La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En 2010, le bitcoin (btc) était échangé contre moins d’un centime de dollar. En Décembre 2017, son cours dépassait la barre des 16 000$, pour retomber aujourd’hui à 6 000$[1].
Soumis à de fortes fluctuations, le bitcoin est parfois considéré comme un pur actif spéculatif. Jean Tirole, nobel français d’économie, tient une position extrême : « le bitcoin n’a strictement aucune valeur intrinsèque ».
Malgré les vives critiques et les discours alarmants qui lui sont adressés, force est de constater que le marché des cryptomonnaies, et plus particulièrement du bitcoin, affiche une certaine résilience. Par ailleurs, auparavant l’apanage d’un public initié, la communauté bitcoin s’élargit en s’ouvrant à des profils plus diversifiés.
Au-delà du débat provoqué par la forte volatilité de son cours, se pose inévitablement la question de la valorisation de cette cryptomonnaie. Le bitcoin a-t-il une valeur intrinsèque ? Si oui, à partir de quels sous-jacents économiques fiables la mesurer, et est-elle totalement décorrélée de son cours de marché ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter un premier éclairage dans cet article.
Sur le marché des changes, le prix du bitcoin est exprimé par rapport aux autres devises. Son cours diffère entre plateformes d’échange, et fluctue au cours du temps, selon des mécanismes classiques d’offre et de demande.
La hausse du cours reflète en conséquence une hausse de la demande pour le bitcoin. Pour autant, cette demande pourrait être d’ordre spéculative, tirée par des mécanismes de finance comportementale, aboutissant à une bulle potentielle et potentiellement pérenne.
Le système financier traditionnel distingue différents types de valorisation :
Les méthodes classiques de valorisation n’étant pas directement applicables, il serait alors tentant de considérer que le bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque, et que son cours résulterait d’une simple pyramide de Ponzi, où la demande justifie la demande.
Cependant, rappelons qu’un « objet a de la valeur s’il est utile et rare ».
Les déterminants de cette utilité sont difficilement quantifiables, ce qui explique l’intérêt et l’émergence de nouveaux modèles s’efforçant de théoriser la valeur du bitcoin.
Déterminer un modèle d’évaluation fiable répond à deux besoins :
Les méthodes d’évaluation du bitcoin pourraient être regroupées en trois principales familles :
En théorie économique classique, il est généralement accepté que le prix d’un bien dans un marché concurrentiel est égal à la somme de ses coûts marginaux de production. Si on suppose que la marge des différents acteurs de la chaine de valeur est nulle dans un marché concurrentiel optimal, le prix d’une table vaut : i) Le prix du bois nécessaire à sa réalisation ; ii) Le prix des traitements/services nécessaires à la préparation du bois ; iii) Le prix des travaux finaux du menuisier.
En appliquant ce même modèle au bitcoin, le prix de la cryptomonnaie serait tiré par les principaux coûts du minage. En effet, lors de la création ou de l’échange d’un bitcoin, pour assurer que la transaction s’effectue de manière sécurisée et fiable, sans nécessiter l’intervention d’une tierce-partie, un processus de calcul (« Proof Of Work ») a lieu. Ce sont les coûts de ce processus qui vont constituer les principaux facteurs du modèle :
Les mineurs étant des agents jugés rationnels, ils mineront afin de maximiser leur profit, ce qui permet de déterminer en fonction des trois éléments cités précédemment le prix optimal du bitcoin.
L’un des corolaires du modèle permet également d’anticiper que la chute du prix du bitcoin ne serait pas la seule réaction possible du marché si une bulle venait à se former : la difficulté cryptographique pourrait augmenter en réaction, rendant ainsi le bitcoin davantage sécurisé et donc valorisé. Ceci met également en avant les possibilités d’arbitrage géographique pour des mineurs professionnels, en les incitant à s’installer dans des pays où le coût d’électricité est bas, tirant profit du fait que le cours du bitcoin est, lui, mondial.
La théorie monétaire classique rapporte l’assiette de « devise » émise à la balance commerciale d’un pays. La logique sous-jacente revient à estimer que le volume d’exportations est négativement corrélé avec la force d’une devise : toute chose étant égale par ailleurs, une devise très forte permet d’importer beaucoup, et d’exporter peu. La valeur d’une devise est alors fonction de la politique inflationniste/déflationniste d’un état, et de sa force commerciale (représentée par sa balance commerciale).
Dans le cas du Bitcoin, devise globalisée par définition, il est difficile de déterminer quelle pourrait être la balance commerciale à considérer. Certaines théories avancent qu’il existe une offre de bitcoins qui répond spécifiquement au besoin d’un pan de l’économie : l’économie grise ou marché noir.
L’anonymité du système Bitcoin a historiquement attiré les trafiquants de drogue, ou les pays victimes d’embargo. Certaines recherches estiment que 72Md$ d’activités illégales sont financées par des échanges en Bitcoins[4]. En rapportant les 120Md$ de la valeur du commerce de drogues illicites (source : ONUDC) aux futurs 21 millions de BTC, il aurait été possible de prédire la valorisation de la cryptomonnaie durant certaines périodes[5].
Cette théorie a pour intérêt de prendre à contre-pied les pensées « pro » et « anti » bitcoin, où tout anti-bitcoin considère qu’il ne s’agit que d’une bulle spéculative. Cet exemple nous démontre que la réalité peut être plus fine, et plus nuancée, tout comme peut l’être également l’économie grise …
Cette méthode s’appuie sur la loi de Metcalfe. Il s’agit d’une loi empirique formulée pour appréhender la valorisation d’un réseau en plaçant sa dynamique de croissance au centre du raisonnement. Elle s’applique à tout mécanisme de réseaux, où la valeur d’un service est exponentiellement liée à son nombre d’utilisateurs (Linkedin, Facebook, AirBnB, …).
A mesure que le nombre d’utilisateurs augmente, l’acceptation technologique et sociale du bitcoin en tant que moyen d’échange se développe, rendant ainsi la cryptomonnaie de plus en plus valorisée. Une autre cryptomonnaie dont le protocole copierait intégralement celui du Bitcoin n’aurait en effet aucune valeur, sans le nombre d’utilisateurs actifs (commerces et/ou acheteurs particuliers), volontaires pour échanger la cryptomonnaie.
Formulation de la loi et les hypothèses du modèle appliqués au BTC : V = a * N^2
Deux limites existent pour autant avec ce modèle :
Pour autant, aussi réfutables que pourraient être ces modèles, ils présentent un même avantage : ils tentent d’expliquer pourquoi ce qui semble être un simple phénomène de société présente une valorisation si importante depuis une dizaine d’années. Commencer à quantifier un modèle revêt parfois autant d’esprit mathématique, que de capacité à conceptualiser de nouveaux enjeux sociétaux. La finance se redéfinit chaque jour, et il n’appartient parfois qu’à nous d’en être les acteurs.
[1] à date d’Octobre 2018
[2] Le bitcoin et ses impacts financiers : la future devise supranationale ?
[4] Sex, drugs, and bitcoin: How much illegal activity is financed through cryptocurrencies?
[5] How I guesstimated the value of Bitcoin in 2014…
[6] Are Bitcoin Bubbles Predictable? Combining a Generalized Metcalfe’s Law and the LPPLS Model - Spencer WHEATLEY, Didier SORNETTE, Tobias HUBER, Max REPPEN, Robert N. GANTNER, Swiss Finance Institute
[7] The Blockchain Story: What’s it all worth?, Vision