La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Sia Partners est allé à la rencontre de douze acteurs de la Smart City en France afin de comprendre les enjeux auxquels ils sont confrontés et identifier des bonnes pratiques pour réussir un projet de Smart City.
Le concept de « Smart City » ou « ville intelligente » fait référence à une nouvelle façon de penser la ville, via l’intégration de nouveaux services basés sur les technologies de l’information, de la communication et plus globalement du numérique dans le quotidien des citoyens. Ces nouveaux services permettent de transformer la relation entre la collectivité et l’usager ou l’entreprise et incitent également au développement de l’écocitoyenneté ou de la démocratie participative. In fine, ce sont l’ensemble des services urbains qui sont améliorés. Ces nouveaux services sont basés sur des technologies et concepts tels que le Big Data, l’open innovation ou l’Internet des Objets (ou IoT pour Internet of Things) que les villes et collectivités doivent appréhender pour mener à bien ces objectifs d’amélioration de la vie citoyenne.
Adopter et mettre en place une démarche Smart City a pour vocation première d’apporter un bénéfice d’usage et d’appropriation de l’espace urbain aux citoyens. En ce sens, la Smart City ne doit pas être orientée et contrainte par la technologie : elle doit être au service des aspirations des citoyens, qui doivent être associés dès les phases amont des projets. Les acteurs des Smart Cities françaises interrogés insistent unanimement sur l’importance de remettre le citoyen au cœur de la construction de ces démarches. Ce positionnement rejoint celui de la Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information de l’Etat (DINSIC) qui, dans ses neufs principes clés de réussite des grands projets SI indique que « plutôt que de nous précipiter sur une solution, identifions le problème à résoudre et l’indicateur permettant d’en mesurer la résolution ».
Pour intégrer les citoyens, la Métropole du Grand Paris les consulte sur des thématiques spécifiques, utilisant le numérique comme "vecteur d'accélaration du lien avec les citoyens". En 2016, la ville de Grenoble a également lancé une démarche « Grenoble, Ville de Demain », ayant pour objectif la réflexion autour de thèmes majeurs tels que : le réchauffement climatique, la révolution numérique, le développement de l’économie collaborative, les nouvelles solidarités… Cette plateforme associe également les élus, les services de la ville, des personnalités issues de la société civile, du monde de la recherche, de l’université et du monde économique. Dans une même optique, Plaine Commune en partenariat avec l’université Paris 8 et le programme IDEFI-créaTIC ont mis en place des ateliers « Open Innovation », afin de « faire émerger les besoins effectifs de son écosystème autour de trois thématiques : un territoire au service, du citoyen, du développement durable et du développement économique » (Alain Vaucelle - Chargé de missions TIC[1]).
Un des grands intérêts de la Smart City est de transformer les services municipaux, quels qu’ils soient : le ramassage des déchets, l’éclairage public, l’arrosage des espaces verts, la sécurité, les transports en commun ou le suivi médical des personnes âgées. Ces améliorations se font au travers de déploiement d’objets connectés, de plateformes pour les gérer et de nouveaux processus dont la mise en œuvre se fait en lien avec les services municipaux et leurs employés.
Cette association est essentielle, elle permet en premier lieu d’identifier les pistes et marges d’amélioration auprès de ses premiers usagers. Les services municipaux sont en effet les plus à même de suggérer les ajustements et les cas d’usage innovants pouvant répondre à leurs besoins quotidiens. Par ailleurs, associer ces services dès le lancement du projet permet de conduire un changement efficace, prenant en compte en amont les enjeux d’acceptation et de pérennisation des solutions mises en place. En effet, les nouveaux services apportés par la Smart City vont venir bousculer les métiers et responsabilités de chacun, conduisant potentiellement à des situations de conflits si la conduite du changement n’a pas été pas abordée en coopération. Par exemple, alors que le ramassage des déchets se fait de façon régulière et coordonnée, il pourrait demain se faire de façon ponctuelle et « ajustée aux besoins en temps réels » suite à la détection de taux de remplissage jugés satisfaisants pour envoyer des employés municipaux sur place. La charge de travail associée se verra donc réduite et pourrait conduire à une évolution des activités des employés concernés.
Comme expliqué précédemment, si les technologies suffisent aujourd’hui à déployer des solutions fonctionnelles, elles ne garantissent pas leur succès si le changement ne s’intègre pas efficacement dans les habitudes des services. Dans la ville de l’Union (Haute-Garonne), la consultation des métiers a permis d’éviter l’échec d’un projet relatif à la gestion de l’énergie dans la ville. Cette dernière souhaitait en effet tester la consommation électrique d’un gymnase sans savoir que le compteur relié au gymnase était également associé à d’autres bâtiments. Les responsables concernés ont donc expliqué aux porteurs du projet les « problématiques énergétiques, notamment celles liées aux compteurs » (Yannick Puget - Pilote de la politique numérique – Union) et le projet a été adapté en conséquence.
Le contexte de la ville et les considérations géographiques sont à prendre en compte lors de la mise en place d’une Smart City. Si de nombreuses innovations, liées à l’Internet des Objets par exemple, font l’objet de POC[2] et d’expérimentations diverses, la ville doit garder à l’esprit la nécessité que chacune des expérimentations devront s’accorder avec l’ensemble du paysage urbain concerné et le quotidien des citoyens.
A Bordeaux par exemple, les projets Smart City s’efforcent d’être mis en regard de considérations d’urbanisme, pour éviter le déploiement d’infrastructures qui présenteraient des problématiques d’intégration et d’exploitation une fois l’expérimentation livrée. Paul Roblédo (Chargé de mission à la direction coopération et partenariat en charge du programme d’investissement d’avenir de l’Etat), affirme que « l’innovation urbaine peut difficilement être développée dans une logique essai-erreur ». Dans le cadre du programme EcoCité, la Métropole bordelaise reçoit par exemple de nombreuses propositions relatives aux bâtiments intelligents : « si l’innovation semble attirante sur le papier, la crainte reste entière de livrer un « gadget », difficile à habiter ou à utiliser pleinement, qui aurait pignon sur rue».
Les administrateurs des villes sont régulièrement sollicités par les fournisseurs de solutions Smart City, vantant leurs usages. Or, le marché de la Smart City et plus globalement de l’Internet des Objets n’est aujourd’hui pas standardisé : une multitude de technologies, acteurs et protocoles existent et opèrent sans interopérabilité ni pérennité sur le moyen et long terme tant que le marché évolue rapidement. Ainsi, les villes, contraintes budgétairement et ayant l’obligation de réaliser des investissements durables et utiles doivent être vigilantes dans leurs choix de solutions. En outre, les villes se doivent d’être attentives sur la maîtrise technologique des solutions choisies pour éviter des dérapages financiers. Les risques sont les suivants : incapacité à être maître d’ouvrage de la solution mise en place, difficulté à se soustraire à des accords établis…
Ainsi, comme l’explique Jérémie Valentin (Chef de projet Open Data), la Métropole de Montpellier a redéfini une politique « Smart City » plus ouverte et interopérable privilégiant les start-ups. Ce nouveau mode de fonctionnement permet à la métropole de conduire des actions impliquant plusieurs interlocuteurs, chacun responsable d’un pôle de compétence unique et ainsi de répartir les risques. La métropole de Grenoble s’appuie, quant à elle, sur l’Open Data et les logiciels libres afin de « rester le plus ouvert possible et de prendre en compte les enjeux d’interopérabilité » (Laurent Deslattes – Chef de projet Smart City). La ville d’Angers rencontre un défi comparable dans la mise en place d’une solution de stationnement où plusieurs technologies devront interopérer. Elle a donc choisi d’adopter une démarche agile dans la construction et la mise en place des projets Smart City. Cette approche permettra grâce à une implantation progressive des technologies d’éviter « l’obsolescence simultanée » de l’ensemble du parc (Arnaud Ascensi - Directeur de l’innovation) et d’intégrer les enjeux d’interopérabilité. Enfin, Marion Glatron (Directrice déléguée à l’innovation et à la Smart City), explique que la ville de Rennes cherche le plus souvent à se positionner en maître d’ouvrage des solutions déployées, quelles qu’elles soient, pour « garder la main et comprendre les solutions mises en place ». Cela leur permet de développer les compétences en interne et ainsi de mieux dialoguer avec les fournisseurs de solutions et prestataires de service.
Les initiatives de Smart City vont potentiellement concerner l’ensemble des métiers des services municipaux mais vont également toucher toutes les structures et entités de la ville : de la communication institutionnelle aux systèmes d’information, y compris ceux des partenaires et opérateurs de la ville (transport, déchets, sécurité…). Ainsi, il est essentiel pour les villes d’avoir une vision systémique et transverse de ses projets numériques afin de mettre en place un fonctionnement et une gouvernance efficace. Tous doivent alors travailler conjointement pour parvenir à construire un système fonctionnel, efficace et optimisé.
De nombreux acteurs interrogés ont en effet identifié le manque de transversalité comme un frein à la réussite des projets. Par exemple, pour remédier à cela, les villes de Rennes et de Roubaix s’appuient quant à elles sur la mise en place de l’Open Data pour « promouvoir de nouvelles méthodes de travail » (Alexandre Garcin - Adjoint au Maire en charge du développement durable, du numérique et de la modernisation de l’Administration – Roubaix). A Rennes, « le groupe transverse de travail sur la Smart City a permis à la ville un vrai apprentissage croisé, pour que chaque direction comprenne et intègre les logiques des autres » (Marion Glatron - Directrice déléguée à l’innovation et à la Smart City). Pour parvenir à la mise en place de cette transversalité, Yannick Puget (Pilote de la politique numérique - Union) rappelle qu’il est nécessaire que « la ville implique fortement les agents » car « sans [leur] adhésion, la transversalité est impossible ».
Cette organisation transverse doit également être intégrée dans la gestion des prestataires. Pour Saint-Etienne, elle s’inscrit directement dans la stratégie globale de la ville, qui a mis en place une plateforme permettant d’agréger les données et les services associés. Les prestataires sont alors obligés d’y intégrer leurs outils pour éviter que « l’utilisateur ne se retrouve avec une multitude d’applications mobiles » (Sébastien Valla - Directeur des systèmes d’information et du numérique).
Actuellement, de nouveaux projets, liés à la mise en place des Métropoles (Site du Gouvernement) participent à ce décloisonnement. Et « même si le décloisonnement reste compliqué », Jean-Noël Olivier (en charge des systèmes d’information de la Métropole - Bordeaux) affirme que le projet de mutualisation de la Métropole de Bordeaux est une « opportunité pour la ville d’avoir l’énergie et les moyens pour construire le décloisonnement ».
La stratégie de développement des technologies mises en place par les villes doit, autant que possible, prendre en compte des enjeux de cohérence nationale qui permettront, à terme, de garantir l’interopérabilité de technologies mises en place et dégager des économies d’échelle. Cette interopérabilité doit aussi bien permettre d’articuler entre elles les solutions que de proposer un service unifié au citoyen.
De nombreux acteurs ont, de fait, exprimé un « vrai besoin de cohérence nationale entre les villes » (Alain Vaucelle - Chargé de missions TIC – Plaine Commune) et les solutions proposées par l’Etat, ne sont pas toujours adaptées aux besoins des communes. Cette cohérence pourrait passer par la mise en place de directives et recommandations nationales, sous le leadership de responsables politiques et administratifs nationaux et locaux. En revanche, si la question de la mise en cohérence nationale revient fréquemment, il est important, comme l’explique Marion Glatron (Directrice déléguée à l’innovation et à la Smart City - Rennes), de garder à l’esprit les spécificités de chacune des villes de France.
En conclusion, la « Smart City » représente autant d’opportunités pour toutes les villes de France que de défis à relever. Sur ce point, il n’existe pas de « recette miracle » mais l’approche se doit d’être inclusive de toutes les parties prenantes (citoyens notamment), cohérente avec les ambitions de la ville et d’intégrer une analyse globale et à long terme des choix de solutions et de technologies. Sur ce point, un cadre national pourrait aider toutes les communes – qu’ils s’agissent des grandes métropoles ou de villes rurales – au lancement d’initiatives « Smart City » : d’abord en présentant les intérêts de celle-ci puis les grandes orientations projets et technologies à prendre en compte pour disposer d’un premier terrain de réflexions en vue d’un financement puis du déploiement.
***
[1] TIC : Technologies de l’Information et de la Communication
[2] Une preuve de concept ou POC (proof of concept, en anglais) est une réalisation courte à échelle réduite d'une certaine méthode ou idée pour démontrer sa faisabilité