La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En octobre 2018, le gouvernement a annoncé la présentation d’un projet de loi pour faciliter la mise en place de péages urbains dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants qui le souhaitaient.
En octobre 2018, le gouvernement a annoncé la présentation d’un projet de loi pour faciliter la mise en place de péages urbains dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants qui le souhaitaient. Ce projet de loi faisait écho aux projets similaires et souvent décrits comme couronnés de succès des villes de Milan, Londres ou encore Stockholm.
Depuis, le gouvernement a tranché sur ce sujet qui a divisé les opinions pendant plusieurs semaines : les péages urbains sont exclus du projet de Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM).
En théorie cependant, les péages urbains n’en restent pas moins une des solutions de choix des politiques afin de réduire les nuisances environnementales, financer les transports publics et promouvoir les nouveaux moyens de transports afin de rendre les villes toujours plus attractives et d’augmenter la qualité de vie en centre-ville.
Alors projet stigmatisant qui s’apparente à une taxe supplémentaire ou projet juste et cohérent ? Sia Partners vous propose quelques éléments de réponse en revenant sur les principes fondamentaux du péage urbain et les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour un projet réussi.
Le péage urbain est un système de paiement automatisé qui vise à faire payer aux automobilistes l’accès à une zone définie (le centre-ville par exemple) dans l’objectif de décongestionner le trafic routier dans cette zone, c’est-à-dire diminuer le temps supplémentaire causé par le trafic. Ces péages peuvent également avoir pour objectifs de réduire les nuisances environnementales et/ou de financer les transports en commun. On distingue deux types de péages urbains :
Aujourd’hui, la raison la plus avancée dans la mise en place de péages est la fluidification du trafic, qui s’accompagnerait d’une réduction des nuisances environnementales. En moyenne et de manière pérenne, la circulation pourrait diminuer jusqu’à 85% et au minimum de 15%.Les péages urbains seraient donc une mesure efficace pour réduire le trafic, se répercutant alors dans une augmentation de la demande en transport en commun.
Les péages urbains illustrent la politique du « pollueur – payeur », adaptée des recommandations de l’OCDE en 1972. Il s’agit d’un des principes fondamentaux des politiques environnementales des pays développés. Bruxelles se penche actuellement sur une directive, basée sur ce principe, qui lui permettrait d’appliquer une surtaxe aux péages autoroutiers. Ce système devrait être mis en place dès 2021 pour les poids lourds et les camionnettes et en 2026 pour les autres usagers.
Les projets de Lille et de Rotterdam, fonctionnent quant à eux sur une autre logique : celle du « péage positif » qui récompense ceux qui polluent le moins et qui circulent à des heures « creuses ». Ce type d’initiatives n’est cependant pas sans inquiéter le gouvernement, puisque cela implique la surveillance des comportements de mobilité et pose donc des questions sur la protection des données à caractère personnel.
Le projet de loi, introduit par le gouvernement en octobre 2018, fait suite aux lois Grenelle de 2009 qui donnaient la possibilité aux agglomérations de plus de 300 000 habitants de mettre en place ce type d’infrastructures pour une phase expérimentale de 3 ans. La loi ne précisait pas le devenir des infrastructures à la fin de cette période et cette contrainte de temps n’a pas incité les municipalités à procéder aux investissements très couteux nécessaires à la mise en place de tels systèmes.
Le projet de loi avait pour objectif de simplifier et d’encadrer le système pour que les villes puissent s’interroger sur la mise en place d’un « péage urbain » en ayant toutes les cartes en main. La décision de mettre en place ou non un tel projet, incombait à l’Autorité Organisatrice des Mobilités (AOM). Concrètement, l’AOM est dans la plupart des cas gérée par les communes ou les communautés de communes, à l’exception de Paris où sa responsabilité incombe à la région. La décision de donner cette responsabilité à l’AOM s’inscrivait dans une logique de rassembler les pouvoirs autour des sujets de mobilités sous une seule entité, afin d’optimiser les synergies et coopérations entre modes de transport.
La loi n’était qu’au stade de projet, mais des premiers éléments structurants avaient déjà été avancés par le gouvernement. La tarification du système, notamment, qui devait être proposée au Sénat et à l’Assemblée Nationale au printemps 2019, avait déjà été définie. Le « tarif de congestion » aurait été sujet à débat, mais la proposition devait être celle présentée dans le tableau ci-dessous.
Afin de s’acquitter de ce péage, les usagers devaient, soit pouvoir être débités en fin de mois en fonction du nombre de trajets réalisés, soit acheter à l’avance des forfaits journaliers, ou pour une période plus longue, à un tarif préférentiel.
Ainsi, très en amont du projet de loi, l’Etat s’était déjà attaché à ne pas appliquer un tarif unique aux usagers. Le tarif appliqué devait en effet tenir compte de la situation particulière de certains usagers, comme les résidents ou travailleurs vulnérables, ou encore de la performance environnementale du mode de transport choisi. Cette pratique de tarifs modulaires s’applique dans la plupart des pays où des péages urbains existent. (cf. Figure 2. Illustration des paramètres possibles des péages urbains[1]). Bien que très courante, cette pratique fait face à certaines difficultés lorsqu’il s’agit d’encadrer certains types d’usagers. Par exemple, la définition des tarifs appliqués au VTC peut porter à débat, comme en témoigne actuellement la capitale britannique.
Les modulations horaires et par classe de véhicules, bien que majoritaires, ne sont pas les seuls critères possibles de segmentation des tarifs. D’autres critères sont utilisés dans le monde comme la vitesse moyenne du trafic à Singapour ou le temps passé dans la zone à La Valette. Pour s’acquitter de ces paiements, le système mis en place dans la quasi-totalité des cas est un téléservice avec lecture automatique des plaques numérologiques, grâce à la reconnaissance optique de caractères (un système similaire à celui des radars automatiques). Dans certains pays, le paiement s’effectue grâce à la détection d’un badge dans l’habitat des véhicules, mais cette pratique complexifie le système pour les véhicules étrangers. La lecture automatique est un système éprouvé avec un taux de réussite supérieur à 90%. Ce système semblait donc être celui qui aurait été choisi par les villes souhaitant mettre en place un péage urbain.
Mal exécuté, ce type de projet peut avoir un effet contre-productif et être néfaste à l’attractivité de la ville. Il est donc important que chaque AOM prenne le temps de cadrer ce projet par :
- La création d’objectifs pour justifier la mise en place d’un péage ;
- L’étude et le suivi des impacts en matière de qualité de l’air et de congestion ;
- La justification de la proportionnalité de la mesure ;
- L’étude des mesures d’accompagnements nécessaires ;
- La sollicitation de l’avis des communes qui seront impactées par le projet ;
- La réalisation d’une campagne d’information du public.
Ces prérequis sont nécessaires car, malgré un système efficace et éprouvé dans de nombreuses villes d’Europe, les projets de péages urbains sont souvent mal perçus par les citoyens et principalement les automobilistes. Une telle loi peut en effet être amplificatrice de la fracture sociale. La modulation tarifaire apparait comme une nécessité, bien qu’elle ne puisse couvrir toutes les problématiques.
Au-delà de cette pratique, il faut également prendre le temps de définir le périmètre du péage urbain afin de répondre aux besoins de la ville sans pénaliser les citoyens les plus vulnérables. Ainsi, à Londres la « congestion charge » ne concerne que l’hypercentre de Londres, ne pénalisant pas les résidents des banlieues à l’entrée de la ville. A l’inverse, il est possible d’imaginer une zone bien plus large qui inclurait les zones vulnérables, à l’échelle du Grand Paris par exemple.
Ce type d’initiatives doit également s’accompagner d’un développement des transports en commun, de solutions de substitutions et complémentaires, avec notamment la mise en place de parcs relais, d’une incitation au covoiturage et, dans quelques années, du développement des voitures autonomes partagées. A Londres par exemple, il avait été prévu que les fonds générés par le péage urbain allaient être réinvestis dans le développement des transports publics. D’ailleurs, lors de l’entrée en vigueur du péage urbain dans la capitale anglaise, 300 bus ont été rajoutés dans le centre. L’un dans l’autre, l’ensemble de ces types d’aménagements ont aussi pour objectif de proposer des alternatives de qualité aux citoyens et d’ainsi gagner leur adhésion, ce qui les rend indispensables.
Une phase d’expérimentation, telle que celle décrit dans le projet de loi, peut également être mise en place, pour mettre en lumières les points à améliorer. Cette phase peut être suivie d’un référendum auprès des habitants pour qu’ils prennent position sur la pérennisation ou l’extension du projet. L’expérience montre que les habitants des villes concernées sont plutôt satisfaits du système une fois mis en place. Aussi laisser la possibilité aux citoyens de statuer sur la décision finale semble être une approche mieux appréhendée par ces derniers. A Stockholm et Milan, par exemple, les péages urbains ont été étendus et pérennisés suite aux votes des citoyens.
Cependant, afin d’être un projet concluant, le péage urbain ne doit pas être un projet isolé : il doit s’inscrire dans une politique plus large de réduction des nuisances environnementales dans les villes, notamment avec la création de zones à faibles émissions (ZFE). La France est en retard sur le sujet puisqu’il n’en existe que 2 - une à Paris, avec le système des vignettes Crit’Air, et dans une moindre mesure, une à Grenoble – alors qu’il en existe près de 230 en Europe. A Londres, par exemple, le maire a décidé depuis 2017, de mettre en place une « Toxic Charge » dans l’hypercentre pour les véhicules les plus polluants. Cette taxe sera remplacée progressivement par une zone de près de 320 km2 où la circulation des véhicules polluants sera très réglementée. L’objectif étant de faire passer la proportion des déplacements en transports en commun, à pieds ou à vélo, de 64% aujourd’hui à 80% d’ici à 2041.
Sujet de débats des dizaines d’années après d’autres villes européennes, les péages urbains ont donc été laissés de côté par le gouvernement afin de ne pas « accentuer les fractures entre territoires » selon le ministère des Transports. Le manque d’engouement des agglomérations françaises, avec aucune ville apparemment candidate, a aussi dû pousser en ce sens. Alors que le devenir en France des péages urbains reste incertain, oscillant entre pause ou abandon définitif, le gouvernement conserve cependant dans le projet la possibilité de créer des zones à faibles taux d’émissions, qui souvent implantées dans des zones bien plus restreintes, devraient recevoir un accueil moins controversé.
[1]Etat de l’art sur les péages urbains : Objectifs recherchés, dispositifs mis en œuvre et impact sur la qualité de l’air – ADEME (juin 2014)