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Influencer réellement et massivement les comportements des consommateurs grâce à des applications : c’est possible ?
Avec plus de 18 millions de téléchargements, l’application Yuka, qui permet d’évaluer la qualité des produits alimentaires et cosmétiques de la grande distribution, connaît un succès fulgurant. Elle influence significativement les choix de consommation de ses utilisateurs, à tel point que certaines marques se sentent désormais obligées de faire évoluer leurs gammes de produits en conséquence. C’est ainsi qu’en 2020, le patron du Groupe Intermarché a annoncé retirer 142 additifs de 900 produits pour obtenir une meilleure note sur l’application.
Ce succès n’est pas une initiative isolée : les nouvelles applications et solutions dont l’objectif est d’aider les consommateurs à acheter des produits plus sains pour eux-mêmes, pour la société ou pour l’environnement fleurissent.
Ce foisonnement de solutions fait écho aux préoccupations grandissantes des consommateurs et notamment des plus jeunes quant à la qualité des produits qu’ils consomment, ainsi qu’à leur impact social et environnemental. 72% des 18-34 ans sont ainsi susceptibles de changer de marque si celle-ci ne correspond pas à leurs valeurs, selon une étude faite par YouGov en 2017.
Quelles sont donc les mécaniques utilisées par ces solutions pour nous aider à changer nos comportements et quelles sont leurs limites ?
Principe de fonctionnement et business models
Ces applications évaluent l’impact de produits sur la santé, l’environnement et/ou la société (conditions de travail des salariés, optimisation fiscale, …). Pour ce faire, elles collectent des informations sur ces produits à partir de leur étiquetage, de bases de données publiques, des rapports d’entreprises ou d’enquêtes menées par des associations, et attribuent ensuite à chaque produit un score calculé à partir d’une méthodologie propre. Certaines startups se concentrent sur un seul secteur, comme l’alimentation (BuyOrNot ou Yuka), les cosmétiques (Composcan, INCI, QuelCosmetic) ou la mode (Clear Fashion ou GoodOnYou), quand d’autres ont une approche généraliste (EthicAdvisor, Moralscore, Scan’Up).
Si certaines de ces applications se définissent comme sociétés « à impact » sans but lucratif, elles cherchent quand même toutes un business model viable B2B ou B2C (parfois mixés).
B2C uniquement :
Double activité B2C et B2B :
La problématique du scoring
Toutes ces applications proposent une notation des produits selon un axe environnemental, sociétal et/ou de santé. Si certaines, comme Mylabel ou Moralscore proposent aux utilisateurs de pondérer eux-mêmes les axes qui sont les plus importants pour eux, le premier défi pour toutes ces applications, réside dans l’établissement d’une méthode de scoring qui soit à la fois précise et basée sur des données accessibles et traçables.
Si le scoring sur la base de la composition de produits peut être relativement objectif, l’évaluation des produits d’un point de vue environnemental et sociétal est à l’inverse parfois discutable du fait de processus de production et de distribution complexes et opaques.
Ainsi, les applications en viennent souvent à faire des moyennes et des ratios à partir de la nature du produit consommé, de la quantité achetée, et de l’entreprise productrice.
Au-delà des applications de notation, certaines solutions proposent une démarche plus intégrée dans l’univers de consommation en se positionnant soit comme lieu de consommation web éthique ou marketplace, ou en s’intégrant dans l’écosystème de consommation en collaboration avec les banques ou avec les sites web des marques.
Les Marketplaces
Les marketplaces éthiques se positionnent en réalité comme tiers de confiance et vont au-delà d’une notation des produits existants. En ne proposant que des produits et des marques qu’elles considèrent recommandables, elles proposent un environnement de consommation de confiance à leurs visiteurs. Ces marketplaces se sont multipliées dans tous les domaines : Pushoose propose des produits locaux et éco-responsables, Cocote met en avant le commerce de proximité et les produits éco-responsables avec un éco-score… Les marketplaces spécifiques sur une verticale de produits cosmétiques naturels par exemples sont nombreuses.
L’intégration bancaire
Au-delà de pousser des produits existants, certaines startups proposent des solutions permettant d’intégrer le sujet de préoccupation du consommateur dans son usage de paiement du quotidien. C’est ce que font par exemple, Doconomy au Danemark et Greenly en France.
Lancée en Suède en 2018, Doconomy propose une carte bancaire en partenariat avec Mastercard, et évalue sur la base des relevés bancaires l’impact carbone de ses clients. La startup française Greenly propose un modèle similaire, sans proposer de CB mais en se connectant aux comptes bancaires du client via l’agrégateur Linxo. Les 2 applications proposent par ailleurs à leurs clients, différents moyens de réduire leur impact carbone : passer à des alternatives (par exemple, souscrire à un fournisseur d’électricité verte), investir dans des projets écologiques ou de compensation carbone, voire même, bloquer sa carte en cas de dépassement d’un certain niveau de CO2 « consommé ». Les deux startups se rémunèrent via des commissions prélevées sur les comptes bancaires et les comptes épargne.
D’autres solutions d’intégration dans l’expérience de consommation
D’autres solutions ont fait des choix d’intégration différents dans le même objectif d’être au plus proche du moment de la consommation et de ne pas ajouter d’étape supplémentaire avant la conversion.
Dans le paysage des solutions aidant à mieux maîtriser la consommation 2 tendances générales s’observent :
Au-delà de ces deux grands principes, les solutions les plus intégrées permettent d’atteindre plus massivement les consommateurs pour plusieurs raisons :
L’expérience utilisateur
Ces solutions ont le même objectif que les applications de notation, mais une conviction que le plus grand nombre d’utilisateurs n’ajoutera pas une étape supplémentaire dans son parcours d’achat. Elles font donc la part belle à l’expérience utilisateur, et à l’intégration dans un écosystème existant (web et physique).
Plus la notation ou le suivi de la consommation est facilement accessible par le consommateur, plus celui-ci va comprendre comment modifier ses comportements.
Les incitations comportementales
Au-delà de l’expérience utilisateur, l’enjeu qui fera le succès des solutions, est de montrer aux consommateurs que le service les aide réellement, facilement et durablement à modifier leur comportement d’achat. Les applications de scoring comme Inci Beauty, Cosmethics ou Yuka, vont aujourd’hui jusqu’à proposer des alternatives plus saines, ou aident à localiser des commerces responsables.
Les applications plus intégrées peuvent aller beaucoup plus loin :
Les startups ne sont néanmoins pas les seules à proposer des solutions pour aider à mieux consommer. Dans le domaine alimentaire, les pouvoirs publics ont imposé depuis 2017 un étiquetage obligatoire baptisé « Nutri-score », à travers lequel tout produit de grande distribution est évalué sur une échelle allant de A à E sur la base de différents critères (taux de graisse, sucre…).
Plutôt qu’un concurrent frontal, le Nutri-score représente plutôt un élément facilitateur pour les applications éthiques, puisqu’il permet de définir un socle méthodologique commun et de crédibiliser les évaluations, là où les notations apparaissent parfois contradictoires entre les applications. Le score de Yuka est ainsi basé à 60% sur le Nutri-Score.
Dans le même ordre idée, la Convention Citoyenne pour le Climat a proposé en début d’année 2020 l’instauration d’un « CO2-score », ce qui permettrait aux applications d’accéder plus facilement à une information objective sur les émissions carbones des produits de grande consommation.
Les initiatives de filières peuvent également s’avérer intéressantes pour les applications, à l’instar du projet d’open data Num-Alim, porté par la filière agroalimentaire et soutenu par BPI France. Ce projet vise à créer un vaste répertoire de données englobant l’ensemble de la chaîne alimentaire et à améliorer la traçabilité des produits par l’intermédiaire de technologies blockchain.
Dans l’autre sens, les startups apportent un complément intéressant aux initiatives des acteurs publics et sectoriels. Là où ces derniers peuvent imposer de nouvelles règles et standards en termes d’information, les startups peuvent elles se concentrer sur le « dernier kilomètre », à savoir le développement des usages en innovant sur l’expérience client, la personnalisation et les incitations comportementales. L’avantage de ce type d’applications est également de reposer sur une démarche volontaire des consommateurs, et d’apparaître plus neutre et moins coercitive que des initiatives de régulation de la consommation qui seraient prises directement par les pouvoirs publics.
Porté par des attentes grandissantes des français et le succès de Yuka, le marché des applications de consommation éthique est aujourd’hui foisonnant. Celles-ci pourraient ainsi jouer un rôle intéressant dans l’adoption de modes de consommation plus vertueux, en complément d’initiatives des pouvoirs publics et de filières qui devraient par ailleurs renforcer les obligations d’étiquetage et de traçabilité des produits dans les années à venir. Les applications qui réussiront à s’imposer au plus grand nombre semble être celles qui auront su développer la meilleure expérience client, les meilleurs mécanismes comportementaux et su s’intégrer de la manière la plus fluide au sein d’écosystèmes connexes, au-delà de la grande distribution, comme la banque ou le transport.
Un article écrit par Julien Taillandier, consultant senior Banking et Elsa Martineau, Head Of Studio by Sia Partners