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Gaz : le super contrat Chine – Russie

En négociation depuis plus de 10 ans, le contrat gazier entre la Chine et la Russie a finalement été signé en mai 2016. Il permettra au chinois CPNC de répondre en partie à l’augmentation de la demande nationale de gaz et au russe Gazprom de diversifier son portefeuille de clients.

Un grand rapprochement Chine-Russie

Les termes du contrat gazier

C’est en présence du président Vladimir Poutine et de son homologue Xi Jinping que le gigantesque contrat de fourniture de gaz de la Russie vers la Chine a été signé le 21 mai. Gazprom et CNPC se sont engagés pour 30 ans à hauteur de 38 Mds m3 livrés par an. Le géant gazier russe devrait commencer la livraison du gaz dès 2018 en utilisant le pipeline « Power of Siberia » pour acheminer le gaz jusqu’en Chine[i]. Un investissement de plus de 55 Mds $ côté russe et 20 Mds $ côté chinois.

Le prix convenu de la molécule de gaz est tenu secret mais d’après les médias russes, le contrat rapporterait plus de 400 Mds $ soit environ 350 $ les 1000 m3. Un accord tarifaire un peu décevant pour la Russie, qui vend son gaz en moyenne à 380 $ les 1000 m3 sur le marché européen.

Cependant, après 10 années de négociations, la Russie peut se féliciter de la conclusion de ce contrat qui lui permet de s’ouvrir un nouveau marché et d’assurer ainsi un débouché alternatif à un volume considérable de son gaz. En effet, la quantité de gaz échangé rebat les cartes pour les deux parties…

Son impact sur le mix d’approvisionnement chinois

La Chine est le plus grand consommateur d’énergie au monde et ses besoins continuent d’augmenter, particulièrement en gaz naturel. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit qu’en 2040, la consommation de gaz du pays devrait plus que tripler pour atteindre près de 600 Mds m3[ii]. Au vu des prévisions de production du pays, les imports de gaz devraient passer de 60 en 2015 à plus de 230 Mds m3 par an. Dans ce contexte, le contrat de fourniture entre Gazprom et CNPC est le bienvenu.

Le mix d’approvisionnement gazier de la Chine est aujourd’hui très tourné vers le Turkménistan, qui représente près de la moitié des imports avec 28 Mds m3 livrés en 2015[iii]. L’accord signé placera donc la Russie en premier fournisseur de gaz pour la Chine.

 

Vers une dépendance moindre de la Russie à l’Europe

Côté russe, ce contrat est également un véritable game-changer. Le second producteur mondial de gaz a pu exporter 208 Mds m3 de gaz en 2015. L’AIE prévoit que le niveau des exportations par an a minima se maintienne jusqu’en 2040. Des volumes considérables alors que le portefeuille de clients de la Russie est très peu diversifié.

En effet, en 2015, 77% des exportations russes étaient destinées à l’Europe avec notamment 47 Mds m3 livrés en Allemagne[iv]. Grâce à l’accord conclu, la Chine deviendra donc le deuxième client de Gazprom. Toujours loin derrière l’Europe mais permettant tout de même d’assurer un débouché limitant la dépendance russe au marché européen.

Un avantage non négligeable étant données les tensions existantes entre les deux acteurs et face aux sanctions européennes, qui s’inscrit dans une véritable volonté russe de se détourner de l’Ouest au profit de l’Est. Ce contrat semble d’ailleurs être le premier d’une longue série à venir sur le plan énergétique. En juin, un protocole d’entente a été signé entre Gazprom et CNPC sur le stockage souterrain de gaz et la génération d’électricité[v]. Une transition sur les plan économique et mais aussi géopolitique semble donc s’amorcer…

Et un éloignement Europe-Russie

L’Europe est aussi très dépendante du gaz russe

Face à cette volonté russe d’assainir son portefeuille de clients, l’Europe, grand importateur de gaz russe, a de quoi s’inquiéter. En effet, alors que l’Union Européenne des 28 a importé plus de 330 Mds m3 de gaz en 2015[vi], près de 40% provenaient de Russie. Dans certains Etats membres, la sécurité d’approvisionnement pose un réel problème.

Alors que trois nouveaux gazoducs sont en construction et deux additionnels en projet, le partenariat Europe-Russie ne semble pas arrivé à son terme. Cependant, ces capacités de livraison supplémentaires marquent plutôt la volonté de Gazprom de ne plus faire transiter son gaz par l’Ukraine qu’une augmentation à venir des imports européens en provenance de la Russie.

Le super contrat Chine-Russie n’a pas pour but de réduire les exportations russes vers l’Europe. Cependant, la Russie aura une certaine liberté d’arbitrage au niveau de ses livraisons. Une fois libérée de la contrainte de transit via l’Ukraine, elle pourra d’autant plus utiliser son gaz comme arme de négociation. Dans ce contexte, l’approvisionnement en gaz de l’Europe semble peu sécurisé.

 

La stratégie de sécurité d’approvisionnement en gaz européenne

Consciente de ces facteurs et suite aux crises ukrainiennes de 2006, 2009 et 2014, l’Europe a mis en place une stratégie pour limiter les risques liés à ses importations de gaz.

Des politiques énergétiques pour mieux peser face à la Russie ont été créées depuis plusieurs années. Elles sont principalement axées sur le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) et des achats sur le marché spot, le développement des moyens de stockage ainsi que l’intervention des entreprises européennes en amont dans les projets de nouveaux gisements ou infrastructures[vii].

En 2014, la Commission Européenne a demandé aux Etats membres de réaliser des « stress tests »[viii]. Ils devaient simuler deux cas de perturbation de l’approvisionnement de 1 à 6 mois :

  • Un arrêt complet des importations russes,
  • Une halte des importations russes qui transitent par l’Ukraine.

Les impacts par pays varient considérablement selon leur mix d’approvisionnement. Même si les résultats de ces tests ont montré qu’en coopérant les différents Etats pourraient tenir jusqu’à 6 mois, la Commission a par la suite demandé à ce que chacun prépare un plan pour garantir régionalement la sécurité d’approvisionnement. Des mesures à plus long terme ont également été formulées avec un accent mis sur l’efficacité énergétique en vue de diminuer la consommation et sur la part des renouvelables dans les mix électriques nationaux.

 

La France : les bénéfices d’un mix gazier équilibré

Le mix gazier français est en effet l’un des mieux équilibrés d’Europe. Avec une production presque inexistante, la quasi-totalité des 46 Mds m3 consommés en 2015[ix] ont été importés. Le principal fournisseur des français est la Norvège. La Russie ne représente que 14% du mix[x]. Cette diversification s’est principalement réalisée au profit du GNL. La France dispose en effet de 4 terminaux méthaniers d’une capacité totale de presque 35 Mds m3 soit plus de 75% de sa consommation. De plus, les capacités de stockage représentent entre 25 et 30% de la consommation[xi]. Cela permet de limiter les conséquences d’une éventuelle coupure d’approvisionnement. Les risques notamment géopolitiques liés aux importations de gaz sont donc assez bien gérés.

 

Il semblerait donc que la signature de ce super contrat gazier entre la Chine et la Russie n’impacte pas fortement l’approvisionnement en gaz de la France. L’Europe met tout en œuvre pour être également la plus diversifiée possible au niveau des importations gazières. Malgré les tensions, elle reste encore le plus gros client de Gazprom, qui souffrirait grandement d’un arrêt de ses exportations vers le vieux continent et ce même en fournissant 38 Mds m3 à la Chine.