La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L’immense défi d’une LPM est de trouver le juste équilibre entre l’ambition stratégique et l’exercice budgétaire.
Je veux que notre outil militaire s'adapte pour répondre aux crises d'aujourd'hui et de demain, ainsi qu'aux nouveaux modes de conflictualité […]. Et je veux également des mesures à hauteur d'homme, dont l'effet puisse se faire sentir positivement dans le quotidien de vos missions.
C’est en ces termes que le Président Emmanuel Macron a détaillé son ambition lors de ses vœux aux armées françaises le 23 janvier 2018. Quelques jours plus tard, le 8 février 2018, la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 était adoptée en conseil des ministres et devrait être votée par le Parlement cet été.
La LPM planifie les dépenses de l’Etat dans le domaine militaire depuis la présidence de Charles de Gaulle : la première LPM fut promulguée en 1960, année au cours de laquelle le budget des armées représentait encore 5,44% de la richesse nationale. La très médiatique LPM porte donc les ambitions stratégiques des armées et les conjugue au niveau budgétaire. Au-delà des effets d’annonce et des revendications particulières, la LPM est une véritable feuille de route qui cadre l’effort de défense et lui donne une véritable orientation opérationnelle. Presqu’unanimement saluée, la nouvelle LPM représente-t-elle, sinon une révolution, du moins un vrai changement de braquet financier pour la Défense française ?
La Revue Stratégique de Défense l’avait souligné. La LPM le surligne : les défis à venir obligent la France à réaliser un effort de défense conséquent. Les menaces qui pèsent sur l’Europe sont changeantes, instables, multiples et imprévisibles. Les dépenses militaires mondiales n’ont de cesse d’augmenter et les récents événements géopolitiques ne laissent entrevoir aucune inversion de la tendance. Ainsi, les données de l’institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) montrent une forte croissance des dépenses militaires mondiales entre 1996 et 2016 : elles auraient augmenté de près de 70% quand, dans le même temps, le budget de la Défense française décroissait lentement.
Partie prenante de cet environnement où se dessinent de nouveaux espaces de conflictualité, la LPM affiche une Ambition : l’Ambition 2030. Celle qui veut bâtir « un modèle d’armée complet et équilibré, capable, de manière soutenable et dans la durée, de garantir le socle fondamental des aptitudes nécessaires à notre défense (dissuader, protéger, connaitre et anticiper, prévenir, intervenir) » tout en garantissant l’autonomie stratégique nationale préalable essentiel à l’autonomie stratégique européenne. Cette ambition souhaite ainsi faire de la France un acteur militaire majeur et crédible sur la scène internationale. Dans cette logique, la LPM veut donc incarner le renouveau des armées et leur (re)donner les moyens nécessaires à remplir les missions qui leur seront confiées.
L’Ambition 2030 passe d’abord par un objectif financier stratégique puisque les 2% du PIB pour le budget de la Défense sont un but hautement politique à atteindre en soi. Le budget n’est donc plus seulement le bras armé de la stratégie générale : il est déjà stratégique en lui-même. Déjà souhaitée par le Président Hollande pour 2022, l’atteinte du palier des 2% est maintenant un objectif pour 2025, date limite de la nouvelle LPM.
A partir de 2019, le budget du ministère augmentera ainsi de 1,7 milliards par an, jusqu’en 2022. Puis de 3 milliards par an à compter de 2023. Pour atteindre 50 milliards d’euros en 2025 et satisfaire ainsi les exigences de l’OTAN (fixées en 2006) en termes d’effort de défense par rapport à la richesse nationale. Cela signifie que 198 milliards d’euros de crédits sont « couverts de manière ferme » pour la période 2019-2023.
L’effort est réel, et même l’ancien chef d’état-major des armées, le général de Villiers s’est « réjoui » de cette LPM[1].
Néanmoins, cette augmentation doit s’analyser dans une perspective diachronique :
Une actualisation de la LPM est prévue en 2021, en fonction du contexte et de la croissance française. Les hausses de budget post 2021 sont donc soumises à l’incertitude inhérente à toute loi d’actualisation. Si l’environnement géopolitique et/ou économique évolue, les présentes prévisions budgétaires pourront être amendées.
Les hausses les plus importantes sont prévues à partir de 2023, soit après le mandat actuel du Président Emmanuel Macron. Le gouvernement s’engage donc sur une période qui outrepasse son mandat électif pour atteindre les 2% du PIB en 2025.
Il ne faut pas oublier que cette LPM s’inscrit dans un contexte de baisse au long cours des crédits alloués aux armées. Davantage qu’une simple augmentation du budget des armées, la LPM est surtout un rattrapage vis-à-vis des années de baisse qui ont précédé les dernières années du quinquennat Hollande.
A ce titre, l’évolution du budget de la Défense corrigé de l’inflation entre 2009 et 2018 illustre bien ce mouvement de rattrapage : les crédits alloués aux armées ne dépasseront le niveau de 2009 qu’en 2020.
Mais au-delà du simple effet d’annonce chiffré attaché à toute LPM, cette nouvelle loi a une utilité politique et opérationnelle.
La LPM s’articule autour de quatre axes majeurs, quatre axes qui structurent l’essentiel de l’Ambition 2030.
Ces 4 axes peuvent être compris à l’aune de trois mots clés :
De même, la LPM insiste beaucoup sur le volet humain, comme pour faire écho au changement de nom du ministère. Le « ministère des Armées » se veut plus proche de ses troupes que le « ministère de la Défense ». Dans cette logique, les 530 millions d’euros dédiés au plan Famille et les crédits alloués au « petit équipement » du militaire donnent des moyens concrets à cette volonté assumée de construire une LPM « à hauteur d’hommes ».
C’est indéniable : le nouvelle LPM porte une ambition, sinon inédite, du moins bienvenue à l’heure où la Défense est présentée comme une des priorités du quinquennat. Néanmoins, le temps et la capacité à appliquer la lettre de la loi seront seuls juges de l’ambition budgétaire qu’elle porte.
A l’aune de cette prudence qui doit accompagner l’exécution de la loi, trois menaces semblent obérer la trop grande confiance qu’on pourrait lui accorder :
Le rapport Chabbert sur le MCO (maintien en condition opérationnelle) rendu le 30 novembre 2017 à Mme Florence Parly soulignait la disponibilité critique de certaines flottes d’aéronefs. « La disponibilité des hélicoptères, des avions de patrouille maritime et de l'aviation de transport tactique ne permet pas d'honorer le contrat opérationnel seuil bas, nécessaire pour répondre à la tenue de la situation opérationnelle de référence et à la préparation opérationnelle » alertait l’ingénieur général de l’armement dans ce rapport. Concrètement, moins d'un aéronef sur deux est en capacité d'effectuer la mission pour laquelle il a été programmé. Et pour cause : la disponibilité des hélicoptères Tigre de l’armée de Terre était de 26% en 2017 par exemple. Celle des Puma de l’armée de l’Air de 28%.
Grevé par de tels déficits capacitaires, les armées avaient besoin d’une « LPM du renouveau ». La nouvelle loi apparait donc comme une loi du rattrapage.
Par conséquent, la nouvelle LPM porte une ambition budgétaire que personne ne conteste. Mais une LPM est avant tout au service de l’ambition politique et stratégique du « modèle d’armée complet et équilibré», modèle qui accuse des retards capacitaires et des lacunes opérationnelles certains.
Finalement, la capacité de l’Etat à respecter ses engagements sur un temps politique très long (7 ans) et la réalisation opérationnelle des prévisions capacitaires conditionnent le succès de la loi et la réalisation de cette ambition, tant budgétaire que politique. A ce titre, la LPM a maintenant le devoir d’emmener dans son sillage tout l’écosystème de la Défense : Etat, militaires et BITD[2]. L’ambition de Défense est à ce prix.
[2] BITD : base industrielle et technologique de défense