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Getir en redressement judiciaire : Les raisons de l'échec relatif du Quick Commerce en France
En avril 2023, la filiale française de Getir, entreprise turque de livraison express de produits de consommation courante, a demandé son placement en redressement judiciaire. Dans le même temps, le journal Financial Times révèle que la firme serait en pourparlers avec Flink, son tout dernier concurrent sur le marché français, pour son rachat… L’entreprise, à l’image du secteur du quick commerce, vit-elle ses derniers moments ou suit-elle une stratégie bien ficelée pour monopoliser le marché français ?
Le concept du quick commerce est simple, des produits de grande consommation livrés presque instantanément, en moins de 15 minutes, au pas de la porte. Cette promesse ambitieuse est tenue grâce à un modèle logistique particulier : au lieu de recourir à un grand entrepôt décentralisé, les entreprises investissent dans de petits « dark stores » situés au centre des grandes villes permettant de stocker les produits par rayons, auquel n’ont accès que les livreurs. Les entreprises peuvent donc proposer une livraison très rapide dans certaines villes ou même quartiers spécifiques en fonction du positionnement de leurs dark stores.
Le quick commerce a été introduit sur le marché français en 2010 mais a connu un essor particulier en 2020, alors que la crise du COVID et les confinements successifs entraînaient une domiciliation progressive de l’approvisionnement chez les ménages français. Bien que ce type de livraison reste un maché de niche évalué à environ 122 millions d’euros en 2021, sa croissance a été exponentielle en un temps record : une évolution de plus de 85% entre 2020 et 2021. Cette croissance a été menée par une multitude d’acteurs autant français qu’étrangers, attirés par le volume impressionnant de fonds privés investis dans des start-ups telles que GoPuff, Gorillas ou Cajoo. A tel point que des acteurs bien établis de la grande consommation française, tels que Monoprix ou Auchan, ont lancé leur propre application de livraison express : respectivement Hop’ et Mes courses en 15 min.
La livraison instantanée a d’emblée attiré des consommateurs jeunes, actifs, ayant peu de temps pour faire leurs courses, et relativement aisés. Ces consommateurs étant principalement concentrés en zone urbaine, c’est là que se sont implanté la plupart des « dark stores », généralement dans les milieux à très forte densité pour toucher une cible plus large. Paris est d’ailleurs la principale ville de présence et de développement des entreprises du quick commerce, avec un taux de pénétration du marché de 11,5% - bien plus élevé que les 2% sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Au paroxysme de la tendance du quick commerce en 2021, une dizaine d’acteurs menaient la bataille pour gagner les parts du marché de la livraison instantanée. Le secteur est resté fortement attractif pour les investisseurs en 2021 qui, profitant des taux bas, ont permis aux acteurs du secteur de se développer en levant 7 milliards d’euros de fonds au niveau global en une année.
Un déclin certain depuis l’été 2022, principalement dû au ralentissement des investissements dans un modèle économique peu rentable et un cadre législatif plus strict.
Cependant, la seconde partie de l’année 2022 a vu s’enchainer acquisitions, cessations d’activités, et prises de participations, donnant aujourd’hui l’image d’un secteur mis à mal et peinant fortement à se concentrer de manière saine. En effet, dès novembre 2021, l’américain GoPuff rachète Dija, KOL cesse son activité en France le mois suivant, Gorillas rachète le français Frichti et se fait racheter à son tour par Getir en fin d’année. Entre temps, Yango Deli cesse son activité, Flink acquière Cajoo et Getir change trois fois de business modèle alternant entre dark stores franchisés et ceux ouvrant au public. A tel point qu’il ne reste aujourd’hui plus que 2 acteurs se spécialisant dans la livraison en moins de 15 minutes sur le marché français : Getir, présent dans 9 pays au global mais placé en redressement judiciaire en France, et Flink, qui a récemment cessé son activité en Autriche et n’est présent plus que dans 3 marchés dans le monde.
Quelques années après leur lancement, les acteurs du quick commerce n’ont en effet toujours pas trouvé un seuil de rentabilité qui leur permettrait de survivre dans financements externes. Par exemple, une livraison est facturée en moyenne 2€ à l’utilisateur d’une application de livraison rapide, mais coûte entre 10 et 18€ par heure à la plateforme en fonction du statut du livreur. Cela impliquerait donc pour un livreur d’effectuer entre 5 et 9 livraisons par heure pour seulement atteindre un seuil de rentabilité pour l’entreprise. Une cadence impossible à tenir sur le long terme. Et le retournement brutal des marchés financiers fin 2022 n’a pas aidé le secteur : les investisseurs, ne profitant plus d’un taux aussi bas qu’en 2021, sont devenus bien plus frileux et ont ralenti ces investissements qui ne garantissent pour le moment aucun retour financier positif, du moins sur le court-terme.
La situation s’est d’autant plus dégradée pour le quick commerce sur le marché français après l’annonce du gouvernement en septembre 2022 : suivant plusieurs mois de délibérations, le Conseil d’Etat a annoncé que les dark stores seraient considérés comme des entrepôts et non des commerces, il revient donc à la commune d’appliquer les règles en vigueur à son niveau. Les acteurs du quick commerce devront traiter chaque commune au cas par cas, augmentant fortement la contrainte législative sur le territoire français. A Paris par exemple, les dark stores devront se mettre en conformité avec les règles en matière d’urbanisme, c’est-à-dire qu’ils devront demander de nouvelles autorisations avant de transformer un ancien commerce en entrepôt et ne pas s’installer dans des immeubles avec habitations.
Par comparaison, la situation pour le quick commerce sur d’autres marchés comme le Royaume Uni ou les Etats-Unis est bien différente. Ces marchés moins légiférés restent plus dynamiques et attractifs pour les acteurs du quick commerce, avec par exemple une croissance annuelle de 10% et un chiffre d’affaires projeté à $26 milliards en 2023 pour les Etats Unis.
Ainsi, Getir n’est pas un cas particulier et sa mise en redressement judiciaire suit la tendance du déclin des autres acteurs du quick commerce qui ont soit cessé leur activité, changé de modèle économique ou se sont fait racheter. En avril 2022, endettée à hauteur de 17,6 millions d’euros au global, la filiale française de Getir a demandé son placement en redressement judiciaire. Le tribunal a accordé une période d’observation de 3 mois à l’entreprise pour donner le temps nécessaire afin de trouver un modèle durable pour opérer dans le pays. Quelques jours plus tard, le 3 mai 2023, le Financial Times révèle que Getir s’est en effet attelé à la tâche et est entré en négociations pour le rachat de son tout dernier concurrent sur le territoire français, Flink. Si ce fait est avéré et que Getir finit en effet par racheter Flink, on pourrait envisager deux scénarios pour le futur du quick commerce en France : Getir ne survit pas à son redressement judiciaire et Flink ne trouve pas de modèle économique durable, provoquant la fin du quick commerce en France en 2023. Le deuxième scénario serait la monopolisation du quick commerce français par Getir qui, ayant racheté son dernier concurrent et possédant ainsi 100% des parts du marché, se garantit une stabilité financière par le volume.