La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le recrutement est souvent le premier sas générateur de discrimination [1], entraînant une panne ou tout du moins un ralentissement de l'ascenseur social.
Pourtant selon une étude récente [2], la diversité des ressources humaines, dès lors qu'elle est bien managée, crée de la valeur et de la richesse pour l'entreprise. Elle augmenterait la rentabilité de 5 à 15 %, selon les types d'activité [3].
Une raison de plus pour agir dans ce domaine sensible et en fort développement ces dernières années grâce aux initiatives des secteurs public et privé.
L'Etat a fait de son engagement dans la lutte contre les discriminations « un impératif légal » en promulguant la Loi sur l'Egalité des chances (en mars 2006) venue renforcer les lois de 2001 contre toutes les formes de discriminations, notamment celles à l'embauche. Cette loi a, entre autre, élargi le pouvoir d'action de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) créée en 2004, instauré la valeur juridique de la méthode du testing [4], et créé l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances en faveur des personnes rencontrant des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle.
La HALDE joue un rôle central dans le dispositif institutionnel déjà abondant (structures ministérielles, Pôle Emploi, etc.) de lutte contre les discriminations à la fois par son travail de recherche et d'analyse et par ses actions.
Ainsi, le dernier rapport annuel de la HALDE [5] confirme que l'origine et le handicap sont deux critères récurrents de discrimination (devant le sexe et l'âge) et rappelle que les discriminations s'exercent principalement dans le domaine de l'emploi, qui concentre à lui seul la moitié des réclamations totales.
La HALDE et l'OIT ont publié en 2010 le 4ème baromètre sur les discriminations au travail réalisé par l'institut CSA [6]. Plusieurs faits se dégagent :
- La lutte contre les discriminations dans le monde du travail est perçue comme un enjeu important par les salariés du privé (96%) comme par les agents de la fonction publique (97%)
- La perception par les agents publics du risque d'être exposés aux discriminations se rapproche de celle des salariés du privé
Les actions de la HALDE pour faire face à ce constat sont nombreuses: sensibilisation et formation, nouvelles méthodes de recrutement, adaptation des structures de la vie professionnelle, etc., comme en témoignent les « best practices » répertoriées [7] : le KIT de recrutement développé par Valeo, Diagnostic visant à promouvoir la diversité de Danone, Mise en place du CV anonyme chez Axa France, etc.
Cependant, dans la lutte contre la discrimination sociale, la contrainte législative et l'impulsion institutionnelle de la HALDE ne sont pas suffisantes pour garantir la mixité des profils. Celle-ci passe en effet par l'implication forte et volontaire des entreprises, des organisations du secteur public et de leurs managements respectifs.
Sensibles à cette problématique, plusieurs sociétés ont mis en place des mécanismes visant une plus grande équité professionnelle comme la formation des recruteurs, la diversification des canaux de recrutement, la communication sur les métiers ou encore le suivi sexué des candidatures. La diversité, considérée comme un levier pour attirer de nouveaux talents et renforcer la cohésion sociale, est placée au coeur de leurs préoccupations.
Le secteur privé s'est véritablement saisi du sujet de la diversité le 22 octobre 2004, lors de la signature de la Charte de la diversité par 33 grandes entreprises et PME. Proposée par Claude Bébéar et Yazid Sabeg, la Charte compte désormais plus de 2700 signataires. Elle exprime la volonté d'agir des entreprises pour mieux refléter, dans leurs effectifs, la diversité de la population française. Elle guide l'entreprise dans la mise en place de nouvelles pratiques, notamment concernant le recrutement, en y associant l'ensemble de ses collaborateurs et partenaires. Le 12 octobre 2006, cette dynamique est renforcée, avec la signature d'un accord interprofessionnel sur la diversité par l'ensemble des partenaires sociaux.
Si la Charte n'a aucune valeur juridique, elle est tout de même le signal fort vers l'extérieur de l'engagement du monde économique envers l'acceptation et la valorisation des différences.
Ainsi, toujours selon le baromètre sur les discriminations de la HALDE datant de 2010, les organisations se sont engagées en faveur de la mise en oeuvre d'une politique formalisée et de son évaluation :
- 90% des entreprises s'engagent formellement (chartes, conventions) ;
- 77% lancent des plans d'actions et 73% désignent une instance ou une personne dédiée ;
- 61% suivent et évaluent les actions mises en oeuvre (contre 51% en 2008).
Enfin, les secteurs public et privé ont agi main dans la main le 11 septembre 2008, lors du lancement du Label Diversité par l'Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines (ANDRH) et l'AFAQ-AFNOR. Le Label Diversité est une véritable norme obligeant les candidats à se plier à un cahier des charges très strict et à un audit. En outre, ce label a vocation à devenir international comme en témoigne les discussions débutées en 2006 entre les ministères allemands et français pour créer un Label Diversité franco-allemand. En 2010, de grands groupes comme Ramstad France, Areva, General Electrics sont devenus titulaires de ce label, tout comme la ville de Lyon, première commune à l'obtenir.
Au regard de ces éléments, plusieurs constats peuvent être effectués sur la diversité en entreprise comme enjeu de recrutement :
- Le dispositif légal français est globalement complet pour promouvoir la diversité ;
- Le dispositif institutionnel dans son ensemble reste dispersé malgré l'importance de la HALDE, alors même que de nombreuses entreprises sont demandeuses d'un interlocuteur unique sur ces questions ;
- Les dispositifs ad hoc, comme les Chartes, Labels et Plan, présentent des résultats contrastés, même si une majorité d'acteurs considère le Label Diversité comme un outil structurant. Une enquête réalisée par le Secrétariat Général de la Charte de la diversité et Inergie montre d'ailleurs que l'appartenance à la Charte de la diversité est l'unique engagement pour une entreprise sur deux [8].
Par conséquent, malgré l'engagement légal, institutionnel et privé, il semble exister encore un décalage entre la volonté d'engagement et les résultats « sur le terrain ». Les études réalisées en France depuis une dizaine d'années indiquent que les discriminations persistent sur le marché du travail. Par exemple, comment expliquer sinon par les discriminations que les femmes aient un niveau de diplôme moyen supérieur à celui des hommes et qu'elles soient, dans le même temps, seulement 25,7% à occuper des fonctions d'encadrement et 10,5% à siéger dans les instances de gouvernance des entreprises du CAC 40 ? [9]
[1] En 2006, l'article 225-1 du Code pénal est modifié, pour aboutir à la liste actuelle de critères qui entrent dans la constitution d'une discrimination : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
[2] IMS-Entreprendre pour la cité, Diversité du capital humain et performance économique, Novembre 2010.
[3]Idem.
[4]Moyen d'investigation destiné à déceler une situation de discrimination. Dans le cas le plus simple, on compare le comportement d'un tiers envers deux personnes ayant exactement le même profil pour toutes les caractéristiques pertinentes, à l'exception de celle que l'on soupçonne de donner lieu à discrimination.
[5] Site du rapport annuel 2009 de la HALDE.
[6] HALDE, Des pratiques pour l'égalité des chances : que répondent les entreprises ?, Guide n°4, 2010
[7] Répertoire des bonnes pratiques de la Halde.
[8] La Charte pour la Diversité en action, 2009.
[9] Deloitte pour le Centre d'Analyse Stratégique, Rapport sur la Diversité, Juin 2010.