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L'énergie thermique des mers, l'énergie renouvelable de demain?

Suivant les principes de la thermodynamique classique le gradient de température entre l'eau de mer en surface et celle en profondeur peut permettre d'alimenter une turbine thermique et ainsi produire de l'électricité. Cette énergie renouvelable est inépuisable et disponible à tout moment.

Il y a 140 ans, le capitaine Némo déclarait : « J'aurai pu, en effet, en établissant un circuit entre des fils plongés à différentes profondeurs, obtenir de l'électricité par la diversité des températures ». L'intuition de Jules Verne dans son roman de science-fiction « Vingt mille lieues sous les mers » était juste : il s'agit de l'énergie thermique des mers (ETM) ou Ocean Thermal Energy Conversion (OTEC). Le principe repose sur le gradient de température entre l'eau de mer en surface et celle en profondeur qui permet d'alimenter une turbine thermique et ainsi produire de l'électricité. Cette énergie renouvelable est inépuisable et disponible à tout moment.

Suivant les principes de la thermodynamique classique, plus la différence de température est importante, plus l'énergie thermique des mers sera importante et donc rentable ; de fait, la ceinture tropicale semble la zone la plus adaptée avec un gradient de température de 30°C alors qu'il n'est que de 15°C en Méditerranée. Malgré un fort potentiel, l'ETM reste peu exploitée aujourd'hui; il n'existe pas encore de véritables centrales ETM mais uniquement des prototypes, notamment à la Réunion, au Japon ou à Cuba.

Principe de fonctionnement ETM (Source : Energies.marines.free.fr)
 

De Jules Verne à nos jours

L'idée de tirer parti de la différence de température entre les couches océaniques a été reprise par le physicien français Arsène d'Arsonval en 1881 puis par son élève, fondateur d'Air Liquide, Georges Claude. Dans les années 30, ce dernier est à l'origine des premiers prototypes de centrales ETM à cycle ouvert utilisant l'eau de mer comme fluide caloporteur alimentant la turbine thermique. Dans un premier temps, Claude a testé ce principe en Belgique en utilisant de l'eau chaude (33°) provenant d'un circuit de refroidissement d'un haut fourneau et l'eau froide puisée dans la Meuse (12°). Cette expérimentation fut un succès et l'a conduit à tester l'ETM en réitérant son expérience dans la baie de Matanza à Cuba : cette centrale produisait 50 kW en conditions réelles; le gradient de température entre l'eau de surface et celle en profondeur était d'environ 15°. Cette centrale fut toutefois détruite par une tempète 11 jours après sa mise en opération.

Plus tard, la hausse des prix du pétrole résultant du choc pétrolier de 1973 va encourager la recherche sur l'ETM, notamment aux Etats-Unis et au Japon. La centrale flottante américaine « Mini-OTEC » de 50 kW en cycle fermé (utilisation de l'ammoniac comme liquide caloporteur) voit le jour à Hawaï en 1979 mais sera démantelée au bout de 4 mois. Le Japon construisit également sa propre « Mini-OTEC » en 1979 dans la Mer du Japon. Des partenariats USA/Japon ou encore Japon/Inde permettront l'émergence de nouvelles centrales ETM en 1998 et en 2001. Les différents travaux et prototypes de centrales ETM ont non seulement montré la faisabilité technique du projet, mais ont aussi permis de mettre en avant les nombreux avantages de l'ETM.

L'ETM, une énergie renouvelable fiable

La zone de la ceinture tropicale, estimée à 60 millions de km2, parait la plus adaptée pour l'utilisation de l'ETM. En réalité, la surface exploitable est bien inférieure : une centrale ETM, le plus souvent une plateforme flottante, ne doit pas être trop éloignée des côtes du fait des installations qui nécessitent de nombreux câbles. Malgré cela, les avantages de cette technique de production d'électricité sont nombreux : exploitée dans la ceinture tropicale, l'ETM représente une source d'énergie disponible à tout instant, inépuisable, dont le « combustible », l'eau de mer, est gratuit et ne nécessite pas de stockage.

Température de la surface océanique (Source : Université du Wisconsin, Madison)
 

D'un point de vue économique, la construction d'une centrale ETM est un investissement important : d'après une étude américaine produite en 2001, le kW revient entre 4 et 6 fois plus cher que le kW produit par une éolienne et 3 fois plus cher que le photovoltaïque. L'ETM serait réellement rentable s'il y a la possibilité d'exploiter les utilisations secondaires connexes. Les principaux sont l'eau douce résultant de la condensation et l'eau froide puisée en profondeur. De nombreux pays tropicaux manquent d'eau douce; la mise en oeuvre d'une centrale ETM à proximité de leurs côtes pourrait être une opportunité pour l'agriculture ou la production d'eau potable. La désalinisation de l'eau de mer est un procédé qui coûte cher, le combiner à une centrale ETM permettrait de rentabiliser plus rapidement l'investissement initial. L'eau froide, quant à elle peut être utilisée par exemple dans la climatisation des bâtiments.
D'autres utilisations annexes pourraient aussi être développées, comme l'aquaculture, la biomasse marine ou les produits cosmétiques en récupérant certains minéraux.

Outre les avantages énergétiques et économiques d'une telle source de production d'électricité, son impact environnemental s'avère limité, voire même positif. Une centrale ETM rejette 10 à 100 fois moins de CO2 qu'une centrale diesel de même puissance. Des études scientifiques faisant suite à l'implantation de la centrale américaine OTEC 1 à Hawaï ont prouvé que le rejet d'eau froide issue des profondeurs, chargée d'éléments nutritifs, favorisait le développement de la vie aquatique en surface.
En outre, il semblerait qu'un rejet à très grande échelle de l'eau froide des profondeurs à la surface réduirait la formation des cyclones puisque l'eau chaude des zones tropicales est la source d'énergie de ces derniers. Toutefois les impacts du développement à grande échelle des centrales ETM demeurent méconnus.

L'avenir de l'ETM en France

Conformément aux engagements européens, l'objectif de la France d'ici 2020 en matière d'énergie renouvelable est de 20% dont 3% d'énergie marine. Les énergies marines regroupent l'énergie marémotrice, les hydroliennes, houlomotrice, osmotique, éolienne off-shore, biomasse marine et ETM. Afin d'atteindre son objectif, la France multiplie les projets offshores, et notamment autour de l'ETM.
En février 2010, un protocole d'accord pour le financement d'une étude de faisabilité d'une centrale ETM a été signé entre la Polynésie et l'état français. De même, la Martinique, en juillet 2011 a signé un partenariat avec l'entreprise DCNS1 dont l'objectif est d'avoir une centrale ETM de 10 MW d'ici 2015. Ce projet est financé par le fonds démonstrateur européen NER300.

Enfin, dans le cadre du programme GERRI 2030 (Grenelle de l'Environnement à La Réunion – Réussir l'Innovation), l'île de La Réunion, qui vise l'autonomie énergétique d'ici 2030, développe de nombreux projets mettant en valeur les énergies renouvelables, dont les énergies marines pour qui l'Europe, l'état et la région ont consacré plus de 12 millions d'euros jusqu'à maintenant. L'accord tripartite signé le 22 Mars 2012 pour 3 ans entre l'île de La Réunion, l'entreprise DCNS, et l'IUT de Saint-Pierre a pour objectif la mise en service à terre d'un prototype à échelle réduite (15 kW) de centrale ETM. Ce projet, qui réunit le savoir-faire de DCNS et les équipes de scientifiques universitaires va permettre d'acquérir une expertise intéressante pour developper de nouvelles centrales ETM.

Concept de plateforme ETM multi-produits (Source : Université du Wisconsin, Madison)
 

L'énergie thermique des mers, pourtant peu exploitée actuellement s'avère être une solution viable de production d'électricité à long terme. L'ETM est une énergie disponible, inépuisable et représente une réelle opportunité de développer des moyens de production électrique autonome pour les pays de la ceinture tropicale tout en renforçant leur indépendance énergétique. Cette source d'énergie est couteuse mais l'utilisation de ses nombreux produits annexes comme l'eau douce pourrait accroitre sensiblement la rentabilité et l'intêret pour cette technologie. Les prototypes ayant fait leurs preuves, la prochaine étape sera d'industrialiser le concept, comme cela est prévu sur l'île de La Réunion. L'impact environnemental d'un développement à grande échelle de centrales ETM demeure toutefois à déterminer précisément.


Notes :

  • DCNS est une entreprise française, leader mondial du naval de défense et innovateur en énergie.
  • New Entrant Reserve 300 (NER300) est un dispositif de financement de démonstrateurs de captage et stockage de CO2 et d'énergies renouvelables innovantes de taille commerciales.
  • Le programme GERRI 2030 a pour objectif de développer le développement durable en cinq axes : transports, production et économie d'énergie, stockage de l'énergie, aménagement et construction durable, tourisme.