La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Ce mercredi 21 mars 2012, l'inauguration de la galerie commerciale de la gare Saint-Lazare vient mettre un terme à l'immense projet de restauration de la plus ancienne gare française.
Ce mercredi 21 mars 2012, l'inauguration de la galerie commerciale de la gare Saint-Lazare vient mettre un terme à l'immense projet de restauration de la plus ancienne gare française. Le projet Coeur Saint-Lazare a permis non seulement de rénover les infrastructures, d'améliorer l'architecture globale de la gare mais également d'intégrer dans un quartier très dense, où se mêlent voyageurs du quotidien, touristes et résidents, un nouvel espace commercial de 10000 m2. La prouesse est remarquable, d'autant que les travaux se sont déroulés sans interruption du fonctionnement de la gare.
Si la majorité des Parisiens se réjouit à l'idée de flâner dans ce nouvel espace situé sur leur trajet journalier, certains riverains peuvent s'interroger sur les nuisances engendrées par les 80 nouvelles boutiques. En effet quels seront les impacts des nouveaux flux de marchandises introduits par ces magasins ? Nuisances sonores ? Perturbation du trafic du quartier ? Le quartier de la gare est déjà l'un des quartiers les plus commerçants et les plus fréquentés de Paris !
En prenant l'exemple du projet Coeur Saint-Lazare, nous vous proposons, au travers de cet article, de mener une réflexion sur les problématiques liées à la logistique urbaine.
Le projet coeur Saint-Lazare, débuté en 2003, représente un budget global de 164 millions d'euros dont 63 millions portés par la SNCF. Aux côtés de Gare & Connexion (la 5eme branche de la SNCF) figurent dans ce projet Spie Batignolles le promoteur et constructeur, Klépierre avec sa filiale Ségécé respectivement l'investisseur et le concepteur du nouvel espace commercial. En offrant l'opportunité à un acteur d'exploiter une surface 10 000m2 en plein coeur de Paris, la SNCF a pu restaurer sa gare emblématique en limitant les coûts.
Ce projet ambitieux s'est déroulé en 3 phases. Entre 2003 et 2007, les travaux ont été réalisés au plus proche des voyageurs sur le quai transversal. Ils ont permis de valoriser l'architecture et d'améliorer l'information voyageur, avec notamment des nouveaux écrans TFT-LCD. Les travaux se sont ensuite portés en 2006 sur la cour d'Amsterdam, permettant l'élargissement du passage de la gare vers la rue du même nom, l'amélioration de la luminosité de la cour et la création d'un nouvel espace de vente de billets. A partir de 2009, le chantier s'est attelé à la rénovation de la « Salle des Pas Perdus ». L'aménagement de cette salle permet désormais de relier le niveau du métro, le niveau rue et le niveau des quais. Les flux des 450 000 voyageurs journaliers sont rationalisés afin d'améliorer l'intermodalité de la gare. Le projet a permis l'ajout de 250 places de parking, la création d'un pôle d'échanges au niveau du métro (reliant les lignes 3, 12, 13, 14 et le RER E) et l'incorporation de 21 nouveaux escaliers mécaniques et ascenseurs. Ce lieu de transit conçu pour recevoir un maximum de lumière offrira, avec ses 80 nouveaux commerces, de nombreux services aux voyageurs, touristes ou encore aux riverains du quartier.
Avec l'engouement actuel pour le commerce de proximité, la grande distribution a été le premier secteur à s'intéresser à cette opportunité. Les mastodontes Virgin, Monop' et Carrefour City ont été les premières marques à signer la convention d'occupation avec le groupe Klépierre Ségécé. La majorité des espaces commercialisés sera dédiée aux textiles, aux accessoires et aux parfumeries (60%). Environ 30% sera accordé à l'alimentation et à la restauration rapide. Les commerces de la galerie répondent aux besoins d'une large clientèle correspondant majoritairement à des voyageurs du quotidien. Ceci implique une large amplitude horaire et des produits facilement transportables et promet, n'en déplaise aux riverains, des flux d'approvisionnement fréquents. Une fréquentation estimable à 500 000 pers/jour (dont 450 000 voyageurs), bien plus que n'importe quel centre commercial classique, laisse présager du pire de ce côté-là.
Ce flux de consommateurs potentiels posera quelques soucis logistiques dans un quartier déjà engorgé. Comment seront gérés les approvisionnements de ces nouveaux commerces ? A priori, le transport des marchandises se fera par voie routière et il n'y aura aucune mutualisation des flux puisque chaque enseigne gèrera son propre approvisionnement. Les fréquences d'approvisionnement prévues sont élevées : quotidienne pour l'alimentaire et de l'ordre de 2 à 3 fois par semaine pour les autres marchandises (selon le rendement des magasins). Les horaires de livraison sont prévus en période creuse, de 5h à 6h45 pour l'alimentaire et la restauration et entre 10h et 16h pour les autres. En plus des marchandises, la gestion des déchets générés par les nouvelles activités de la gare (plus de 1000 tonnes par an), pose de réels problèmes logistiques. Leur évacuation participera de fait à l'augmentation des flux de transport routier ainsi qu'aux nuisances sonores et environnementales dans le quartier.
Coeur Saint-Lazare reflète parfaitement les problématiques actuelles de la logistique urbaine. Les évolutions sociologiques ont généré des nouveaux modes de consommation, dont l'e-commerce avec ses livraisons à domicile, et favorisé la proximité avec une multiplication de « superettes » en milieu urbain. Ces deux facteurs ont participé à l'augmentation des flux de marchandises dans les grandes villes. Or le transport de ces marchandises est réalisé à 99% par des véhicules légers (fourgonnettes 33%, camionnettes 33%, porteurs 33%) et occupe jusqu'à 30% de la voirie en centre-ville. De plus 80% des arrêts se font sur des emplacements illicites. Au-delà de la pollution sonore, ce transport est à l'origine de l'émission de 70% des particules émises, 35% des Nox et plus de 25% des émissions de gaz à effet de serre.
Malgré ce constat, peu d'initiatives d'envergure sont prises à l'échelle des collectivités. Pourtant de nombreuses réflexions ont déjà été menées sur le sujet : comme en témoignent les 23 recommandations faites par Afilog (l'association représentant tous les métiers du Supply Chain et de l'immobilier logistique) dans son livre blanc publié le 27 janvier dernier. La faute, peut-être, à un cadre réglementaire encore flou et complexe. Plusieurs textes encadrent le transport de marchandises :
De nombreux textes et règlements (nous citons ici qu'une infime partie) impactent la logistique urbaine sans avoir été pensés et conçus pour permettre sa transformation et sa rationalisation.
Pourtant, des solutions propres existent pour transporter les marchandises en ville. Le meilleur exemple est celui de l'enseigne Monoprix qui utilise une solution mixte trains de fret urbains (via la gare de Bercy) et véhicules au GNV (Gaz Naturel pour Véhicules) pour approvisionner ses magasins. Si cette innovation logistique est sur le papier très séduisante, dans les faits elle est difficile à supporter financièrement. Monoprix peine à impliquer d'autres distributeurs dans ce mode afin d'assurer sa pérennité.
Pour qu'une telle solution se généralise, il est nécessaire que cela touche plusieurs enseignes. Un cadre législatif et réglementaire bien pensé pourrait favoriser ce genre de coopération vertueuse pour l'environnement et la logistique urbaine. Le gouvernement et les collectivités ont leur rôle à jouer pour ouvrir la voie à une profonde modification de la logistique urbaine.
Dans ce cadre, pourquoi ne pas utiliser le projet Coeur St-Lazare pour introduire une logistique urbaine multimodale plus douce dans la capitale? En effet, il est envisageable d'avoir des entrepôts en périphérie de Paris, là où le foncier est moins cher, permettant d'approvisionner par le rail la gare Saint-Lazare. Ces flux « verts » approvisionneraient non seulement les magasins de la gare mais également ceux du quartier (notamment le Printemps et les galeries Lafayette), via un mode doux (véhicules GNV ou électriques) pour les derniers kilomètres.
Ces derniers kilomètres sont précisément ceux qui coûtent le plus cher dans la logistique urbaine. Le dernier km peut représenter jusqu'à 20% du coût total du transport pour la grande distribution. Peu d'acteurs de la logistique du dernier kilomètre parviennent à trouver un modèle économiquement viable. Dans le contexte de Saint-Lazare, la volumétrie de marchandises à transporter de la gare aux Printemps et aux galeries Lafayette permettrait l'émergence d'un tel acteur. Au final tout semble prendre place, cette solution logistique mutualisée et propre réduirait les coûts des enseignes de distribution, la SNCF proposerait un nouveau service à valeur ajoutée, les flux de marchandises sur les voiries du quartier seraient limités, la pollution sonore réduite, l'impact sur l'environnement également et la gare Saint-Lazare deviendrait un bel exemple d'innovation en urbanisme.
Une telle avancée pourra donner un coup d'accélérateur à la logistique urbaine qui possède des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Evidemment, de nombreuses contraintes doivent être résolues pour qu'une telle solution voie le jour. Par exemple, le trafic de la gare Saint-Lazare est saturé et les approvisionnements ne pourraient se faire que la nuit et, pour des raisons de sécurité, les gares sont tenues d'être fermées la nuit.
La principale difficulté réside toutefois dans la coordination et la coopération des acteurs impliqués : la mairie de Paris, la Ségécé, SNCF Gares &Connexions, VFLI (groupe SNCF spécialisée dans le fret de proximité) et les enseignes de distribution pour ne citer qu'eux. Le cadrage et la gestion d'un projet aussi complexe nécessite de nombreuses compétences et connaissances liées aux différents métiers.
Les plus grandes réussites découlent toujours des projets les plus ambitieux.