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CEE, la prime client : Fatalité pour les fournisseurs d'énergie ?

Suite au succès de la première période (2006-2009) de récolte de Certificats d'Economie d'Energie, une seconde phase triennale a débuté en janvier 2011. Les objectifs, fixés par le gouvernement, ont été significativement augmentés et les distributeurs de carburant font désormais partie des «obligés»

Si les objectifs, fixés par le gouvernement, ont été significativement augmentés pour la récolte de Certificats d'Economie d'Energie (CEE), la crise du pouvoir d'achat des ménages et les diminutions des aides fiscales liées aux travaux de rénovation apparaissent comme des freins majeurs à la mise en oeuvre de nouveaux chantiers et donc à l'obtention de CEE.

Quels sont les impacts de l'entrée sur le marché des nouveaux obligés ?

Comment les obligés historiques vont pouvoir faire face à ce nouveau contexte concurrentiel et conjoncturel ?

Doivent-ils envisager une révision de leur modèle d'affaire ?

Un mécanisme contraignant les fournisseurs d'énergie à réduire la consommation énergétique de leurs clients

Mis en place par la loi POPE (Programme fixant les Orientations de la Politique Energétique) du 13 juillet 2005, le dispositif des CEE s'inscrit dans la politique européenne de réduction de la consommation énergétique. Le secteur du bâtiment, responsable à lui seul de plus de 40% de la consommation d'énergie en France est la cible de ce mécanisme, qui impose aux fournisseurs d'énergie - les « obligés » - d'inciter leurs clients à réduire la consommation énergétique de leur logement en réalisant des travaux de rénovation. Cette réduction est matérialisée par l'attribution de CEE comptabilisés en kWh cumac [1] (ou kWhc). La correspondance entre les travaux d'efficacité énergétique réalisés et le nombre de CEE attribués est établie dans des fiches d'opérations standardisées pour les interventions les plus fréquentes (rénovation du système de chauffage, travaux d'isolation).

Les obligés sont soumis à des objectifs de récolte de CEE fixés par arrêté ministériel et fonctions de leur importance. Ainsi, pour la première période, 80% de l'obligation globale reposait sur EDF et GDF Suez. A la fin de chaque période, les CEE sont comptabilisés pour chacun des obligés et une amende sanctionne les acteurs n'ayant pas respecté leurs obligations. Cette amende peut représenter plusieurs centaines de millions d'euros pour les obligés principaux si aucun certificat n'est déposé.

Pour récolter ces CEE, les obligés proposent des avantages à leur clientèle contre la réalisation de travaux de rénovation énergétique. Ces avantages peuvent être matérialisés par une mise en relation du client avec des professionnels du bâtiment, un accompagnement lors des travaux, une bonification de prêt, des bons d'achats… A la suite des travaux, les obligés récupèrent la facture ainsi qu'une attestation de fin de travaux qu'ils déposent aux DREAL [2] (ou DRIEE[3] pour l'Ile de France) pour obtenir les CEE. Après vérification, ils sont matérialisés par une inscription dans le Registre National des CEE et selon la nature des travaux effectués, un montant de CEE est attribué.

D'autres sociétés, appelées « éligibles », peuvent également récolter des CEE pour les revendre aux obligés sur un marché d'échange dédié. Par ailleurs, les obligés ont la possibilité d'investir dans des programmes nationaux de réhabilitation de logements modestes (FART) ou de formation des professionnels du bâtiment (FEEBat) en échange de CEE.

Organisation des flux de CEE entre les différents acteurs du dispositif

Des objectifs atteints pour la première phase mais multipliés par 5 pour la seconde...

L'objectif total, cumulé sur tous les obligés, était de 54 TWhc pour la première période. Il a été atteint et même dépassé puisque 65 TWhc ont été obtenus dont près de 90% suite à des opérations standardisées de rénovation dans le secteur résidentiel. En revanche, ce dispositif ne semble pas avoir été utilisé comme levier de croissance car seuls 3% des CEE ont été déposés par des acteurs éligibles.

A la fin de la première période, en juin 2009, une période transitoire a été créée. Les conditions d'obtention des CEE sont restées identiques à la première, et aucun objectif n'a été fixé. Les 110 TWhc obtenus durant cette phase transitoire ont été comptabilisés pour la seconde phase débutée en janvier 2011. Cette nouvelle phase de 3 ans comporte trois changements majeurs : l'objectif cumulé d'obtention de CEE a été multiplié par 6 pour atteindre 345 TWhc, les fournisseurs de carburant font désormais partie des obligés, et le demandeur de certificats doit prouver l'antériorité de l'incitation à la réalisation des travaux.

Malgré l'arrivée de nouveaux acteurs, 60% de l'obligation totale repose toujours sur les deux principaux obligés historiques EDF et GDF Suez qui voient leur volume de CEE à collecter multiplié par 5. Pour ces deux obligés, les amendes s'élèvent respectivement à 2,9 et 1,2 milliards d'euros [4] si aucun certificat n'est déposé :

Obligation des principaux obligés sur la 1ère et la 2nde période
 

... dans un contexte concurrentiel et conjoncturel de plus en plus tendu.

Confrontés à la concurrence agressive des nouveaux obligés, EDF et GDF Suez qui étaient positionnés sur l'accompagnement du client pendant ses travaux et la mise en relation avec un réseau de partenaires, se voient dans l'obligation de repenser leur stratégie. En effet, les distributeurs de carburant des groupes Leclerc et Auchan (Siplec et Petrovex) se positionnent comme à leur habitude sur l'augmentation du pouvoir d'achat de leurs clients. Ces sociétés, désormais « obligées », doivent au même titre que les fournisseurs d'électricité, de gaz et de fioul domestique, inciter leurs clients à effectuer des travaux de rénovation énergétique dans leurs logements. Contrairement aux obligés historiques, les avantages qu'ils proposent en échange des CEE ne sont ni des conseils, ni des mises en relation avec des professionnels, mais des bons d'achats à faire valoir directement dans leurs grandes surfaces. Suite aux travaux, les clients de ces enseignes échangent les factures et attestations de fin de travaux contre ces bons d'achat dont le montant s'élève dans les deux cas à 3€/MWhc [5]. Ces primes reviennent ainsi directement dans les caisses des obligés sous forme de chiffre d'affaire et constituent par ailleurs une opportunité de fidélisation de leurs clients. De plus, ces deux acteurs ont optimisé leurs coûts de gestion en ne proposant que les 15 opérations standardisées les plus courantes dont les montants de primes peuvent être directement calculés sur internet par les clients. Malgré un total cumulé de 5% de l'obligation (cf. figure 2) ces deux acteurs arrivent donc sur le marché des CEE avec des arguments très percutants pour le consommateur. Outre l'entrée agressive de ces nouveaux obligés sur le marché, certaines enseignes de bricolage éligibles comme Leroy Merlin, ont identifié la production de CEE comme une opportunité de croissance et sont entrées en concurrence avec les obligés.

Parallèlement, les pouvoirs publics réduisent progressivement les aides fiscales liées aux travaux de rénovation pour les particuliers ce qui a un impact immédiat sur le nombre de mises en chantier.
Ainsi, de part ce contexte conjoncturel et concurrentiel, les obligés historiques sont contraints d'adapter leur modèle d'affaire pour atteindre leurs objectifs. Lors de la 1ère période, les aides financières qu'ils proposaient se résumaient à des prêts à taux bonifiés accessibles dans des conditions contraignantes et dont les clients percevaient mal les bénéfices. GDF Suez a depuis mis en place une prime client à montant fixe sous forme d'une remise sur la facture d'énergie. Cette prime est nettement inférieure aux primes versées par Leclerc et Auchan et n'est pas cumulable avec les bonifications de prêts. Cependant, la bascule d'un modèle exclusivement basé sur le confort et la qualité des travaux à un modèle incitatif via le pouvoir d'achat semble désormais envisagée par les obligés historiques. S'il devait être généralisé, le mode de versement de la prime client doit être évalué en fonction de critères d'image et de coût et en fonction des prévisions d'obtention des CEE pour la seconde phase.

S'appuyant sur un réseau de partenaires toujours plus vaste et plus qualifié, EDF et GDF Suez profitent de leur image pour récolter la majeure partie des CEE. Cependant, l'amaigrissement des aides fiscales aux travaux de rénovation combiné à l'arrivée d'une concurrence agressive redistribue les cartes sur le marché des CEE. Sur un fond de crise du pouvoir d'achat, les concurrents utilisent un modèle d'affaire peu coûteux et en phase avec les problématiques de leurs clients pour gagner des parts de marché. Ainsi, pour les obligés historiques, l'étude de la mise en place d'une prime client semble donc désormais incontournable pour atteindre les objectifs colossaux qui leur ont été fixés.


Notes :
(1) Le terme "cumac" correspond à la contraction de "cumulée" et "actualisés". Ainsi, par exemple, le montant de kWh cumac économisé suite à l'installation d'un appareil performant d'un point de vue énergétique correspond au cumul des économies d'énergie annuelles réalisées durant la durée de vie de ce produit. En outre, les économies d'énergie réalisées au cours de chaque année suivant la première sont actualisées en divisant par 1,04 les économies de l'année précédente (taux d'actualisation de 4 %). (source : developpement-durable.gouv.fr)
(2) DREAL : Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement
(3) DRIEE : Direction Régionale et Interdépartementale de l'Environnement
(4) L'amende prévue lors des deux premières périodes s'élève à 2c€ / kWhc non déposé
(5) Par exemple, pour la mise en place d'une chaudière à condensation, les CEE attribués varient selon la zone géographique entre 40 et 60 MWhc pour un appartement et entre 74 et 120 MWhc pour une maison individuelle. Cela représente des primes variant entre 120 et 360€. (source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Secteur-du-batiment-residentie…)