La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Afin d'enrayer le déclin du transport ferroviaire de marchandises, l'Union européenne (UE) a mené, à partir du début de la décennie 1990, une politique de libéralisation progressive.
Le premier changement, introduit par la directive communautaire 91-440, relative au développement des chemins de fer au sein de l'UE, a concerné la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation. La directive a imposé a minima une séparation sur le plan comptable entre le gestionnaire de l'infrastructure et la ou les entreprises ferroviaires qui utilisent cette infrastructure.
Cette obligation communautaire a été respectée par tous les Etats membres, mais sous des modes différents. On distingue trois types généraux de séparation parmi les 27 pays étudiés1, avec deux pays qui se rapprochent de l'exception, dont la France.
Ce type séparation prévaut dans 11 pays : la Bulgarie, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Suède, Slovaquie.
Au Royaume-Uni, le propriétaire de l'infrastructure est semi-privé.
Mais « l'exception française » réside dans la particularité, par ailleurs unique au monde, que le gestionnaire de l'infrastructure (RFF) doit déléguer une part très importante de ses fonctions à l'opérateur ferroviaire (SNCF). La séparation se révèle alors insatisfaisante et bâtarde, car la SNCF est ainsi à la fois gestionnaire d'infrastructure délégué (GID) et entreprise ferroviaire.
Dans l'absolu, il n'existe pas de « modèle idéal » en matière du type de séparation à adopter. Si la Commission européenne a laissé aux Etats membres le choix du type de séparation en ne requérant qu'une séparation au minimum comptable, c'est qu'elle était bien consciente de la nécessité pour chaque Etat d'établir une séparation selon son contexte particulier. En réalité, le type de séparation adopté s'est généralement fait selon l'importance de l'opérateur historique.
Par ailleurs, de nombreux Etats ont connu des situations historiques très diverses, qui les ont amené à choisir tel type de séparation plutôt qu'une autre : réunification politique pour l'Allemagne, conséquences de la libéralisation thatchérienne pour le Royaume-Uni, effondrement de l'Etat communiste dans les pays d'Europe de l'Est...
Ainsi, dans le cas allemand, il aurait été difficile d'adopter une séparation de type institutionnelle alors même que l'impératif, en matière ferroviaire, était de fusionner les deux réseaux nationaux allemands pour permettre une unification du transport. A l'inverse, dans le Royaume-Uni qui sortait d'une décennie de réformes ultra-libérales, une séparation de type uniquement comptable aurait été équivalente à un retour en arrière...
Pourtant, toutes choses étant égales par ailleurs, on peut tout de même penser que la séparation de type institutionnel est la plus transparente, car il est plus facile pour les nouveaux opérateurs de s'adresser à une entité indépendante pour l'attribution d'un sillon que de s'en remettre à une filiale du principal concurrent.
Quant à l'exception française en matière de séparation, elle semble à terme dommageable à la crédibilité de la libéralisation du secteur ferroviaire dans l'Hexagone. En effet, la séparation est certes institutionnelle, comptable mais légale mais ne peut être réellement effective tant qu'existeront des contrats de gestion d'affaires entre RFF et la SNCF sur les secteurs essentiels de l'infrastructure.
De fait, en 2007, la France s'est vue attribuée une très mauvaise notation dans l'indice de libéralisation du transport ferroviaire2 : elle est 25ème sur 27 pays étudiés.
En outre, cette notation a été « confirmée » par les rapports publics parus en 2008 sur le réseau ferré en France, qui ont fortement critiqué les modalités de la séparation qui prévalent entre RFF et la SNCF.
Jugée aussi bien « anormale » (rapport de la Cour des comptes) « qu'absurde » (rapport Haenel), la séparation « à la française » apparaît pour beaucoup comme un montage juridique, un mécanisme destiné à transférer l'ensemble des dettes de la SNCF à une nouvelle structure, RFF, qui est souvent perçue comme une coquille vide. Et ce n'est pas avec ses 800 employés que RFF, qui a en charge la gestion de l'infrastructure alors que la SNCF dispose de 55 000 personnes affectées à la même infrastructure, va combattre cette perception...
Car c'est ici que se trouve le coeur du problème de cette « exception française » : dans tous les autres pays ayant fait le choix de la séparation institutionnelle, le gestionnaire d'infrastructure assure lui-même la grande majorité des missions avec ses propres moyens. A cause de cette carence, la séparation qui prévaut en France demeure forcément insatisfaisante, car inachevée.
1 Les 27 pays européens étudiés sont les 27 pays de l'UE sauf Malte et Chypre, non concernés faute de voies ferrées, plus la Suisse et la Norvège, inclus car disposant d'un réseau ferroviaire important.
2 Cet indice de libéralisation a été conçu par IBM Global Business Services en 2007, qui a aussi réalisé la comparaison de l'ouverture des marchés ferroviaires. Présentés à Bruxelles, les résultats de cette comparaison ont été en partie repris par la Commission européenne dans ses travaux, qui en souligne toutefois les insuffisances méthodologiques, et reprend aussi d'autres indices (ACCESS, EICIS, CER...).