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Marées noires : la gestion du risque en France

Compte tenu de l'actualité de la marée noire aux Etats-Unis, Sia Partners vous propose de redécouvrir un article sur la gestion du risque des marées noirées en France.

Retrouvez dans cet article les différents moyens mise en oeuvre pour réduire les risques de marée noire tant par les entreprises exposées que par les autorités internationales et européennes et quels sont les
acteurs devant supporter la charge financière des dégâts engendrés par le déversement d'hydrocarbures.

Qui paye les dommages causés par une marée noire ?

Pour que les victimes obtiennent réparation et pour attribuer le coût de réhabilitation des côtes polluées par la marée noire, il est nécessaire de définir clairement les responsabilités. La Directive « déchets » prévoit que ce coût doit être supporté par les « détenteurs antérieurs » ou par le « producteur du produit générateur de déchets » et ce jusqu'à un premier plafond. Au-delà de ce plafond, l'indemnisation est assurée par le Fonds d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution d'hydrocarbures [1] (FIPOL), géré par les États membres et financé par des contributions obligatoires des importateurs de pétrole. Ce fonds d'indemnisation possède également un plafond. Dans le cas où ce dernier ne couvre pas l'ensemble des dommages estimés, et conformément au principe du pollueur-payeur, les coûts seront alors supportés par le producteur du produit générateur des déchets, s'il a contribué « au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage ».

Le principe du pollueur-payeur

Principe énoncé par l'article L 110-1 du Code de l'Environnement selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction et de lutte de la pollution doivent être pris en charge par le pollueur. Le principe pollueur-payeur a été adopté par l'OCDE en 1972, en tant que principe économique visant l'imputation des coûts associés à la lutte contre la pollution. Ce principe est un des principes essentiels qui fondent les politiques environnementales dans les pays développés. (Source : dictionnaire encyclopédique)
La France, qui assure à présent la Présidence de l'Union européenne, a fixé l'environnement parmi ses priorités. Son objectif est de définir une réponse européenne au changement climatique afin de préparer la Conférence de Copenhague en décembre 2009, au cours de laquelle les Etats devront organiser l'après Kyoto.
Dans ce contexte, le parlement a définitivement adopté le 22 juillet dernier, à la suite d'un ultime vote de l'Assemblée nationale, le projet de loi sur la «responsabilité environnementale» qui inscrit le principe du pollueur-payeur dans le droit français.

Dans le cas du naufrage de l'Erika, le groupe Total a été condamné le 16 janvier 2008, par le Tribunal de grande instance de Paris, à acquitter un montant de 192 millions d'euros pour l'indemnisation de préjudice moral et d'atteinte à la réputation des collectivités locales. La Cour Européenne de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a ensuite rendu son jugement le 24 juin 2008[2]. Total France et Total International, vendeur et affréteur, considérés comme détenteurs antérieurs au sens de la directive, devront supporter les différents coûts, au delà des fonds d'indemnisation et des exonérations de responsabilité. Toutefois, les juges demandent que la cour de cassation française vérifie si Total a contribué « au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage ».

Le déversement accidentel ou non d'hydrocarbures a bien évidemment des conséquences économiques (tourisme, pêche ...) et sanitaires graves. Mais cet exemple montre que la pollution de l'environnement constitue également un risque financier important pour les entreprises.

Comment les entreprises se couvrent-elles par rapport à un tel risque ?

Le risque environnemental est par définition asymétrique car il n'engendre aucun effet positif à court terme. Ainsi, à long terme, une meilleure gestion de ce type de risque peut être une source d'avantage concurrentiel et constitue donc un élément pris très au sérieux par les directions des entreprises.

Pour la grande majorité d'entre elles, réduire la probabilité à l'exposition d'un tel risque ou à sa réalisation constitue l'objectif premier de la gestion du risque environnemental, dont les conséquences sont multiples et concernent différents secteurs de l'entreprise :

  • Sur le marché : le risque environnemental est très lié à l'intérêt du grand public pour l'environnement. L'impact d'une marée noire peut être catastrophique pour l'image de la société et conduire à la perte de nombreux clients. Cela constitue un danger pour les revenus et la valeur des actifs de l'entreprise.
  • Du point de vue juridique, les politiques publiques, s'inspirant de principes directeurs tels que le principe de précaution, ont pour objectif l'identification de la responsabilité des acteurs mis en cause et l'indemnisation des dommages. Ainsi, le montant des amendes induites par la condamnation pour déversement d'hydrocarbures peut peser très lourd dans leur bilan.
  • Sur le plan réglementaire et associatif, pour lutter contre les dommages sanitaires et écologiques, les autorités réglementaires peuvent augmenter les coûts opérationnels des entreprises ou rendre impossible l'exercice de toute activité.

Aujourd'hui, les entreprises disposent de différents moyens pour réduire ces risques ou les transférer. Le choix des outils de gestion dépendant de la fiabilité de l'information disponible :

  • Contracter une assurance : au-delà des contrats d'assurance couvrant la cargaison, le matériel et les salariés, les grandes entreprises sont généralement bien couvertes financièrement contre les risques d'atteinte à l'environnement, gérés par des gestionnaires du risque environnemental souvent isolés du reste de l'entreprise. Elles ont recours à l'assurance, à l'auto-assurance ou encore aux captives. Les plus petites structures, moins conscientes de ces risques, ont souvent comme seule possibilité de couverture l'assurance traditionnelle. Les risques d'atteinte à l'environnement bénéficient souvent d'un traitement particulier par les compagnies d'assurance : ils sont isolés et garantis par un contrat spécifique.
  • Elaborer des règles internes : il peut s'agir de règles de différentes natures : dresser des procédures particulières pour responsabiliser les salariés ; mettre en place des plan d'intervention en cas de pollution accidentelle ; identifier précisément les zones de risques ; garder l'accès à l'information (c'est le cas des sociétés pétrolières qui ont poursuivi leurs activités de transport pour conserver la connaissance des contrôles réglementaires internes) ; définir des objectifs globaux de la gestion des risques.
  • Employer des outils plus souples : développer des systèmes qui améliorent l'évaluation de la gestion des risques et les intégrer ensuite dans les plans de développement, d'une part. Puis, la promotion de ces systèmes peut être intégrée dans la culture même de l'entreprise. Ainsi, dans le but de renforcer leur image, certains dirigeants pourraient être tentés de réduire davantage leurs risques pour l'environnement.

Dans les années à venir, les risques environnementaux risquent de se complexifier. En particulier, l'intensification du transport maritime et l'augmentation des quantités de pétrole transportées (environ un milliard de tonnes de pétrole entrent dans les ports de l'Union européenne et traversent les eaux entourant son territoire chaque année) accroissent les risques de catastrophe. En matière de protection contre les marées noires, le risque zéro n'existe pas. Mais les mesures qui peuvent permettre de s'en approcher impliquent des choix constamment novateurs en termes de politique énergétique et de transport.

Face aux lobbies pétroliers et aux exigences de rentabilité, quelles sont les mesures prises par les autorités européennes pour améliorer la sécurité maritime ?

Tirant les enseignements de la catastrophe de l'Erika, les réglementations françaises et internationales en matière de sécurité maritime ont évolué vers plus de rigueur. Depuis 2000, l'Union Européenne tend à renforcer le contrôle et le suivi des navires qui transitent dans son espace maritime, notamment à l'aide des «paquets Erika» [3] qui intensifient la surveillance des pétroliers et améliorent le processus d'indemnisation des victimes.

Les paquets européens Erika

La marée noire de l'Erika a déclenché un train d'initiatives européennes : les « paquets Erika » I et II, destinés à renforcer le niveau de sécurité en mer et la protection de l'environnement marin. En novembre 2005, considérant que l'effort doit être poursuivi, la Commission a souhaité créer un troisième paquet portant sur la sécurité maritime.Le paquet Erika I, entré en vigueur en juillet 2003, comprend trois mesures :
- renforcement du contrôle de l'Etat du pavillon,
- mise en place de procédures de contrôle des sociétés de classification des navires,
- accélération de la sortie des pétroliers à simple coque.

Le paquet Erika II, partiellement en vigueur en décembre 2000, prévoyait :
- la création de l'Agence européenne de sécurité maritime, désormais opérationnelle,
- la mise en place d'un système de suivi et d'information communautaire proposé par une directive qui entrera en vigueur le 5 février 2004,
- la création d'un fonds européen d'indemnisation en faveur des victimes de marées noires : en 2005, cette proposition de la Commission a été reprise au plan international avec la décision de créer un fonds supplémentaire qui fera passer le plafond d'indemnisation du FIPOL à un milliard d'euros.

Le paquet Erika III comporte 7 projets de texte articulés autour de deux axes majeurs :
- la prévention renforcée des accidents et des pollutions,
- le traitement de la suite des accidents.

Le 20 mai dernier, le Parlement Européen a adopté le rapport de Willi Piecyk sur la politique maritime de l'Union Européenne. Celui-ci fait suite au « Livre bleu » de la Commission sur une politique maritime intégrée (PMI) [4] du 10 octobre 2007 dont l'un des piliers principaux est la directive cadre « Stratégie pour le milieu marin » adoptée par le Conseil des ministres de l'Environnement en mai 2008. Ces textes prônent la création d'une zone maritime commune et la mise en place d'une politique maritime intégrée pour la période 2008 - 2018.

Aujourd'hui, une étape reste à franchir : l'adoption du « paquet Erika » III, qui prévoit différentes propositions relatives au renforcement des conditions d'octroi des pavillons européens, au durcissement des législations existantes sur les sociétés de classification et le contrôle par l'Etat du port, aux systèmes de surveillance du trafic maritime, aux enquêtes après accident en mer ainsi qu'une proposition consistant à responsabiliser davantage les propriétaires de navires. Dans les prochains mois, les Etats membres devront donc trouver un accord concernant les deux mesures qui font tant polémique : la révision des directives sur les pavillons des bateaux et celle sur la responsabilité des armateurs.

Notes 

(1) Sécurité maritime : fonds d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
(2) Arrêt de la cour dans l'affaire commune de Mesquer / Total France SA / Total International Ltd
(3) IFM : sécurtié, le « paquet Erika » III
(4) Une politique maritime intégrée pour l'Union européenne (« Le Livre Bleu »).

Sources

- « Erika : l'avis de la Cour de Justice européenne pourrait limiter la responsabilité de Total », Actu-Environnement, 14.03.2008
- « Le principe pollueur-payeur adopté à l'Assemblée nationale », Ministère de l'écologie, du Développement Durable et de l'Aménagement du territoire, 25/06/2008
- Marées Noires
- CEDRE
Commission Européenne
OCDE