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L'évaluation des politiques publiques est-elle un bon outil d'aide à la décision pour diminuer les dépenses ?

Le gouvernement a imposé à tous ses ministères de réaliser un exercice d'évaluation de l'ensemble des politiques publiques d'ici 2017.

Sans être l'objectif unique de la démarche, il est prévu qu'elle s'inscrive dans la trajectoire de redressement des finances publiques. Or, si évaluer les politiques publiques est nécessaire, la méthode retenue comporte des risques quant à l'objectivité et la fiabilité des résultats obtenus, ce qui ne garantit pas que l'exercice permette de diminuer les « bonnes » dépenses publiques.

Il y a un an, dans un article intitulé « La RGPP de demain : une Réduction Générale des Politiques Publiques ? », nous cherchions à savoir si, après avoir essayé de « faire mieux avec moins », il n’était pas temps de « faire moins avec mieux » [1]. Les dépenses d’intervention représentant plus de 500 milliards d’euros, soit près de la moitié du budget total des administrations publiques[2], il semble indispensable de revoir ces dépenses que la RGPP avait laissées de côté.

Le gouvernement a instauré comme un des cinq grands domaines de la nouvelle modernisation de l’action publique : « évaluer pour moderniser les politiques publiques ». Si l’objectif affiché n’est pas uniquement budgétaire, il est dit clairement que ces évaluations et les modernisations associées devront s’inscrire dans la « trajectoire pluriannuelle des finances publiques ».

Les résultats de cet exercice devront donc être une aide à la décision pour les ministres afin qu’ils « fassent moins » en abandonnant certaines actions non prioritaires et qu’ils fassent « avec mieux » en utilisant les moyens d’action les plus efficaces sur les actions prioritaires.

Alors que les rapports finaux des premières évaluations devaient être rendus courant juin et que parallèlement certains députés d’opposition dont le président de la commission des finances de l’assemblée nationale Gilles Carrez dénoncent un déficit 2013 supérieur de 20 milliards aux prévisions, il va être temps de voir si les évaluations telles qu’elles sont réalisées, sont un réel outil d’aide à la décision.

 

 

Pour réaliser ces évaluations avant 2017, le gouvernement a confié à chaque ministre cette tâche pour les politiques publiques dont il a la charge, en lui proposant une méthodologie type d’évaluation[3] schématisée ci-dessous. Or il semble que cette méthode comporte certains risques qui pourraient en limiter la portée.

1) Le fait que les ministres soient responsables de l’évaluation de leurs propres politiques publiques génère un risque sur l’effectivité de la démarche et la crédibilité des résultats

Cette responsabilité confiée aux ministres est risquée tant qu’un changement culturel n’a pas eu lieu. Un ministre dont le budget diminue est encore perçu comme un ministre qui ne réussit pas à le défendre. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez affirme que « dépenser, c’est existentiel pour un ministre [4] » et que l’exercice qui leur est demandé peut s’apparenter à une forme de suicide ministériel. Il y a donc un risque que les ministres ne soient que peu volontaristes pour réaliser ces évaluations.

Pour la présidente du Conseil d’analyse économique (CAE), Agnès Bénassy-Quéré [5] « un ministre ne peut pas évaluer lui-même sa politique. [...] Le plus important est que les évaluateurs soient indépendants de l’administration qui met en œuvre la politique, afin que leur travail soit pleinement crédible aux yeux de l’opinion ». Or, cette crédibilité aux yeux de l’opinion est indispensable pour que ces résultats facilitent la mise en œuvre de scénarios d’évolution courageux qui permettront de supprimer ou de réviser les politiques publiques qui seraient coûteuses et inefficaces.

2) La méthode choisie risque d’être insuffisante pour faciliter la prise de décisions sur des politiques publiques à forts enjeux social et financier

Le guide décrivant la méthodologie proposée aux ministres précise que cette méthode n’est pas conforme aux standards de l’évaluation des politiques publiques[6], ce qui est justifié par le coût et les délais nécessaires pour mettre en œuvre ces standards. Si ce choix se justifie et permet l’exhaustivité de la démarche, il diminue en revanche la fiabilité des résultats et donc leur crédibilité, ce qui peut freiner la prise de décisions sur des politiques publiques avec un enjeu financier ou social fort.
En effet, si la méthode préconisée permet de faire appel à des contributeurs extérieurs pour des expertises statistiques par exemple, les délais préconisés ne permettront pas de mettre en œuvre les méthodes d’évaluation les plus contraignantes mais aussi les plus fiables.

3) Une évaluation suffisamment fiable peut apporter des éléments d’aide à la prise de décision en matière de politique publique, très précis et objectivés rendant ces évaluations souvent rentables[7]

Ainsi, une seconde méthodologie pourrait être préconisée, uniquement pour les politiques publiques aux plus forts enjeux, avec des délais de réalisation allongés qui permettraient de mettre en œuvre une évaluation plus poussée et de tester les scénarios de réforme avec des expérimentations.

En effet, l’exercice d’évaluation des politiques publiques est difficile et les résultats peuvent être assez éloignés de ceux qui sont a priori attendus. Par exemple, des expérimentations ont montré que la réduction de la taille des classes ne semble pas améliorer les résultats scolaires quand elle n’est pas accompagnée d’autres changements[8].

Esther Duflo, économiste française récemment nommée auprès du président américain Barack Obama, a évalué un grand nombre d’expérimentations dans des pays en développement. Le tableau ci-dessous permet d’illustrer l’utilité d’expérimenter différents scénarios de réforme. L’exemple présente le coût de plusieurs programmes permettant d’aboutir strictement au même résultat : accroitre d’une année la scolarisation des enfants dans les pays en développement.

L’intérêt de ce type de résultats pour des gouvernements dont les ressources sont très contraintes est évident, le choix du programme restant in fine politique. Esther Duflo a popularisé la méthode des expérimentations aléatoires (ou évaluations « randomisées ») qui a permis de trouver ces résultats ; s’inspirant des essais cliniques utilisés pour tester les nouveaux médicaments, elle est considérée aujourd’hui comme une des plus fiables. Généralement appliquée dans les pays en développement, cette méthode est aussi transposable et utilisée dans les pays développés.

La France reste en retard par rapport aux autres pays développés dans l’utilisation de ces méthodes. Si l’expérimentation aléatoire n’est pas applicable à l’évaluation de l’ensemble des politiques publiques[9], la démarche impulsée par l’actuel gouvernement serait l’occasion de lancer quelques grands chantiers d’expérimentations aléatoires ciblés sur les scénarios de réformes aux enjeux les plus forts.

Pour s’assurer que l’exercice d’évaluation des politiques publiques participe à faire des choix éclairés dans les réductions des dépenses publiques imposée aux ministères, il pourrait donc être nécessaire de différencier davantage la méthode selon les politiques publiques évaluées pour garantir un niveau de fiabilité et de crédibilité suffisant pour prendre des décisions difficiles et choisir des scénarios de réformes structurants sur certains sujets à forts enjeux. La contrainte accrue sur les finances publiques, liée au dérapage anticipé du déficit budgétaire 2013 de 20 milliards d’euros, devrait rapidement nous montrer si les rapports finaux, de la première vague d’évaluation qui s’achève, vont permettre une réduction des dépenses publiques et si cette réduction sera différenciée selon l’efficacité de chaque dépense.

 


[1] Article du 28 Juin 2012 « La RGPP de demain : une Réduction Générale des Politiques Publiques ? La vision de Sia Conseil sur la réforme de l’Etat »

[2] Données INSEE et Site de la Performance Publique : les 500Mds représentent les « prestations sociales et autres transferts en nature de biens et services marchands ». Environ 80% de ces dépenses sont réalisées par les administrations de sécurité sociale (régimes d’assurance maladie et hôpitaux principalement), 10% par les collectivités territoriales et 10% par l’Etat. En comparaison, le montant du déficit budgétaire toutes administrations publiques était de 100Mds d’€ en 2011.

[3] Cette méthodologie est présentée dans un guide : « Cadrage méthodologique de l’évaluation des politiques publique partenariales » établi par l’IGA, l’IGF et l’IGAS en décembre 2012

[4] Entretien au magazine Acteurs Publics du 04 juin 2013

[5] Entretien au magazine Acteurs Publics du 21 février 2013

[6] « Cadrage méthodologique de l’évaluation des politiques publique partenariales » établi par l’IGA, l’IGF et l’IGAS en décembre 2012 : « Ce document ne suit pas exactement le modèle d’une évaluation tel que le promeut par exemple la Société française d’évaluation, car il serait trop complexe, trop consommateur de ressources humaines et supposerait une durée beaucoup plus longue que ce qui est envisageable dans le cadre de la modernisation de l’action publique ».

[7] Les notes du Conseil d’analyse économique n°1 Février 2013, Evaluation des politiques publiques : « Une expérimentation aléatoire peut s’avérer coûteuse, même si la précision des résultats et les économies budgétaires qu’ils peuvent permettre en font souvent un investissement rentable ».

[8] Esther Duflo, Le développement humain, Lutter contre la pauvreté (I) faisant référence à une expérimentation menée en Inde rurale, en Inde urbaine et au Kenya par Abhijit Banerjee et al.

[9] Cette méthode ne peut pas être appliquée à toutes les situations d’évaluation de politiques publiques car: elle exige de pouvoir constituer un « groupe témoin » comparable au groupe bénéficiant du programme, elle ne peut s’appliquer pour des raisons éthiques à des mesures de type minima sociaux car elle exclurait le groupe témoin de ces minimas, les délais de mise en œuvre sont difficiles à concilier avec le temps politique etc.