La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Si en période de confinement, la radio a connu une forte progression avec une hausse de ses écoutes en ligne, paradoxalement, son business model s’est trouvé fragilisé du fait de la baisse des revenus publicitaires.
Largement plébiscitée pour des campagnes visant à générer du trafic direct vers les points de vente, la radio s’est trouvée nettement impactée par les nombreuses fermetures de magasins.
Néanmoins, en dépit des incertitudes quant à la fragilité des audiences linéaires actuelles et des difficultés rencontrées par les acteurs du secteur, la crise du Covid-19 représente une occasion unique de repenser son modèle et son positionnement. Sia Partners vous propose un tour d’horizon du renouveau et des opportunités concernant les acteurs radio en France pendant cette période de crise.
Les radios privées ont connu une chute majeure de leurs revenus publicitaires au cours de cette crise sanitaire. Si des subventions ou des crédits d’impôts pourraient très concrètement répondre à leurs appels à l’aide, cette situation sans précédent a mis en avant la dépendance quasi exclusive des radios auprès des annonceurs. Et si demain, ces acteurs radios se tournaient vers un modèle davantage “auditeur-centric” ?
Dans le contexte du confinement, la consommation des contenus radio a changé. Les Français ont limité leurs déplacements qui est un moment propice à l’écoute de radio live. Ainsi, l'écoute en ligne de la radio a augmenté de 15% en moyenne sur les deux premières semaines du confinement en France (source ACPM) et depuis le début de cette période, chaque auditeur a écouté +30% de podcasts (source Acast).
L’idée d’une modification de leur modèle économique pourrait être naturellement inspirée par l’univers du podcast natif, qui très tôt, a cherché à diversifier ses revenus.
● L’exemple de Sybel : l’abonnement pour une plateforme avec catalogue et services premium
En février 2019, la plateforme française de podcasts Sybel a levé 5 millions d'euros et se préparait à se lancer avec un abonnement sans engagement et sans publicité à 4,99 euros par mois (source Stratégies).
Aujourd’hui, moins d’un an après son lancement et avec plus d’un million d’utilisateurs actifs, Sybel est reconnu comme le leader français du divertissement audio. En France, l’abonnement pour du contenu audio n’est désormais plus limité au streaming musical : le lancement de Sybel a acté la possibilité d’avoir envie de s’abonner à un prix raisonnable pour avoir accès du divertissement audio original.
Sybel s’affiche comme le Netflix du podcast et en absorbe tous les codes : créations originales, catalogue riche renouvelé régulièrement, système de recommandations, disponible en téléchargement hors ligne, compte enfant, absence de publicité… Tout comme Netflix a poussé les acteurs télévisuels à se réinventer, Sybel et d’autres acteurs podcasts pourraient amener les radios à réimaginer leurs offres et plateformes pour s’adapter aux nouvelles normes de consommation.
● L’exemple de Majelan : le paiement à l’acte pour monétiser les contenus exclusifs
Majelan, lancé par Mathieu Gallet en 2019, s’est d’abord positionné comme un agrégateur gratuit de podcasts.
Mais à son lancement, le service proposait tout de même deux modèles payants : un modèle d’abonnement à 4,99€ tout comme Sybel et auquel s’ajoutait la possibilité d’achat à l’acte à partir de 1,49€. Si cette dernière possibilité n’est aujourd’hui plus d’actualité, elle représentait néanmoins une révolution dans la monétisation du contenu audio : la possibilité du paiement à l’acte.
Pour des acteurs sans offre d’abonnement telles que les radios, le podcast on demand pourrait apparaître comme une solution de mise en valeur de contenus exclusifs. Dans le cadre de la création originale, le paiement à l’acte, dans la limite de prix raisonnables, peut aussi représenter un moyen pour les utilisateurs d’exprimer leur soutien à une oeuvre ou à une production.
● L’exemple de Nouvelles Ecoutes : l’exploitation du contenu sous de nouveaux formats
Au mois d’avril, Nouvelles Ecoutes annonçait un contrat d’édition pour l’exploitation hors audio de ses contenus originaux avec les Editions Marabout. L’idée décrite était d’accélérer leur stratégie de diversification et surtout, de répondre rapidement à l’effondrement de leurs revenus publicitaires.
Le concept de cet accord, adapter des podcasts en version livre, n’a rien de nouveau, mais l’ampleur de ce projet est remarquable. Il s’agit pour Nouvelles Ecoutes de créer un nouveau type de revenus mais aussi d’élargir son spectre d’auditeurs en touchant de nouveaux profils.
On pourrait imaginer la banalisation partenariats semblables entre les acteurs radios et les maisons d’éditions ou même des acteurs de l'audiovisuel. Les podcasts à succès de nos radios pourraient connaître de façon systématique une nouvelle vie à travers une publication papier ou une série adaptée.
Tout comme le projet Salto, la future plateforme d’offre vidéo commune à TF1, France Télévisionset M6, les radios pourraient bientôt avoir à réfléchir à une mise en valeur de leurs contenus différés au travers d’une nouvelle plateforme, de nouveaux partenariats ou de nouveaux modèles.
Le confinement a créé une impossibilité d’enregistrer les live radio dans les conditions habituelles.
L'annulation de certaines émissions et la réorganisation des grilles de programmes provoquées par le confinement a finalement surtout bouleversé la relation entre les auditeurs et les radios.
Certaines émissions ont alors poursuivi leur activité en ligne, avec un direct improvisé. On peut prendre en exemple, sur France Inter, l’émission par Jupiter qui a continué à être diffusée sur les réseaux sociaux avec chacun de ses animateurs depuis leur domicile. Le développement des réseaux sociaux comme moyen de diffusion de secours à mis en lumière l’aspect visuel de la radio à travers les vidéos live mais aussi la relation directe avec l’auditeur à travers des commentaires ou des likes.
La plupart des radios ont mis l’accent sur l'interactivité avec leurs auditeurs. L’exemple cité dans les Echos de RMC, Fabrice Angotti déclare que la station reçoit environ 1.000 appels le matin, contre 150 à 200 en moyenne d'habitude pendant cette période de crise.
La radio crée un nouveau rapport avec l’auditeur comme le décrit Jean-Francis Pécresse : « Un lien nouveau s'est créé avec les auditeurs. On reçoit énormément de messages nous remerciant d'être une voix à la maison, pour rompre l'isolement ».
Les habitudes d’écoute des auditeurs ont également tout simplement changé.
Une étude de Kantar Profiles a souligné que 44 % des Français déclaraient se lever plus tard depuis le début du confinement. Le pic d’audience des matinales s’est décalé : 9 heures, au lieu de 8 heures. Les auditeurs ont aussi bien plus consulté les sites internet des radios. En période de confinement, la diminution des déplacements (transports en commun, voiture…) a incité les auditeurs à revenir à une nouvelle source d’écoute de la radio : ils sont alors retournés au plus simple c’est à dire le site web des radios qu’ils écoutent habituellement. Pour Europe 1 par exemple, cette hausse des visites sur le site de l’antenne se traduit par une augmentation de 125 % tout comme France Inter, dont le site a vu son audience croître de 111 % en mars.
Au-delà de la transformation de la relation à l’auditeur opérée en cette période de crise grâce à l’émergence de nouveaux formats numériques, c’est plus globalement le positionnement de la radio qui évolue. Ce, afin d’y intégrer des dimensions nouvelles, mettant au premier plan le caractère de proximité de ce média et contribuant au renouvellement de son image.
Avec le confinement, nombreuses sont les radios à avoir adapté leurs offres et leur positionnement, afin d’y intégrer une dimension sociale. Ce, comme l’illustre le partenariat noué entre France Culture et le Ministère de l’Education afin de proposer des émissions en lien avec les programmes scolaires, durant la période de fermeture des écoles. Dans une volonté de rendre la culture accessible au plus grand nombre, des partenariats ont également vu le jour, afin de proposer des adaptations de pièces à la radio, telles que Radio Canada Première ou encore France-Inter. Enfin, d’autres initiatives témoignent d’un rôle de soutien et d’accompagnement de la radio, à l’instar du partenariat noué par Radio France avec AP-HP afin de mettre à disposition des services hospitaliers une web radio, «Culture et Compagnie», destinée à accompagner les patients atteints du Covid-19 avec des programmes apaisants et divertissants. Toutes ces initiatives témoignent de la capacité de la radio à innover et se diversifier afin d’adapter ses programmes et répondre à de nouvelles ambitions, qu’elles soient culturelles, éducatives ou sociétales.
Par ailleurs, si la radio est toujours apparue comme un média de proximité, les initiatives prises durant la période du confinement lui confèrent désormais le statut d’un média de solidarité, particulièrement propice à toucher de larges audiences et à porter des messages de soutien. Envers l’industrie culturelle, par exemple, Radio France a exprimé son soutien aux nombreux festivals annulés en programmant la diffusion d’extraits d’éditions précédentes sur des plages horaires dédiées et a décidé d’augmenter la part de diffusion de musique francophone diffusée sur ses antennes, en espérant ainsi renforcer les revenus versés pour les droits d’auteurs.
Le point commun de ces nouvelles offres et initiatives demeure l’exploitation de l’étendue des opportunités offertes par le son, en tant que véhicule d’émotions, de partage et en tant que créateur de lien social. Une aubaine, pour les radios, saisissant pleinement les opportunités de renouveler leur image de marque et de partir à la conquête de nouvelles cibles d’auditeurs.
Catalyseur de nouvelles initiatives, le confinement a ainsi témoigné de la capacité de la radio à faire face à de nouveaux défis, à savoir l’évolution des modes de consommation et des usages. Elle a su se diversifier pour développer de nouvelles offres et formats, tout en transformant sa relation à l’auditeur. Cet élan de transformation, s’il s’inscrit dans la durée, pourrait être le point de départ d’une mutation plus profonde, pour adresser des enjeux plus globaux tels que la transformation numérique, le renforcement de son modèle économique et la diversification de ses revenus ou la nécessaire conquête de nouveaux segments d’auditeurs. De nouveaux types de partenariats pourraient également voir le jour, à l’instar de partenariats avec des maisons d’éditions ou acteurs de l’industrie culturelle, à l’image du partenariat noué entre Nouvelles Ecoutes et Marabout.
Enfin, un des enjeux encore non adressés à l’heure actuelle dans l’écosystème de ce média, et mis en avant avec la crise du Covid-19, reste la fragilité du système de mesures d’audiences : un système basé sur les enquêtes téléphoniques auprès des Français, suspendu lors de la crise sanitaire et rendant ainsi impossible la mesure des audiences par Médiamétrie durant les premières semaines de confinement.
Sources
https://www.strategies.fr/actualites/medias/4025125W/sybel-le-netflix-du-podcast-decolle.html
https://www.lalettre.pro/Covid-19-un-partenariat-inedit-entre-l-AP-HP-et-Radio-France_a22569.html