Benchmark des Plateformes de Gestion de la…
Simon Polrot est président de l’ADAN , l’Association pour le Développement des Actifs Numériques revient sur la place de l'industrie des crypto-actifs en France.
Simon Polrot est avocat fiscaliste de formation et a exercé durant 4 ans au barreau de Paris. Actif dans l'écosystème blockchain & crypto-actifs depuis 2016, il a fondé l'association Ethereum France et il préside aujourd'hui l'Association pour le Développement des Actifs Numériques (ADAN[1]).
Comment décririez-vous la mission de l’ADAN, et pourquoi est-ce nécessaire pour les entreprises de ce secteur de s’unir ?
L’ADAN est une association qui a été créée en janvier 2020, avec pour objectif de donner une représentation à l'industrie des actifs numériques. Il s’agit donc de rassembler autour d'une structure commune les acteurs professionnels du secteur des crypto-actifs, avec comme objectif le développement de celui-ci. Cela permet de répondre aux enjeux et aux problématiques qui se posent à eux. En faisant exister ces acteurs auprès des institutions, sur le plan médiatique et politique, nous contribuons au développement de ces nouveaux marchés.
Le secteur des crypto-actifs est encore relativement peu développé en France. Ce sont des acteurs de taille moyenne, qui n'ont pas forcément les moyens ou le temps de traiter des enjeux qu’ils ont en commun. Ces entreprises adoptent un raisonnement « business » indépendant les uns des autres, et avoir une approche plus coordonnée est important.
Par exemple, l’AMF requiert un enregistrement pour les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN), qui demande des démarches qui sont parfois complexes sur le plan pratique, et un accès à un compte bancaire. Les relations avec le secteur bancaire et financier ne sont pas toujours évidentes, et le fait d'avoir une structure qui parle au nom d'un grand nombre d'acteurs donne aussi davantage de poids aux positions défendues.
L’ADAN est composé de 70 membres, dont 60 sont des acteurs du monde des actifs numériques. Il y a tous les acteurs de marché : plateformes d'échange, brokers, PSAN, etc. Il y a également tous les prestataires qui sont des prestataires de conseil pour ces acteurs spécialisés, les prestataires qui fournissent des services aux PSAN, comme la fourniture de services d'identité, de conformité, d’analyse transactionnelle, des protocoles… À cela s'ajoutent aussi toutes les initiatives de tokenisation, comme celles dans le monde de l’immobilier, de fonds d’investissements, etc. Avec tous ces acteurs représentés, les enjeux sont très variés, nous avons une vision assez transverse sur l’ensemble du marché.
Quel bilan faites-vous de la première année d'existence ?
Les circonstances ont fait que nous nous sommes lancés lors d’une année 2020 charnière. Avec la COVID-19, nous n’avons pas pu réaliser l’intégralité des événements et rencontres que nous avions prévus, mais nous nous sommes rendu compte qu'il y avait un vrai besoin de représentation de l'industrie compte tenu de l’émergence de nombreux enjeux réglementaires et business autour du développement des crypto-actifs.
Premièrement, 2020 a été l’année de la mise en application du régime PSAN avec l'expiration du délai de grâce pour l’enregistrement obligatoire au 18 décembre. Ce fut donc une année très intense, qui se poursuit d'ailleurs maintenant, sur la partie mise en conformité des acteurs. Ce fut l'année de la révélation du projet de réglementation européenne MiCA[1] ainsi que du Pilot Regime[2], sur l'encadrement des acteurs cryptos, qui devrait impacter le secteur à long terme.
Ce fut également une année charnière concernant les stablecoins, avec des expérimentations à la Banque de France, auxquelles nous avons contribué, mais aussi beaucoup de discussions et d'échanges autour de leurs enjeux, avec le spectre de Libra, la cryptomonnaie stable de Facebook, qui plane dans les discussions. Enfin, de façon plus générale, 2020 fut l’année du réveil du marché des crypto-actifs. On assiste depuis quelques mois à un changement de perspective et de perception du grand public et des institutionnels sur ces actifs et sur leur valeur. Nous sommes par exemple très sollicités sur ce qui se passe aux Etats-Unis, où de nombreux institutionnels et entreprises investissent, cela attire beaucoup l’attention.
Nous avons dépassé en 2021 les 70 membres actifs, et désormais des entreprises étrangères souhaitent également adhérer. Il y a une vraie demande et nous recrutons actuellement pour aller dans ce sens.
Notre premier bilan est donc extrêmement positif, 2020 a été une très belle première année pour l’ADAN.
[1] MiCA (Market in Crypto-Assets) est une régulation européenne en discussion depuis la fin de l’année 2020 https://www.sygna.io/blog/what-is-mica-markets-in-crypto-assets-eu-regulation-guide/
[2] Le Pilot Regime est un régime pour le développement des technologies blockchain par les participants de marché en Europe https://www.linklaters.com/en/insights/blogs/fintechlinks/2020/october/the-eu-proposed-pilot-regime-for-digital-security-infrastructure-a-game-changer-for-security-tokens
Malgré le dynamisme actuel des crypto-actifs, on s’en fait l’image d’un marché de niche. Cette conception est-elle encore réaliste ou sommes-nous, à l'inverse, en train d'assister à une démocratisation de ces nouveaux actifs ?
Cette industrie n’est pas encore l'industrie dominante. L’industrie porteuse de valeur est d'abord l'industrie financière traditionnelle. Les choses bougent beaucoup aux Etats-Unis, en Asie et à Londres concernant un rapprochement de l'industrie des crypto-actifs et de l'industrie financière traditionnelle. Il y a une ouverture, des signaux récents très positifs, notamment aux Etats-Unis, et un réveil du marché qui accompagne ce regain d'intérêt des acteurs institutionnels.
En France et en Europe, l'industrie des crypto-actifs est moins développée. Cela se ressent beaucoup dans la taille des acteurs français : il s’agit principalement de TPE-PME, essentiellement des acteurs vraiment natifs du secteur. Quelques sociétés sont en train de grandir, en scale-up, par exemple, Ledger.
Pour autant, nous ne sommes clairement pas les fers de lance de l'industrie crypto. En France, c'est dû à plusieurs facteurs : le premier étant évidemment la grande frilosité des acteurs privés autour de ces crypto-actifs. Le plus gros blocage provient des banques, car elles empêchent aussi les acteurs crypto de se développer : ils ont des relations très difficiles avec le secteur bancaire, et rencontrent des difficultés à ouvrir un compte bancaire. Évidemment, être une entreprise basée en France et ne pas pouvoir avoir de compte bancaire, cela pose un grand nombre de problèmes pour effectuer ses activités.
Il y a, globalement, un manque d’intérêt, et donc de connaissances et de financements par les acteurs privés dans ce secteur. La conséquence est évidemment que l'industrie est restée relativement petite. Mais, les choses changent : on voit beaucoup de marques d'intérêt qui se développent, à la fois du secteur privé et du secteur public sur les crypto-actifs en général. Le sujet des stablecoins a fait bouger les choses. Il y a beaucoup de questionnements qui se posent sur l’opportunité de mettre en place une initiative au niveau européen.
Le secteur des prestataires de services numériques, donc des intermédiaires dans l'achat et la vente de crypto-actifs, s'est complètement normalisé pendant l'année. La grande majorité des entreprises est maintenant enregistrée ou en cours d'enregistrement auprès de l’AMF de l’ACPR. Le secteur a donc obtenu une certaine légitimité de par l’aspect réglementaire. On espère que cette légitimité va avoir des effets très positifs sur le développement du marché. Mais, en comparant l'industrie française et européenne au reste du monde, et plus précisément aux Etats-Unis et à l’Asie, nous avons à peu près deux cycles de marché en retard. Ce que nous vivons maintenant, les acteurs américains l'ont vécu en 2014-2015, le retard de développement est assez fort.
Pour autant, notre industrie est très dynamique. C'est un secteur qui est en fort développement, nous espérons avoir en France quelques gros acteurs du monde des crypto-actifs avec aussi un réveil des institutionnels sur le secteur. En France, le réveil de l’innovation est parfois un peu tardif, mais il peut être très rapide.
Quel impact la crise de la COVID-19 a-t-elle eu sur les marchés des cryptos-actifs ?
Le lien de cause à effet est compliqué à déterminer, mais la crise a eu pour effet un apport massif de liquidités sur les marchés. Bitcoin apparaît de plus en plus comme une valeur refuge, et finalement comme un support d’investissement alternatif par rapport aux actifs traditionnels. La crise de la COVID-19 a donc probablement joué un rôle de catalyseur et mis en valeur les crypto-actifs. Nous avons été sollicités par de nombreux acteurs qui souhaitaient comprendre comment les crypto-actifs pourraient aider lors de la sortie de la crise.
2020 aura aussi été une année charnière avec l’explosion de la finance décentralisée (DeFi) . Quelles sont les tendances dont vous constatez l'émergence en 2020 pour les acteurs français ?
Malheureusement il y a peu d’acteurs nativement français dans la finance décentralisée. L’un d’eux est membre de l’ADAN, il s’agit de Paraswap[1], une plateforme d'agrégation de liquidité sur différentes plateformes d'échanges décentralisées. D'autres équipes françaises de l’industrie DeFi[2] ont fait le choix de ne pas ne pas constituer leur société en France, parce qu'elles avaient des craintes sur le régime juridique applicable à la DeFi en Europe de façon générale, et sont donc parties dans des pays hors Europe.
Pour autant, il y a un intérêt très fort des développeurs français pour ces protocoles. Il y a énormément de Français qui travaillent pour de gros protocoles de la DeFi, comme Curve ou Aave. Il y a une appétence très forte pour le sujet en France, mais une vision que la réglementation française et européenne n'est pas adaptée à la DeFi, qu’elle pose trop de risques et d'incertitudes juridiques pour y baser sa société.
Il n’y a pas eu de prise de position jusqu’ici sur la DeFi en France ou dans l’Union européenne. Les acteurs étaient donc inquiets de tomber dans le cadre de la régulation financière classique, MiFID, assez lourde.
C'est un secteur qui est très porteur en ce moment, avec beaucoup de nouveaux produits qui sont lancés, de façon quasi-journalière, donc les acteurs du milieu ne pouvaient pas attendre un signe des régulateurs.
De plus, le modèle de la finance décentralisée n’est pas forcément celui d’une société classique. Les modèles de gestion décentralisée, avec des redistributions de revenus à des détenteurs d’un jeton de gouvernance, des distributions de jetons, etc., c'est aussi une réinvention de modèles d'affaires. Cela a forcément de l'impact sur la façon dont les entreprises se construisent, car elles ont moins besoin d'avoir une structure dans un pays en particulier, alors que la réglementation l’exige. Dans ce contexte d’incertitude, le manque de positionnement de l’Union européenne pousse les acteurs vers d’autres pays.
Au contraire, aux Etats Unis, les décisions de justice prises par la SEC, le régulateur financier, permettent de comprendre les attentes des autorités sur la décentralisation.
[2] La finance décentralisée (Decentralized Finance, DeFi) est un ensemble de services financiers programmés sur les blockchains publiques telles qu’Ethereum, permettant à plusieurs dizaines de milliards de dollars de fructifier sur de nombreux produits financiers, sans intermédiaires
Il n’y a aucun grand groupe parmi vos adhérents. Est-ce que vous les encouragez à vous rejoindre dans les mois et années à venir ?
Nous sommes très ouverts à l'adhésion des grands groupes, nous serions ravis d’accueillir des projets de crypto-actifs de leurs entreprises. Mais, pour l'instant, nous n’avons pas vu ce type d’intérêt. Nous avons échangé avec plusieurs grands groupes, mais en France ils sont encore plutôt focalisés sur des projets de blockchain privées ou sans lien avec des crypto-actifs, notamment pour la traçabilité. Bien que très intéressants, ces sujets ne comportent pas de problématiques complexes à traiter. Cependant, il y a des débuts de marques d'intérêt, notamment d'un certain nombre de filiales de grands groupes, leurs filiales d'innovation, qui vont probablement se conclure par des adhésions. Pour autant, les grands groupes eux-mêmes n'ont a priori pas prévu de devenir adhérents dans un futur proche.
Il y a aussi parfois des blocages politiques. Il est impossible pour des membres d’une banque française d'adhérer à l’ADAN par exemple. Ce que nous savons, c’est que certaines équipes aimeraient adhérer à l’ADAN, ou a minima travailler avec nous. Pour autant, il n’y a pas d'engagement possible sur la partie crypto-actifs dans les banques françaises. Nous espérons que cela va changer, car les choses avancent rapidement à l'étranger, nous ne voulons pas que le secteur bancaire français se retrouve complètement en retard de ses concurrents. Nous attendons un déclic à ce niveau-là.
Bitcoin est une valeur refuge dans sa conception, c'est peut-être une des raisons qui font que les actifs sont parfois perçus comme des concurrents des acteurs institutionnels. Concrètement, quelles sont les relations entre ces deux mondes ?
Historiquement, effectivement, c'est un secteur qui s'est construit en opposition, ou en tout cas à côté, qui n’est jamais très facile à intégrer dans un système existant. Nous avions déjà vu ce phénomène avec la révolution Internet.
Le secteur financier, globalement, a considéré que les crypto-actifs étaient soit un jouet pour geek pas très intéressant, soit quelque chose d'assez dangereux, utilisé essentiellement pour le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent.
Évidemment, pour le système financier traditionnel qui est lui déjà effectivement extrêmement régulé et encadré, il était difficile de déterminer comment ce nouvel actif pouvait s'insérer dans ses modèles d'affaires existants.
Je pense que tout cela est en train d'évoluer, notamment aux Etats-Unis, avec l’OCC, le régulateur des banques américaines : en janvier, l’OCC a clarifié la possibilité pour les banques de se connecter à des blockchains publiques et participer à leur gouvernance, et effectuer des paiements et tenir des comptes en stablecoin. Il s’agit là d’une révolution conceptuelle par rapport à l'approche habituelle du secteur en France.
En Europe, nous sommes en retard à ce niveau-là. Il y a des équipes dans les banques, bien sûr, qui sont au fait et qui essaient de faire progresser le sujet, mais il y a encore beaucoup de blocages au niveau des directions générales.
Cette tendance est moins marquée dans le reste du monde de la finance : les places de marché, les fonds d’investissement, peuvent être plus allants sur le secteur et plus curieux. Nous avons de très bonnes relations avec les associations de la place financière comme l’AMAFI, l’AFTI, l’AFG, Paris EUROPLACE, etc., et nous cherchons à développer ces relations. Nous avons des groupes de travail en commun. Nous sommes très volontaires aussi sur le sujet pour essayer de faire progresser les mentalités, et je pense que cela porte déjà ses fruits !
L'objectif pour 2021 est d'embarquer le secteur bancaire aussi dans l'initiative. En effet, ce serait une erreur stratégique pour les banques de ne pas vouloir s'intéresser au secteur des crypto-actifs.
Voyez-vous des projets qui visent à unir ces deux mondes ?
Il y a un certain nombre de cas d’usage plus utiles aux banques qu’aux acteurs crypto sur les blockchains publiques. Je pense en premier lieu aux stablecoins. C’est extrêmement cohérent, puisque le métier d'une banque, c'est avant tout de gérer l’émission et les transferts de monnaie commerciale représentée de différentes manières. Les stablecoins ne sont jamais qu’une nouvelle forme de représentation de la monnaie, donc ce serait normalement le métier traditionnel des banques. Aujourd'hui, elles ne sont pas sur le secteur parce qu'elles n’y voient pas d’intérêt.
Outre cette mission, les banques jouent un rôle de support d’investissement, de conseiller bancaire. On pourrait tout à fait imaginer qu'à terme, dans quelques années, votre conseiller bancaire vous propose des placements sur des produits liés aux cryptos. Nous parlons aujourd’hui de concurrence entre deux marchés mais, en réalité, il s’agit du même marché.
Le régime français offre des garanties réglementaires aux acteurs qui doivent s’enregistrer. Ne s’agit-il pas d’un cadre en faveur de l’innovation ?
Ce régime est un régime adapté, qui est moins lourd que le régime traditionnel des PSP (Prestataires de Services de Paiements) ou d'autres acteurs financiers traditionnels. Il a en plus une innovation très intéressante, qui est le caractère optionnel de l’agrément, et qui a beaucoup apporté en termes de progressivité. C’est positif et ceci a constitué un exemple. D'ailleurs, le régime qui a été mis en place en France a beaucoup inspiré le projet de réglementation européen.
En revanche, il ne faut pas trop se faire d'illusions non plus sur l'avantage compétitif réglementaire, pour plusieurs raisons. Dans les pays de droit anglo-saxon, comme les Etats-Unis ou l'Angleterre, le régulateur a eu une approche très pragmatique et a analysé cette nouvelle activité au prisme des grands principes qui régissent l’activité sur les marchés traditionnels sans imposer des obligations inadaptées. Ceci s’est passé aux Etats-Unis à partir de 2011. Dès 2014-2015, les acteurs savaient relativement bien ce qu'ils devaient faire et comment ils pouvaient être dans les clous de la FinCEN, le gendarme financier américain, et comment ne pas risquer de sanctions. En France, l’AMF a fait un très beau travail, mais son travail a débuté en 2016, relativement tard et dans la limite de ce qu'elle pouvait faire, c'est à dire proposer un règlement et un nouvel encadrement juridique, avec toutes les lenteurs et problématiques que cela implique : le régime doit être voté, mis en application, etc.
Concrètement, cela veut dire que le régime en place est actif depuis un mois, là où les acteurs américains ont davantage de sécurité juridique depuis 2015-2016. Évidemment, en termes de tempo de marché, notre régulation a beau être plus claire, nous sommes en retard.
Cependant, le régime favorise à mon sens l'ouverture aux grands groupes et institutionnels qui, sachant que l’AMF est derrière, savent qu’il est possible, légal et légitime de faire quelque chose avec le bitcoin et tous les autres crypto-actifs.
Que pensez-vous de la future réglementation européenne MiCA ?
Deux textes sont sortis récemment, il s’agit de MiCA et du Pilot Regime. Ils sont tous deux inspirés de la réglementation française en place.
La brique supplémentaire de MiCA, qui n'était pas dans le régime français, c'est celles des stablecoins. Sur ce point, les retours sont extrêmement négatifs. Il s’agit d’une approche radicale pour empêcher Libra d'être distribuée en Europe. En supprimant toute possibilité concrète pour des acteurs européens d'émettre de stablecoins privés, ce texte prive l’innovation d’une brique fondamentale.
Les stablecoins ne sont rien d’autres que de la monnaie légale sur blockchain. C'est quelque chose dont toutes les entreprises du secteur ont besoin pour développer leur activité. Aujourd'hui, nous le remarquons à l’ADAN, il y a un certain nombre de membres qui payent leurs cotisations en crypto-actifs, et, afin de sécuriser notre trésorerie, nous demandons des règlements en stablecoins. Le résultat est que nous gérons concrètement du dollar, par faute de stablecoin Euro.
Le fait qu'il n'ait pas de stablecoin indexé sur l’euro va clairement être un frein au développement de l'industrie. Le projet de la Banque Centrale Européenne ne sera pas lancé avant 5 ans (si la décision est finalement prise), et n’a pas vocation à concurrencer les stablecoins privés étasuniens.
À cause de ce retard et de l’incertitude réglementaire, une entreprise installée en France devra payer des impôts en euros tandis qu’elle est payée en dollars. Il s’agit d’une étape administrative supplémentaire.
L’approche des instances européennes est trop défensive et nous semble mauvaise, dans un domaine où l’innovation ne fait que débuter et où nous aurions tout intérêt à construire un géant européen.
Il y a une autre partie sur laquelle nous sommes déçus : le Pilot Regime. L’idée était de permettre aux acteurs de demander des exemptions particulières sur la réglementation européenne qui s'applique aux titres financiers pour développer des cas d'usages innovants. Concrètement, le Pilot Regime était très ambitieux et permettait d’envisager de nombreux cas d’usage : DeFi, offres de security tokens, remplacer les dépositaires centraux par une blockchain, etc. Ces expérimentations auraient pu intéresser l’ensemble du secteur financier. Malheureusement, le texte tel qu'il a été présenté est réservé aux blockchains privées et aux acteurs déjà régulés avec une licence MTF (Multilateral Trading Facility) ou CSD (Central Securities Depository).
Qu’envisagez-vous pour 2021 pour le secteur des crypto-actifs ?
De façon générale, malgré les critiques que je porte aux cadres réglementaires franco-européens, nous espérons qu’une fois les blocages levés, un grand dynamisme français émergera.
L’ADAN est clairement l'association européenne crypto la plus active et la plus représentative. Nous sommes très sollicités à l'échelon européen et auprès des autres acteurs, car nous sommes l’une des seules à être vraiment structurée et à porter des positions construites sur tous les sujets.
Avoir atteint les 70 membres à l’ADAN en un an, c’était un très beau signal et nous sommes convaincus que ce dynamisme est pérenne.
D’ailleurs, la croissance du secteur en France n’est pas du tout bloquée, elle est simplement en retard. C’est un retard qui est tout à fait rattrapable et je pense que nous avons beaucoup de champions, notamment dans l'industrie financière en France, qui, une fois intéressés par le sujet, sauront développer des activités très intéressantes dans le secteur, et nous serons évidemment là pour les aider.
Cette croissance des projets sur blockchains publiques semble avoir pour effet une diminution du nombre de projets sur blockchains privées. Constatez-vous cette tendance ?
Oui, tout à fait. Il y a un fort ralentissement des projets de blockchain privées. Ceux qui perdurent sont souvent des projets déjà bien avancés. Nous n’avons pas eu d'échos significatifs de projets qui auraient démarré en 2020 sur des blockchains privées. Ce que l’on constate, c'est que l'intérêt se décale de plus en plus vers les projets sur blockchains publiques, notamment autour du retour en grâce des crypto-actifs.