La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Une étape supplémentaire vient d'être franchie dans la tarification transparente et la lutte contre le gaspillage de l'eau en France.
Le 24 septembre dernier un décret émis par le premier ministre, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et par le ministre de l'intérieur étend l'obligation qu'a un service d'eau potable d'informer l'abonné d'une augmentation anormale du volume d'eau consommé susceptible d'être causée par une fuite au plus tard lors de l'envoi de la facture.
Ce décret, entrant en vigueur au 1er juillet 2013, permet un plafonnement de la facture d'eau en cas d'une fuite d'eau après compteur dans les locaux d'habitations.
Tout d'abord, il convient de noter que seules les fuites d'eau de canalisations sont concernées par ce décret. Les fuites liées aux appareils domestiques (lave-linge, chasse d'eau, radiateur par exemple) ne sont pas prises en compte. Une fois l'information de surconsommation parvenue à l'abonné par son fournisseur d'eau, ce dernier dispose d'un mois pour fournir au service d'eau potable une attestation d'une entreprise de plomberie qui mentionne la localisation de la fuite et la date de sa réparation. Si ces démarches sont effectuées, le montant de la facture d'eau ne peut alors excéder le double de la consommation habituelle. L'abonné peut demander une vérification du compteur si la fuite reste indétectable. En cas de dysfonctionnement, il n'a rien à payer au titre de la surconsommation. La « consommation habituelle » correspond à la moyenne de la consommation sur les trois dernières années.
De plus, le volume d'eau imputable à la fuite n'entre pas en compte dans le calcul de la redevance d'assainissement.
Véolia, Lyonnaise des Eaux et SAUR, principaux services en eau français, ont lancé, ces dernières années, des offres d'assurance et d'alerte fuites. De même, Eau de Paris ou encore le Syndicat des Eaux d'Ile de France (SEDIF) proposent de tels services.Le principe de ces offres se rapproche sous plusieurs aspects du décret. En effet, un client ayant souscrit à une offre « Assurance fuite » se verra rembourser, en cas d'une fuite de canalisation déclarée, le montant dû à la surfacturation. La fuite, comme pour le décret, doit avoir été constatée et déclarée par un professionnel.
Une offre « Alerte fuite » nécessite un compteur intelligent, permettant un relevé a minima quotidien de la consommation d'eau. L'abonné peut suivre au plus près ses consommations et est alerté en cas de consommation anormalement élevée. Cependant, le développement de telles offrent reste limité. En effet, outre la nécessité de la mise en place d'une technologie de télérelève, seuls les abonnés du distributeur proposant l'offre peuvent y souscrire. A l'inverse, une offre de type « assurance fuite » peut être souscrite par un abonné dont l'approvisionnement en eau est géré par un autre distributeur.
Les offres « Assurance et Alerte Fuites » se fondent sur deux principes commerciaux :
L'entrée en vigueur du décret poussera très probablement les différents acteurs à repenser leurs stratégies commerciales sur ce segment. En effet, un abonné pourra se poser la question de pourquoi souscrire à une telle offre si la loi le couvre ?
Si ce décret semble menacer des offres dites « smart » (les offres « Assurance et Alerte Fuites » en leur état actuel), il offre paradoxalement une opportunité d'insérer à grande échelle les technologies « smart » dans le cycle de la gestion de l'eau.
En effet, du point de vue des distributeurs, pouvoir détecter une fuite le plus vite possible pour prévenir l'abonné devient un facteur de rentabilité. Effectivement, en cas de fuite, le compteur tourne et les volumes de fuites peuvent basculer rapidement dans le périmètre à prendre en charge par le distributeur. Or cette eau qui fuit a un coût de production et d'acheminement. Coûts qui se transforment en pertes pour le distributeur si l'abonné n'est plus facturé pour ces volumes de fuites.
Suivre et maitriser sa consommation apporte également des bénéfices à l'abonné. En effet, selon le décret, la prise en charge de surconsommation s'effectue uniquement au-delà du double de sa consommation moyenne sur les trois dernières années, le reste est à sa charge. Or la consommation moyenne annuelle par habitant s'élève à 54,7m3 et elle est de 120m3 par ménage [1] (un ménage comprenant en moyenne 2,3 habitants [2]). Avec un prix moyen de l'eau de 3,62€ TTC/m3 (1,90 pour la distribution et 1,72€ pour l'assainissement [3]), La consommation moyenne annuelle représente donc un budget de 434,4€ TTC par ménage. Payer 868,8 par an pour un ménage au lieu de 434,4 n'est donc pas négligeable.
De plus, certaines villes ou communautés d'agglomérations ont déjà opté pour une tarification progressive de l'eau. Par exemple, le Syndicat mixte pour l'alimentation en eau de la région de Dunkerque (SMAERD) a lancé le 1er octobre 2012 une tarification progressive de l'eau. Cette tendance devrait s'affirmer dans les années à venir. Dans ce type de tarification, la part entre la consommation « normale » et le double sera forcément payée au prix fort par le consommateur.
Enfin, ce décret va dans le sens d'une volonté politique et publique de lutte contre les fuites et contre le gaspillage. Or détecter rapidement une fuite nécessite la mise en place des technologies dites « smarts », notamment les compteurs permettant le suivi en temps réel de la consommation. Si le compteur d'eau est hors domicile, la fuite peut rester invisible jusqu'au prochain relevé de facture. Dans un contexte où l'eau est devenue un bien « fragile », la préserver est devenu indispensable. De plus, dans l'habitat collectif, des solutions comme le comptage individuel télérelevé permettent, en plus de facturer les consommations réelles de chaque foyer, de localiser rapidement d'éventuelles fuites. Des dégâts des eaux pouvant affecter un grand nombre de foyer peuvent ainsi être prévenus.
Pour l'ensemble des parties prenantes, la détection rapide d'une fuite d'eau est donc bénéfique. Néanmoins, une des principales difficultés demeure la définition des règles de détection des fuites. Comment savoir si une hausse supérieure à la consommation habituelle est imputable à une fuite ou non sans rentrer dans la vie privée du consommateur ? L'ensemble des acteurs de la gestion de l'eau réfléchissent à l'élaboration de seuils au-delà desquels l'eau consommée est imputable à une fuite.
Une piste de réflexion pourrait être, au lieu de regarder ce que l'abonné consomme, de regarder ce qu'il ne consomme pas. Pour une majorité d'abonnés, la consommation en eau entre 0h00 et 6h00 est logiquement quasi nulle. Ainsi, si une consommation d'eau constante est observée sur cette période pendant plusieurs jours, il est légitimement envisageable qu'une fuite soit à l'origine de cette consommation.
Ce décret s'inscrit dans une logique de facturation de l'eau au plus juste tout en limitant le gaspillage. D'autres conséquences législatives pourraient voir le jour dans les prochaines années. En effet, la proposition de loi instaurant une tarification progressive de l'énergie est en cours d'élaboration, bien qu'actuellement retoquée par le Sénat. Or les articles 13 et 14 de cette proposition portent respectivement sur la « possibilité d'introduire un tarif social de l'eau » et sur le « lancement d'une expérimentation sur une tarification progressive de l'eau ». Il est également indiqué dans ce rapport que, selon Madame Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, le gouvernement met en place « un dispositif national d'expérimentation, reposant sur une sorte d'appel à projets des collectivités territoriales jusqu'à la fin de 2013 ».
Les collectivités ont donc tout intérêt à promouvoir le Smart Water, permettant d'éviter le gaspillage de l'eau de par la détection de fuites tout en donnant la possibilité au consommateur de ne payer que ce qu'il consomme. Une telle démarche permet d'anticiper un phénomène sociétal qui est en train de se concrétiser par des contraintes règlementaires.
Notes :
(1) Source : Rapport de l'ONEMA sur l'observatoire des services publics d'eau et d'assainissement (février 2012)
(2) Source : INSEE
(3) Source : Rapport de l'ONEMA sur l'observatoire des services publics d'eau et d'assainissement (février 2012)