La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Face à l’indisponibilité momentanée d’une partie de ses ressources et notamment de son parc nucléaire, la France a accentué durant l’hiver 2016-2017 son recours à l’importation d’électricité auprès de ses voisins européens.
Le solde exportateur français d’électricité, s’il reste positif, a ainsi atteint son niveau le plus bas depuis 2012, année du pic de froid. Plus qu’un événement isolé, ce chiffre est révélateur d’une tendance de fond, qui est celle d’une généralisation du recours aux importations pour satisfaire la demande d’électricité. Cette évolution n’est pas sans conséquence sur la nature du mix énergétique réel, ainsi que sur sa teneur en carbone, car il intègre ainsi une part d’électricité plus carbonée que celle produite dans l’Hexagone. Un phénomène qui pose de nouveaux défis pour le respect de ses objectifs climatiques.
Avec une balance excédentaire de 39,1 TWh sur ses échanges d’électricité en 2016, la France conserve son statut historique de plus gros exportateur net d’Europe, devant son voisin allemand. Néanmoins, le solde des exports français, avec une baisse spectaculaire de -36,6% par rapport à l’année précédente, a atteint son plus bas niveau depuis 2012.
La France a ainsi importé en 2016 32,6 TWh d’électricité, pour 71,7 TWh exportés. A titre de comparaison, on a relevé 40% d’importations en plus sur le mois d’octobre, par rapport à la même période de l’année précédente[i]. Autre fait marquant, elle a été dans une situation d’importateur net sur le mois de décembre, avec un solde à -0,13 TWh en moyenne.
Au global, la tendance qui se dessine depuis 2011 est celle d’une hausse des échanges transfrontaliers pour couvrir la consommation française. Si le niveau d’exportation est variable selon les années, les quantités importées connaissent une hausse quasi-continue. En 2016, elles représentent en volume plus de 6% de la quantité d’électricité annuelle consommée[ii]. Comment expliquer le recours croissant aux importations, alors même que la France présente des moyens de production excédentaires ?
Structurellement, la prépondérance du chauffage électrique rend la consommation d’électricité française plus thermosensible que celle de ses voisins, ce qui nécessite de solliciter davantage la production étrangère pour faire face à la demande d’énergie. Cela a été le cas pendant la vague de froid survenue mi-janvier 2017 : pendant trois jours consécutifs, plus de 3 000 MW d’électricité ont été importés car la puissance de production, inférieure à 90 000 MW, ne permettait pas de couvrir une demande à 93 000 MW[iii].
Cependant, l’aléa climatique seul ne suffit pas à justifier cette différence. L’indisponibilité d’une grande partie du parc nucléaire d’octobre 2016 à janvier 2017 en raison d’inspections par l’Autorité de Sûreté Nucléaire - avec jusqu’à 21 réacteurs sur 58 à l’arrêt en novembre, a entrainé une baisse importante de la production d’électricité alors même que la consommation était en hausse. D’autre part, les délais plus longs (quelques minutes pour une centrale à gaz, jusqu’à 3 jours pour une centrale nucléaire) et les coûts importants de mise en fonctionnement des centrales d’appoint donnent l’avantage au recours à l’importation en provenance des pays voisins pour couvrir la demande à moindre coût.
Les importations françaises en électricité donnent une large préférence à la zone CWE, constituée de l’Allemagne, de l’Autriche et du Benelux. La France est d’ailleurs importatrice nette vis-à-vis de l’Allemagne, en raison du fort développement des filières photovoltaïque et éolienne outre-Rhin, et de la contribution allemande à la couverture de certaines pointes de demande hivernale. Viennent ensuite par ordre de quantités importées la Suisse, l’Espagne, puis le Royaume-Uni et l’Italie.
On constate néanmoins une variabilité saisonnière dans la structure des échanges. Cette variation est due à la nature des différents mix énergétiques de chaque pays, les conditions météorologiques pouvant impacter les capacités de production (éolien et solaire par exemple) et donc les quantités d’énergie disponibles à l’export.
En été, la France a tendance à moins importer en provenance de la zone CWE au profit de la Suisse. Alors que l’énergie éolienne représentait à elle seule 13% du mix électrique allemand en 2015, les énergies renouvelables ne représentent que 4% du mix helvète, ce qui rend sa production moins sensible aux vents moins forts observés en cette saison[iv]. Par ailleurs, le fort poids de l’hydraulique en Suisse lui permet de produire rapidement et à tout moment de l’électricité (ressource stockée). Les importations en provenance de l’Espagne sont très faibles durant les mois d’été malgré une forte production d’origine solaire, et le Royaume-Uni et l’Italie ne sont vraiment sollicités qu’au plus froid de l’hiver. Cela s’explique par des prix locaux de l’électricité en moyenne plus élevés[v], qui incitent la France à n’importer en provenance de ces trois pays qu’en cas de déficit de production – c’est-à-dire en hiver quand la production repose sur les moyens les plus carbonés (thermique notamment). Quoi qu’il en soit, les disparités des parcs de production nationaux et profils de consommation présentent une complémentarité qu’il est judicieux de mettre à profit dans une logique d’optimisation économique, et pour gagner en flexibilité.
Le mix électrique français est de loin le moins carboné en Europe, en raison de la prépondérance historique du nucléaire. De plus, depuis quelques années et pour satisfaire les objectifs climatiques de la COP21, la France souhaite faire la part belle aux sources d’électricité renouvelables. Ces choix énergétiques se traduisent par une intensité carbone de la production électrique faible, à 79 grammes de CO2 par équivalent kilowattheure, pour une moyenne de l’Union Européenne à 429 gCO2/kWh (moyennes annuelles 2012)[vi].
Néanmoins, le recours croissant aux importations modifie le mix électrique réel par rapport à celui d’une production indigène. On observe ainsi une différence (significative lors d’un jour très froid comme le 6 février 2017) entre l’intensité le mix électrique de la consommation réelle, et l’intensité carbone d’un mix de production électrique 100% français. L’impact carbone des importations est plus limité au printemps qu’en hiver, en raison des quantités inférieures mais aussi de la teneur moins carbonée de l’électricité importée.
Les imports d’électricité peuvent donc dégrader le bilan carbone français global, qui est thermosensible. La maîtrise du mix énergétique, pourtant primordiale pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, est de ce fait relative.
Plus qu’une tendance, le recours aux importations devrait se renforcer sur le long terme. En 10 ans, la France a augmenté de 40% ses capacités d’interconnexions avec ses voisins, pour atteindre une capacité de 13,5 GW à l’export et 9,8 GW à l’import fin 2015, bien au-delà du seuil de 10% de la capacité de production nationale assigné comme objectif par l’Europe dans le Paquet Union de l’Energie[vii]. Par ailleurs, la dérégulation croissante des prix de l’électricité crée une logique de marché où il est par moments beaucoup plus intéressant d’acheter de l’électricité à ses voisins pour couvrir la demande que de la produire soi-même. Il y a donc fort à présager que nous allons vers une augmentation du taux d’utilisation de ces interconnexions. Comment faire coïncider cette réalité avec les engagements climatiques ?
La hausse des importations pose la question de la maîtrise du mix énergétique, à l’heure où la France a pris des engagements sur la part des énergies fossiles et renouvelables. Dès lors, les objectifs ne seront atteints qu’au prix d’efforts réalisés conjointement avec les autres pays de l’Union Européenne pour verdir le mix énergétique.
Outre les engagements sur les émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne s’est dotée d’objectifs ambitieux de réduction des consommations : -20% par rapport au scénario tendanciel 2020, -27% à horizon 2030[viii]. Or, le recours aux importations se présente comme une alternative à d’autres moyens pour faire face à la demande électrique lors des périodes de pointe, comme les mécanismes d’effacement ou la réduction de la consommation par les individus. Des efforts pour une plus grande sobriété énergétique à l’échelle nationale doivent donc être consentis et engagés au même titre que le développement des infrastructures d’interconnexion au niveau européen, afin de garantir le respect des engagements climatiques, conjointement au développement de moyens de production renouvelables de pointe qui restent encore à développer via des solutions de stockage.
Notes et Sources :
[i] Bilan mensuel octobre 2016 de RTE
[ii] Calcul sur le bilan électrique 2016 de RTE
[iii] Déclaration RTE
[iv] BDEW Bundesverband der Energie – und Wasserwirtschaft, 2016
[v] Analyse Sia Partners d’après des données Eurostat : prix pour les consommateurs industriels dans les pays de l’Union Européenne
[vi] « CO2 Emissions from fuel combustion 2012 », Agence Internationale de l'Energie
[vii] Rapport de la CRE sur les Interconnexions électriques et gazières en France, juin 2016
[viii] Paquet Energie Climat 2020 de 2008