre 2015 et 2016 aux Etats-Unis6, alors que les autres acteurs de la publicité présentent une croissance moyenne de 9%7. Google et Facebook captent en 2016, 68% des revenus de la publicité numérique en France8.
En termes de formats, la croissance est générée par le Display (+15,6%), en particulier sur la vidéo sur les réseaux sociaux, alors que le Search arrive à maturité (+4,3%)
Il convient également de noter que la croissance des investissements publicitaires digitaux est essentiellement portée par le mobile depuis 2012, suivant logiquement les usages des consommateurs sur ce medium.
Le développement d’Internet s’est accompagné d’une croissance exponentielle des contenus et par conséquent des espaces publicitaires. La quantité d’espaces disponibles a conduit à la création de nouvelles méthodes de commercialisation automatisées pour mettre en relation annonceurs et éditeurs. ces méthodes sont généralement regroupées sous le terme « programmatique ».
La publicité programmatique s’est considérablement développée ces dernières années, générant près de 640 millions d’euros d’investissements en 2016 (+50% par rapport à 2015) . Elle est ainsi devenu le système d’achat majoritaire pour les formats display.
Les éditeurs traditionnels se sont organisés en deux places de marché programmatiques pour mettre en commun leurs espaces :
Les deux entités ont annoncé un peu plus tôt dans l’année leur intention de fusionner, dans l’espoir de peser contre les GAFA.
On note également le développement de plateformes programmatiques privées en particulier sur des espaces premium. Il s’agit d’un canal supplémentaire de commercialisation pour les régies traditionnelles, parfois frileuses à l’idée de vendre en programmatique certains espaces premium.
La commercialisation en programmatique d’espaces publicitaires traditionnels se développe. La régie AdWanted, qui compte pour clients des médias comme Forbes, Vice ou BFM, commercialise en programmatique des supports presse, affichage, radio, TV, cinéma … via des adexchanges privés.
Autour des technologies programmatiques s’est développé un écosystème d’intermédiaires (ad-networks puis ad-exchanges, trading desks, DSP, SSP, data-providers, solutions de tag management, DMP, etc. ) et de technologies complexifiant la chaîne de valeur, réduisant les marges et transformant le champ concurrentiel des régies publicitaires
La crise des régies publicitaires est à recontextualiser dans une transformation plus profonde des usages de consommation média.
Les points de contact se multiplient, les cibles se font moins homogènes, affaiblissant ainsi le pouvoir et l’impact des régies publicitaires traditionnelles. Ainsi, l’enjeu pour les régies est de réussir à proposer non plus des offres par média, mais des offres par audiences-cibles homogènes, en promettant une pression publicitaire forte sur une cible précise.
La data, une ressource rare et différenciante
Pour répondre aux demandes des annonceurs qui souhaitent pouvoir exercer une pression publicitaire forte et continue auprès de cibles toujours plus fines et volatiles, les régies sont obligées d’adapter leur proposition de valeur.
La publicité en ligne a en effet durablement modifié les attentes des annonceurs vis-à-vis des campagnes menées sur les autres médias. En 2017, les formats digitaux sont caractérisées par :
La data est ainsi devenu la clé de voûte de la performance et de la mesure des campagnes.
Cela permet notamment à des acteurs inédits, comme les poids lourds de la grande distribution – Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc par exemple – de se faire une place sur le marché grâce à la data collectée via les tickets de caisse et programmes fidélité.
La capacité à collecter, qualifier et utiliser la data devient donc cruciale et pourrait permettre de redorer le blason de la publicité, faisant mentir l’homme d’affaires John Wanamaker qui n’aurait alors plus de raison de déclarer : « Je sais que la moitié des sommes que je dépense en publicité l'est en pure perte mais je ne sais pas de quelle moitié il s’agit ».
Pour les régies traditionnelles, cette carence en données et en compétences pour traiter ces dernières constitue donc un véritable défi qu’elles peuvent relever de plusieurs manières.
Face à des audiences fragmentées, et une concurrence intense de la part des GAFA, les régies médias n’ont d’autres choix que de s’unir pour atteindre une taille critique.
C’est notamment la voie choisie par le groupe SFR en créant Altice Media Publicité, une régie commune à l’ensemble de ses médias (L’Express, Libération, BFM TV, etc.).
Le projet Alliance Gravity, regroupant une centaine de médias français autour d’une plateforme automatisée d’achats d’espaces, participe de la même logique. Les partenaires mettront en commun leurs données sur les internautes, afin d’améliorer les ciblages géographiques et contextuels de leurs offres publicitaires.
La commission européenne vient également d’autoriser la création d’une régie européenne, European Broadcaster Exchange rassemblant les groupes TF1, Mediaset, ProSiebenSat 1, qui proposeront aux annonceurs une plateforme programmatique pour de l’espace vidéo à l’échelle européenne. La encore, l’idée est de gagner en impact et en volume via des partenariats.
Les régies des médias traditionnels, conscientes de la difficulté à rivaliser sur des formats à la performance avec des acteurs pure players, privilégient des objectifs qualitatifs. Il s’agit alors de proposer des campagnes visant à améliorer le capital de marque, par exemple via de la publicité relationnelle, l’interactivité, ou encore des opérations de brand content permettant à l’annonceur de déployer une histoire et un imaginaire autour de sa marque.
Les formats native advertising sont également mis en avant dans les offres des régies afin de présenter du contenu publicitaire intégré de manière harmonieuse dans le support utilisé.
Enfin, les régies développent leurs pôles « Opérations Spéciales » et investissent les domaines de la création et de l’événementiel pour se différencier via la créativité.
En même temps que les techniques de commercialisation s’automatisent, l’activité de régie publicitaire requiert nécessairement un savoir-faire de plus en plus technologique. Face à cette tendance, certaines régies font le choix de développer leurs propres outils technologiques pour acquérir un avantage comparatif.
On citera l’exemple de la régie Teads, rachetée cette année par Altice pour 285 millions d’euros, qui s’est positionnée comme un leader mondial en développant des formats propres brevetés.
De même, la régie Criteo a permis aux annonceurs une plus grande performance sur les formats display grâce à une technologie de retargeting, permettant de valoriser un espace non pas en fonction de son contexte, mais de l’historique de navigation de l’utilisateur. Ces deux régies se définissent d’ailleurs plutôt comme des startups technologiques, que régies publicitaires
Certaines régies font le choix d’élargir leur savoir-faire à d’autres métiers de la communication et du marketing, proposant des accompagnements plus larges. La régie Prisma Médias Solution a par exemple acquis et développé des savoir-faire transverses : planning stratégique, analyse de données, brand publishing, expertise mobile et vidéo, marketing bouche-à-oreille, trading. Capables de pousser une offre 360°, les régies peuvent ainsi développer leur chiffre d’affaires en se diversifiant grâce à des métiers connexes.
La technologie blockchain, en proposant une base de données distribuée, sécurisée et transparente, permet à de nombreuses applications de se développer, en particulier dans les marchés fortement intermédiés comme celui de la publicité.
Des premières cryptomonnaies basées sur le protocole Blockchain ont émergé visant à simplifier l’achat d’espace publicitaire en le rendant plus transparent, à l’heure où les questions de fraude et d’ad viewability sont des préoccupations majeures pour l’industrie (à ce titre, les robots ont conduit à 7,2 milliards d’euros de fraude au clic et à l’impression en 2016 ). La blockchain, en stockant l’ensemble de l’information liée au clic et à l’impression, pourra apporter de la transparence et de la traçabilité sans dépendance aux données tierces. Le projet MetaX, basé sur Ethereum, permet de tagger et suivre une annonce sur internet ainsi que de connaître le nombre d’impressions, le taux de clics, le budget dépensé.
Par ailleurs, certains acteurs cherchent à simplifier et désintérmerdier l’écosystème complexe de la publicité en ligne grâce à la blockchain. La Basic Attention Token, développée par le fondateur du langage Javascript et co-fondateur de Mozilla et Firefox, est une cryptomonnaie également développée via la blockchain Ethereum et un navigateur web sans publicité (Brave), qui rémunère le visiteur lorsqu’il accepte de visualiser une publicité. Chaque transaction est visible aux yeux de tous en temps réel. Le système repose uniquement sur les trois parties que sont l’éditeur, l’annonceur et le visiteur. Les éditeurs bénéficient ainsi d’une marge plus importante du fait de la suppression des intermédiaires que sont la régie et l’agence média.
Avec l’intelligence artificielle, les logiciels et algorithmes permettant l’achat programmatique des espaces publicitaires deviennent encore plus puissants. La quantité de données collectées et l’apprentissage des machines pourront permettre aux machines d’optimiser les investissements en temps réel, sans aide de tiers. L’optimisation pourra affecter les enchères, mais également la cible adressée ou le modèle de l’annonce en fonction d’une série de paramètres appris et observé par l’IA. Des startups travaillent actuellement sur le sujet, comme Albert.ai qui analyse et optimise en permanence et de manière autonome les campagnes de publicité en ligne de manière autonome. L’annonceur Cosabella a ainsi triplé son ROI et développé sa base de clients de 30% en utilisant Albert.
Enfin, l’intelligence artificielle pourra également faciliter le quotidien des régies en ce qui concerne la production des annonces textes, display voire même vidéo. L’agence McCann Japan a, par exemple, développé une intelligence artificielle permettant de conseiller les équipes commerciales sur les spots vidéos les plus performants, en apprenant à partir des gagnants d’un festival de film sur une période de dix ans.
Bibliographies / Citations
[1] IPG Mediabrand
[2] IPG Mediabrand
[3] IPG Mediabrand
[4] IPG Mediabrand
[5] Udecam / Les Echos
[6] IAB, Morgan Stanley Research
[7] IAB, Morgan Stanley Research
[8] SRI, PwC, UDECAM
[9] SRI, PwC, UDECAM (2017)
[10] Observatoire de l’e-publicIté | SRI
[11] IAB
[12] CNC
[13] Association of National Advertisers
[14] CampaignLive