La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Lancée en mars 1987, Métropole 6, aujourd’hui M6 fut en son temps caractérisée comme « la chaîne de trop ».
Lancée en mars 1987, Métropole 6, aujourd’hui M6 fut en son temps caractérisée comme « la chaîne de trop ». Trente ans après, elle s’impose comme la troisième chaîne du paysage audiovisuel français et affiche des résultats positifs, en contre-tendance. Avec une part d’audience en croissance de 0,3% sur un an, et une valeur boursière dépassant celle de TF1, à 2,5 milliards d’euros (1), la « petite chaîne » a pris sa revanche. Comment expliquer le développement d’un tel ancrage au sein d’un environnement audiovisuel français concurrentiel et en pleine révolution des usages ?
Afin d’affronter la concurrence des chaînes rivales concentrant entre 35% et 40% de parts d’audience, la chaîne se distingue en proposant des programmes novateurs et décalés. Ainsi, elle crée des émissions de coaching qui s’inspirent et reflètent le quotidien des Français, tout en accompagnant l’évolution de leurs modes de vie. Ces programmes connaissent des succès fulgurants, qu’ils soient les porte-voix de la difficulté à accéder à la propriété (liée à l’obtention d’un crédit, à la saturation du marché immobilier dans certaines grandes villes..) ou à s’adapter aux comportements nouveaux de certains enfants. Ils sont confirmés par la longévité de leur présence au sein du PAF, et par la célébrité de leur animateur. A titre d’illustration, Stéphane Plaza anime depuis plus d’une décennie plusieurs émissions dédiées à l’immobilier, tel que Recherche appartement ou maison (2006) et Maison à vendre (2007). La performance de ces programmes encourage d’autres chaînes à développer des contenus audiovisuels similaires, voire à racheter les concepts. Ainsi, TF1 achète en 2013 le concept original de l’émission Super Nanny, diffusée sur M6 entre 2004 et 2010, afin de la distribuer sur sa chaîne NT1. L’essor de ces émissions de coaching personnalisé (citons également « C’est du propre ! », diffusée de 2005 à 2013 sur M6 puis sur 6ter et rediffusée sur Téva) s’explique par les réponses, conseils et recommandations qu’elles apportent aux enjeux quotidiens des Français. Comme le souligne Virginie Spies, sémiologue et maître de conférences à l'université d'Avignon : « Grâce à M6, on peut apprendre à cuisiner, à maigrir, à élever ses enfants, à aimer, à nettoyer sa maison, à la vendre... » (2)
La chaîne a été précurseur en anticipant le développement de tendances et d’usages. Ainsi, en lançant en prime-time l’émission Capital dès 1988, elle offre chaque dimanche soir un contenu en rupture avec les programmes cinématographiques proposés à ce créneau par ses concurrentes. Surtout, elle vulgarise l’information économique, à partir du média de masse que constitue la télévision. Elle touche un nouveau public, jeune et féminin, intéressant particulièrement les annonceurs. Par ailleurs, elle anticipe le succès des formats audiovisuels courts. Avec Caméra Café, la chaîne crée un concept révolutionnaire, fondé sur de prompts scénarii, entre 3 et 6 minutes. Au travers de cette série, elle propose à chaque avant-soirée d’aborder le monde professionnel de manière caricaturale et humoristique. L’attente du consommateur envers des formats raccourcis s’observe également dans l’information. Le « 6 Minutes », journal télévisé d’une douzaine de minutes diffusé vers 19h54 sur M6 à la fin des années 1980 constitue un chamboulement significatif. Il perturbe en effet la ponctualité et la récurrence du JT de 20 heures, en particulier celui de TF1, véritable « rendez-vous » de la chaîne avec les Français. Ce nouveau format préfigure également le succès des chaînes d’information en continu en proposant une information synthétique, rapidement digérable et touchant un public jeune.
Enfin, M6 a anticipé l’essor de la « télé-miroir », voire jusqu’au succès actuel du selfie en proposant en 2001 la première émission de téléréalité en France avec son programme Loft Story. Suscitant une intense polémique lors de sa diffusion, il a néanmoins rencontré un succès fulgurant en termes d’audience et a encouragé les autres chaînes tv à se positionner sur ce genre nouveau. Ces dernières ont innové, en reliant la téléréalité à des thématiques particulières, telles que la musique avec la diffusion de Star Academy, ou encore l’agriculture avec La Ferme Célébrité. Le développement des chaînes de la TNT a permis au genre de perdurer et d’offrir une seconde vie à ses programmes ; la téléréalité dispose aujourd’hui encore d’une place prépondérante au sein du PAF.
Face aux budgets faramineux de chaînes concurrentes comme TF1, M6 privilégie des montants plus restreints et une gestion rigoureuse de ses finances. Le groupe fait de la rentabilité une priorité, au détriment d’une course aux audiences, expliquant les bonnes performances financières actuelles de la chaîne. Avec une marge de près de 15,9% en 2016 et un résultat net en augmentation de 32,9% (3) M6 se distingue à ce titre de la première chaîne d’Europe. Afin de réduire la dépendance aux recettes publicitaires, le groupe s’est diversifié dans la production, le téléachat, le web, en recourant à la croissance interne et externe. Il a ainsi racheté des startups, tel que Monalbumphoto.fr ou en décembre 2016, iGraal, spécialiste du marketing digital. Ces activités représentent aujourd’hui 1/3 des revenus du groupe. Le chiffre d’affaires digital, porté par un portefeuille de plus de 10 sites internet représente également plus de 10% des revenus. Enfin, le groupe M6 s’est également diversifié dans des activités connexes, comme le sport, avec l’achat du club des Girondins de Bordeaux, ou l’immobilier en investissant pour 3,6 milliards d’euros dans le réseau d’agences de Stéphane Plaza (4).
Elle a annoncé fin 2016 le rachat de RTL France, regroupant les radios RTL, RTL2, Fun Radio, ainsi que les sites Internet et les régies pour 216 millions d’euros (5). De nombreuses synergies sont envisagées par les deux acteurs, portant sur les équipes commerciales, les fonctions support, les activités et services digitaux, ou encore l’innovation dans les contenus. Il s’agit également de renforcer leur force publicitaire. La chaîne doit aussi réussir les lancements annoncés récemment, comme son studio de production à destination des Millennials ou le nouveau label de musique « Six et Sept », avec Pascal Nègre. Le premier projet vise à créer des chaînes Youtube et des séries pour les opérateurs, les plateformes SVOD, les chaînes, les réseaux sociaux. Le second projet est encouragé par les résultats positifs du marché de la musique, après des années de crise découlant de l’apparition du streaming. Les activités du label, lancé prochainement, porteront sur l’édition, la production et l’exploitation d’un catalogue. En parallèle de ces lancements, la chaîne souhaite également poursuivre les acquisitions dans le marketing digital et le e-commerce. Le 28 février 2017 dernier, dans un entretien aux Echos, Nicolas de Tavernost déclarait ainsi : « Nous avons la capacité de faire des acquisitions ». Avec un mandat renouvelé jusqu’en 2020, le président du directoire de M6 doit également assurer sa transition, ultime défi pour la chaîne qui a assuré son ancrage et n’est désormais plus « de trop ».
Sources
(1) Un anniversaire presque parfait
(2) M6 30 ans de flair sociétal
(3) M6 : un anniversaire presque parfait
(4) Stephane Plaza : M6 investit 36 millions d'euros dans son réseau d'agences immobilières