Aller au contenu principal

Faut-il aller vers des politiques d'individualisation de la rémunération ?

Alors que les administrations Françaises, poussées par la LOLF, mettent en oeuvre une politique d'individualisation des rémunérations, des groupes comme L'Oréal, Renault, AXA ou Cap Gemini font semble t-il machine arrière sous la pression des syndicats.

L'inflation qui progresse en Europe entraîne notamment une focalisation des revendications des salariés et des syndicats sur des augmentations générales pour rattraper la perte du pouvoir d'achat depuis cinq ans...

Pourtant, depuis les années 70, les politiques d'individualisation de la rémunération se sont largement répandues. Elles ont longtemps été associées aux fonctions commerciales pour lesquelles un variable individuel était universellement recommandé pour booster les ventes. Aujourd'hui, une politique d'individualisation de la rémunération va jusqu'à l'individualisation des augmentations de salaire. Selon une étude de la Dares, en 2004, comme en 2003, les deux tiers des salariés augmentés ont bénéficié d'augmentations individualisées.

Quelles sont donc les raisons, les avantages de ce type de politique qui ont poussé à un tel développement ? Et quels en sont les limites et les risques d'un tel dispositif ?

Qu'est-ce qu'une politique d'individualisation des rémunérations ?

Une politique d'individualisation de la rémunération consiste à faire dépendre de la contribution et de la performance individuelle du salarié, une partie plus ou moins importante de sa rémunération globale.

Cela peut s'exprimer de deux façons différentes (cumulables ou non) : soit par un variable individuel, soit par une augmentation individuelle du salaire fixe.

En ce qui concerne le variable individualisé, celui-ci sera sous forme de prime monétaire annuelle pour les populations de non-cadres et de cadres moyens, voire même mensuelle pour des populations commerciales. Pour les cadres dirigeants, cela peut être complété par l'attribution de stock options ou de distribution d'options gratuites.

L'augmentation individuelle du salaire sera, elle, moins adaptée aux salariés les moins qualifiés dont la rémunération est proche des minima légaux. Dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants ou de la construction, qui emploie une proportion importante de ces salariés, on constate par exemple que les augmentations générales seules sont plus répandues.

Enfin, la partie individuelle de la rémunération peut être déterminée sur la base de différents critères d'évaluation : la performance individuelle sur une période donnée, le potentiel individuel, les compétences acquises, et/ou le comportement du salarié. Les modèles anglo-saxons prônent une individualisation sur des critères de performance individuelle.

Les origines du développement de cette tendance

Ces politiques de rémunération ne sont pas nouvelles dans la mesure où Taylor avait imaginé dès le début du 20em siècle le salaire à la pièce, ou salaire au rendement. Celui-ci avait mené une étude des temps et une analyse du travail, avec comme conséquence l'attribution à chaque poste de travail d'une rémunération différenciée. Si elle était tout à fait révolutionnaire, cette nouvelle conception de la rémunération restait à l'époque plus liée à un niveau de poste au sein d'une hiérarchie, qu'à une mesure de la performance individuelle.

Dans les années 1980, le concept d'individualisation des salaires est de plus en plus répandu : les politiques de rémunération doivent désormais prendre en compte l'impact des restructurations et le dynamisme du marché du travail, ainsi que de nouveaux besoins. En effet, depuis 20 ans, la structure des effectifs et les aspirations des salariés ont progressivement changé. Les baby-boomers intègrent massivement les entreprises au cours des années 1960. Mieux formés, mieux informés, bénéficiant d'un confort sans commune mesure avec leurs parents, ils n'ont pas les mêmes attentes que leurs collègues plus anciens. Le salaire collectif et fixe ne répond ni à la diversité croissante des postes de travail, ni à leur évolution rapide.

Dans les années 2000, la nouvelle génération affirme haut et fort sa priorité donnée à l'apprentissage, à l'acquisition de nouvelles compétences et son droit à l'évolution individuelle. La perte de la sécurité de l'emploi, qui a touché de plein fouet la génération de leurs parents, a sans conteste entraîné mécaniquement chez cette nouvelle génération la perte d'un sentiment d'appartenance à l'entreprise, tout en laissant une place plus importante à la vie extra professionnelle et aux loisirs. Elle affiche une réelle indépendance vis-à-vis de l'entreprise dans laquelle ils savent qu'ils ne sont que de passage : pour cette nouvelle génération ; la priorité est donnée au gain court-terme sur la base de résultats individuels.

Les enjeux d'une politique d'individualisation des rémunérations

Au delà de la nécessité pour l'employeur de prendre conscience du 'deal' qui se joue avec ses salariés, une politique de rémunération individualisée présente bien des avantages qui ont permis de pousser en faveur de son développement dans la plupart des pays européens, et de descendre les échelons des hiérarchies, jusqu'à concerner la haute maîtrise voire même les employés.

Un levier de motivation individuelle

Si l'on se fonde sur l'idée que le salaire est l'élément essentiel de la motivation et de la mobilisation de l'individu au travail (Théorie X de Mc Grégor), une politique de rémunération individualisée a pour avantage de motiver les salariés et de favoriser l'émulation. Ce type de politique se trouve donc particulièrement appliquée aux populations de commerciaux, parmi lesquelles un esprit de compétition sain peut favoriser le dépassement des objectifs.
Grâce à des objectifs élevés mais atteignables, une politique de rémunération individualisée permet de renforcer la motivation du collaborateur. Cette illustration graphique nous présente un système de rémunération motivant grâce à sa sélectivité: 50% de l'effectif touche entre 75% et 125% de l'enveloppe individuelle prévue. Le différentiel entre les plus performants et les moins performants est évident. Cela vaut la peine de faire des efforts pour se situer parmi les plus performants !

 

La flexibilité de la main d'oeuvre

De plus, attribuer des augmentations individualisées en fonction des performances entraîne une sélection naturelle des collaborateurs :la fidélisation des salariés les plus performants, ceux dont la contribution individuelle répond aux exigences de l'entreprise,et à l'inverse, le découragement des salariés jugés peu productifs,Elle permet également à l'employeur de proposer un niveau de rémunération plus élevé pour attirer les talents ou les collaborateurs aux compétences les plus rares.

Un levier de performance économique pour l'entreprise

A travers un alignement clair et visible entre la stratégie, les objectifs de croissance de l'entreprise et ses attentes vis-à-vis de ses salariés, nous assistons à une clarification du deal entre employeur et salariés. L'individualisation valorise l'impact individuel de la contribution de chacun sur les résultats de l'entreprise. Grâce à une performance collective transcendée par la somme des performances individuelles, elle peut donc être un véritable levier de création de valeur ajoutée. Son coût sera d'autant plus sécurisé qu'elle sera alignée sur les résultats financiers de l'entreprise. Cela permet alors une meilleure maîtrise de l'évolution de la masse salariale.

Les limites d'une politique d'individualisation des rémunérations

Cependant, derrière leur ambition de clarté affichée, les politiques de rémunérations individualisées cachent des problématiques complexes souvent liées au fonctionnement humain de l'entreprise.

Ne pas construire une usine à gaz

En cherchant à établir un lien entre performance financière et contribution individuelle, le risque est grand d'aboutir à des systèmes d'évaluation complexes, mal acceptés ou mal compris par le collaborateur et en conséquence inefficaces. Un système de rémunération individuelle réussi doit garantir un lien clair entre la performance individuelle effective, le niveau d'atteinte des objectifs et la rémunération versée. L'exercice le plus difficile est notamment d'isoler la contribution individuelle de la contribution collective, ou de circonscrire le périmètre d'action directe du collaborateur pour y lier une partie de sa rémunération. Pour les fonctions supports comme les Ressources Humaines par exemple, ce type de politique sera plus difficile à mettre en place car la performance individuelle relève plus d'une mesure qualitative que quantitative.

La difficulté de sanctionner

Introduire des augmentations de salaires individualisées induit forcément une perte de pouvoir des syndicats par la moindre importance donnée aux augmentations générales collectives. Par ricochet, un regain de pouvoir et de responsabilité est donné à la ligne managériale. Celle-ci se retrouve en effet en première ligne pour défendre cette politique. Alors que dans les entreprises anglo-saxonnes, on n'hésite pas à attribuer 0% d'augmentation individuelle aux 5% de collaborateurs jugés non productifs, la relation manager - collaborateur à la française est plus affective. Il restera souvent difficile pour un manager évoluant depuis des années dans une entreprise aux valeurs très paternalistes, d'annoncer à un salarié qu'il aura 0% d'augmentation cette année car ses résultats ne sont pas conformes avec le niveau attendu par l'entreprise.

Le risque d'émergence de comportements individualistes contre productifs

Une politique de rémunération individuelle trop poussée peut provoquer une perte du sentiment d'appartenance à l'entreprise et une moindre mobilisation pour les projets communs de l'entreprise. Peu d'entreprises peuvent se permettre de laisser proliférer des comportements trop individualistes pouvant nuire à la dimension collective de la contribution. L'augmentation individuelle sera donc souvent accompagnée d'une augmentation générale : les augmentations totalement individualisées ne se pratiquent que dans le secteur des activités financières (40 % des salariés). De la même façon, il est rare de trouver des entreprises qui cumulent augmentation individuelle et variable individuel. Nous avons en tête l'exemple du groupe PSA qui a choisi de contrebalancer sa politique de rémunération individualisée par des composantes de rémunération collectives.

Conclusion

Même si un tel système de rémunération reste complexe à décliner à l'échelle de l'entreprise, il est aujourd'hui un élément indispensable d'une politique de gestion des ressources humaines compétitive.

Le succès d'une politique de rémunération repose sur sa transparence et sa cohérence avec les valeurs et la culture de l'entreprise. Or une politique de rémunération individuelle peut entraîner une modification des valeurs et de la culture car elle entraîne une plus forte autonomie et responsabilisation individuelle. L'équilibre entre dimension individuelle et collective est donc la clé de voûte d'une politique de rémunération réussie et relève d'un choix propre et spécifique à chaque entreprise.

Mais l'enjeu primordial est de faire le lien de façon concrète entre la stratégie de développement, la politique et la culture d'entreprise, et de faire adhérer l'ensemble des collaborateurs à cette alchimie complexe. Il est donc crucial de concevoir la politique de rémunération et ses outils avec le management de l'entreprise pour garantir sa compréhension et son appropriation.