La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Au même titre que la maîtrise des risques et le passage au numéro d’identification unique du patient, la Cour des comptes identifie, dans son rapport public annuel 2018, l’interopérabilité comme l’un des trois prérequis au développement du numérique au service du système de soins. Explications.
L’interopérabilité entre systèmes informatiques désigne leur capacité à échanger des informations sans qu’un effort supplémentaire de « traduction » de ces dernières soit nécessaire. Elle est la première condition de la coopération des professionnels de santé et donc du passage d’une logique de silo vers une logique de parcours de soin centré sur le patient.
Les réflexions qui l’entourent ne concernent pas seulement les groupements hospitaliers de territoire (GHT), ayant pour objectif la mise en place un système d’information convergent pour janvier 2021, mais tout l’écosystème de santé, des établissements de santé aux éditeurs et hébergeurs de solutions.
Dans cet écosystème, les données sont en effet produites par une multitude d’acteurs qui ne parlent pas le même langage (interopérabilité sémantique), qui n’utilisent pas les mêmes formats informatiques (interopérabilité technique) ou encore qui ont des organisations et des procédures différentes (interopérabilité organisationnelle).
Dans ce contexte hétérogène, la convergence vers une norme unique d’interopérabilité – donc vers un langage commun – permettrait aux éditeurs de solutions une rationalisation des dépenses par une mutualisation des développements et des formations ainsi qu’une facilitation de l’intégration dans les systèmes d’information existants.
Pour les établissements de santé, cette convergence aurait pour conséquences, dans un contexte économique contraint, une réduction des coûts d’intégration des nouvelles solutions, un apport de flexibilité et de modularité dans le système d’information et un recentrage de l’effort commun autour du parcours patient.
Sur le plus long terme, l’unicité du langage permettrait de faciliter l’exploitation des données de santé par des technologies d’intelligence artificielle.
Conscients de ces enjeux, les pouvoirs publics ont souvent incité au respect des normes d’interopérabilité sous forme de labellisations, de certifications ou encore en rendant opposables les normes d’interopérabilité en santé (loi du 26 janvier 2016). Le Cadre d’Interopérabilité des SI de Santé, proposé en 2009 par l’ASIP Santé, déclinait des normes et standards internationaux pour la santé française.
Les normes et cadres proposés restent cependant lacunaires, puisque mal adaptées aux usages actuels et difficilement lisibles par les acteurs. A ce jour, l’opposabilité des normes n’a pas non plus été exploitée. Ces manques, alliés à d’autres obstacles tels que la volonté de préservation du secret industriel, la concurrence entre éditeurs et des intérêts économiques divergents, ont conduits à la mise en place d’un écosystème numérique de santé éclaté et disparate au sein duquel les établissements de santé peinent à se retrouver et qui les contraint au développement d’interfaces toujours plus nombreuses entre les solutions mises en place.
Les éditeurs et hébergeurs sont actuellement en attente d’une proposition des pouvoirs publics d’une stratégie long terme sur ce sujet, qui fixerait un cap et des jalons d’investissement. Dans cette attente, certains acteurs suggèrent que les éditeurs se concertent « entre eux » pour pousser à la convergence des décideurs et prescripteurs de l’e-santé. La mise en conformité avec le « droit à la portabilité » du RGPD pourrait servir au lancement de cette réflexion.
Dans un monde où les projets s’articulent toujours davantage autour de la donnée, il est fondamental que les acteurs de la santé soient en mesure de mettre en cohérence les différentes sources d’informations, tant au sein du territoire français qu’avec les acteurs internationaux. L’écosystème numérique de santé serait alors plus à même de développer des solutions centrées sur l’amélioration du parcours patient, d’exploiter l’intelligence artificielle voire même d’assurer un déploiement des solutions françaises à l’international.
Article publié dans le magazine MindHealth n° 8 du mercredi 14 mars 2018 (p.13)