Benchmark des Plateformes de Gestion de la…
Bien que les réseaux de chaleur soient encore peu connus du grand public, des actions de communication telles que la Semaine de la Chaleur Renouvelable de décembre dernier sont l’occasion de témoigner de la volonté de verdir la chaleur livrée par ces réseaux.
Depuis la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte, qui fixe un objectif ambitieux de 38% de chaleur renouvelable livrée en 2030, de plus en plus de projets voient le jour. Bénéficiant d’un atout considérable avec son sous-sol géothermique, l’Ile-de-France pourrait être un modèle pour d’autres régions en exploitant une ressource locale et verte.
La géothermie est par nature une énergie locale inégalement répartie sur le territoire car dépendante des caractéristiques géologiques souterraines. Directement issue du sol, cette ressource est disponible à tout moment, gratuite et renouvelable. En France, seules 3 régions présentent un potentiel géothermique à des températures intéressantes[1] : l’Ile-de-France, la Nouvelle-Aquitaine, et le Grand Est. Les réseaux de chaleur sont un moyen d’exploiter cette énergie, en particulier lorsqu’il s’agit de géothermie basse et moyenne température (entre 30°C et 90°C et entre 90°C et 150°C). La géothermie très basse température (<30°C) « de surface » est, quant à elle, présente partout mais ne demeure exploitable qu’avec de petits réseaux adaptés aux faibles températures.
L’Ile-de-France est le premier gisement géothermique français et représente la plus grande densité d’opérations géothermiques[2] au monde selon l’ADEME[3]. Ce constat s’explique par des ressources géothermales abondantes et une forte demande très localisée en chauffage et eau chaude sanitaire. Le potentiel géothermique sur aquifères profonds de la région est en effet estimé à 4 TWhep[4] en 2020. Il pourrait ainsi couvrir plus de 12% des consommations de chaleur en 2020 soit 1 million d’équivalents-logement.
En 2016, la France comptait 33 réseaux de chaleur géothermiques dont 29 situés en Ile-de-France d’après l’annuaire des réseaux de chaleur et de froid Via Sèva. Avec 98% de la chaleur géothermique délivrée à l’échelle nationale[5], les réseaux géothermiques franciliens alimentaient 70 000 équivalents-logement[6] en 2016.
Malgré son potentiel, l’énergie géothermique livrée reste faible dans le mix énergétique des réseaux franciliens : elle représentait 0,84[7] TWh/an en 2016 soit seulement 21% du potentiel géothermique de l’Ile-de-France à l’horizon 2020. De plus, le développement de la géothermie dans le mix énergétique des réseaux d’Ile-de-France a eu tendance à stagner ces dernières années. La part de la géothermie dans le mix énergétique des réseaux de chaleur franciliens représentait 6% en 2010 et 7% en 2016 selon la FEDENE[8]. Certes la production géothermique augmente chaque année, cependant les besoins de chaleur augmentent également. La stagnation illustre ainsi une croissance encore insuffisante de l’exploitation de l’énergie géothermique pour répondre aux besoins de l’Ile-de-France.
Pourtant de nouveaux projets de réseaux de chaleur géothermiques voient le jour chaque année. Depuis 2016, au moins 16 réseaux géothermiques se sont développés en Ile-de-France et intègrent plus d’EnR&R[9] que la moyenne régionale.
Alors que le gouvernement a fixé des objectifs de verdissement de la chaleur ambitieux[10], l’Ile-de-France participe à la dynamique via de nouveaux projets de réseaux géothermiques. Entre 2016 et 2018, le nombre de réseaux de chaleur géothermique est passé de 29 à 45[11].
Ces nouveaux réseaux présentent une part d’EnR&R nettement supérieure à 50% et environ 8 fois supérieure à celle des autres réseaux régionaux[12], traduisant une réelle tendance notamment analysée dans l’étude EnergyLab sur les réseaux de chaleur : Les réseaux de chaleur en France 2015-2030, 15 ans pour mobiliser 10 Mds€ d'investissements dans les infrastructures. La croissance des réseaux de chaleur est portée par le développement des EnR&R et les objectifs de verdissement de la chaleur. Si certains atteignent 85% d’énergie géothermique, une complémentarité avec le gaz persiste, indispensable notamment pour répondre aux pointes de consommation dues aux aléas climatiques.
Outre la création de réseaux ex-nihilo, les opérateurs des réseaux de chaleur participent également aux projets d’extension ou encore de « géothermisation » de réseaux existants. Ils s’inscrivent ainsi dans la dynamique de verdissement tout en s’affranchissant des investissements lourds liés aux forages profonds. Grâce à l’ensemble de ces opérations, la chaleur livrée par les réseaux géothermiques aurait doublé entre 2016 et 2018.[13]
La région Ile-de-France et l’ADEME (via le fonds chaleur) apportent un soutien notable en participant aux investissements de plusieurs millions d’euros. Elles jouent également un rôle dans l’accompagnement des projets et des collectivités locales et montrent une vraie prise de conscience face au potentiel restant à exploiter. Elles ont ainsi lancé fin 2018, la 8ème session d’appel à projets Réseaux de chaleur dont le but est de financer les projets d’extension, de création, de densification ou d’interconnexion de réseaux de chaleur, pour les réseaux valorisant plus de 50 % d’EnR&R. L’ADEME encourage même les porteurs de projets à rechercher un taux supérieur (65-70% d’EnR&R).
Alors que l’énergie géothermique et les réseaux de chaleur restent encore méconnus du grand public, les collectivités locales d’Ile-de-France, à l’initiative des projets, jouent elles aussi un rôle essentiel. Avides de nouveaux projets ambitieux, elles intègrent systématiquement l’étude d’installation d’un réseau de chaleur lors de la création d’un nouveau quartier et présentent ainsi de belles opportunités pour les acteurs du secteur.
Si les projets de réseaux de chaleur se développent, l’investissement moyen d’un tel réseau reste important pour les collectivités locales, de l’ordre de 30 millions d’euros pour 10 000 équivalents-logement en Ile-de-France. Ce coût comprend les études menées en amont du projet, la construction des centrales de production (chaufferies, puits géothermiques, récupération de chaleur), la création du réseau de distribution, le forage et l’installation des capteurs géothermiques. Dans le cas particulier des réseaux de chaleur géothermiques, les coûts sont d’autant plus importants que les conditions techniques sont complexes. La connaissance de la ressource géothermale demeure également limitée dans certaines zones, rendant l’évaluation par sondage indispensable, associée à un investissement lourd sans garantie de résultat[14].
L’organisation spatiale des villes est une contrainte technique supplémentaire à prendre en compte. Les réseaux de chaleur doivent s’intégrer dans le sous-sol déjà bien exploité des villes (électricité, gaz, eau potable, eaux usées, télécom etc.) en particulier dans une région dense telle que l’Ile-de-France.
L’implantation d’un réseau de chaleur nécessite ainsi une étude technico-économique afin de valider la faisabilité et la rentabilité du système. Elle fait intervenir des facteurs qui ne peuvent être évalués que localement, au cas par cas. La densité thermique (énergie consommée par mètre linéaire) est un des facteurs les plus critiques pour juger de la pertinence économique d’un réseau. Plus celle-ci est faible, plus le temps de retour sur investissement sera important. Ainsi, plusieurs critères doivent être réunis : une concentration de consommateurs nombreux et stables pour stabiliser au mieux le réseau (hôpitaux, pressings, piscines, hôtels et entreprises diverses).
La région Ile-de-France et l’ADEME apportent néanmoins des mesures d’aide conjointes en participant notamment aux financements des projets. Plusieurs niveaux d’aides sont ainsi proposés en fonction de critères d’éligibilité.
Au-delà des différentes aides proposées au niveau national et régional, les collectivités locales tendent à mutualiser leurs coûts. Ainsi, 17%[15] des réseaux de chaleur géothermiques en Ile-de-France sont multi-communaux, c’est-à-dire partagés entre plusieurs collectivités.
L’ensemble de ces dispositions pourrait en outre permettre d’atteindre les objectifs de développement des réseaux géothermiques.
Les objectifs de l’Ile-de-France déterminés à partir du potentiel de la région prévoient en effet 3 TWh d’énergie géothermique livrée par les réseaux de chaleur en 2030 et 4 TWh en 2050 selon le SRCAE. Pour atteindre l’objectif en 2030, il faudrait ainsi multiplier par 3,5 l’énergie géothermique livrée en 2016 et par 2 l’énergie distribuée en 2018[16]. En conservant l’évolution annuelle constatée entre 2010 et 2018, soit une croissance moyenne annuelle de 5,5%[17] et l’accélération actuelle, l’objectif de 3 TWh serait atteignable en 2030. Encouragée par les subventions et la prise de conscience des collectivités, l’Ile-de-France s’affiche ainsi comme un modèle concernant le développement des réseaux de chaleur géothermiques.
Néanmoins pour poursuivre la dynamique et la décliner dans d’autres régions de France il s’agit de renforcer encore davantage les moyens mis à disposition. Dans un contexte énergétique et fiscal tendu, le Fonds chaleur constitue un levier important, d’ailleurs plébiscité par les associations du secteur. En 2017, la région Ile-de-France bénéficiait d’une aide de 15 millions d’euros via le Fonds Chaleur, Sia Partners estime qu’il faudrait porter ce montant à 50 millions d’euros en 2019[18] pour pouvoir développer les réseaux de chaleur géothermiques régionaux et exploiter 100% du potentiel géothermique indiqué par le BRGM.
Au-delà des mesures financières il est essentiel de sensibiliser les consommateurs et acteurs publics au sujet des réseaux de chaleur et aux bénéfices tirés de l’exploitation de ressources locales diversifiées et peu coûteuses. Si le cadre national est important, c’est bien une réflexion à mener à la maille locale, et dans laquelle les collectivités doivent être motrices pour proposer avec les opérateurs des solutions toujours plus économiques et innovantes.
Notes et sources
[1] Supérieures à 70°C selon le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BGRM)
[2] Les opérations géothermiques englobent les pompes à chaleur et les forages de toutes profondeurs.
[3] Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie
[4] Ep : énergie primaire. L’énergie primaire est l’énergie disponible dans la nature avant toute transformation. Estimation réalisée par le SRCAE : Schéma Régional du Climat, de l’Air et de l’Energie
[5] Selon l’annuaire des réseaux de chaleur et de froid Via Sèva 2016-2017
[6] Le nombre d’équivalent-logement d'un réseau correspond au nombre de logements qui seraient raccordés par ce réseau s'il n'alimentait que des logements. Il est estimé à partir des livraisons en prenant en compte un logement moyen. Selon l’AMORCE, 1 équivalent-logement = 12 MWh utiles. L’énergie utile est la part de l’énergie qui est réellement exploitée.
[7] Selon l’annuaire des réseaux de chaleur et de froid Via Sèva 2016-2017
[8] Fédération de services Energie Environnement
[9] Energies renouvelables et de récupération
[10] Objectifs LTECV : quintuplement des quantités de chaleur renouvelable et de récupération livrées par les réseaux de chaleur à horizon 2030 par rapport à 2012 et un passage de 7,5% à 38% d’EnR&R dans la consommation finale de chaleur
[11] Selon l’annuaire Via Sèva et les informations des sites des acteurs des réseaux de chaleur
[12] Analyse Sia Partners d’après données Via Sèva et acteurs
[13] Elle est passée de 0,8GWh à 1,6GWh environ selon données Via Sèva et acteurs
[14] C’est une opération coûteuse et longue qui peut parfois se solder par un échec (température ou débit exploitable insuffisant par rapport aux prévisions, absence totale de ressource, acidité du fluide géothermique trop élevé donc inexploitable).
[15] Analyse Sia Partners d’après données Via Sèva
[16] Analyse Sia Partners d’après données Via Sèva et acteurs
[17] Analyse Sia Partners d’après données Ile-de-France FEDENE
[18] Analyse Sia Partners d’après bilan Fonds Chaleur ADEME et objectifs LTECV