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Nouvelle obligation européenne d’offre à tarification dynamique : les fournisseurs d’électricité ?

En juin dernier, l’Union européenne a officiellement adopté la nouvelle version de la directive dite Électricité.

Son article 11 « Droit à un contrat d'électricité à tarification dynamique » impose aux fournisseurs d’électricité de pouvoir proposer au moins une offre à tarif dynamique à leurs clients, et ce dès 2021. En France, aucun fournisseur ne propose actuellement d’offre avec un tel tarif.

Quels sont les enjeux de cette nouvelle obligation ?

Introduction d’une nouvelle tarification de l’électricité pour tous les consommateurs

Suite à l’adoption de la directive[i], les fournisseurs d’électricité qui ont plus de 200 000 clients finals vont devoir, à partir du 1er janvier 2021, proposer au moins une offre à tarif dynamique.  Ce tarif reflétera les variations des prix sur les marchés, de manière au moins équivalente aux fréquences de règlement de ces marchés. Seuls les consommateurs équipés d’un compteur communicant pourront demander un tel contrat, mais d’ici l’entrée en vigueur du texte, la majorité des compteurs Linky devrait être déployée sur le territoire français.

 

Une nouvelle offre encadrée et surveillée par les autorités compétentes

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La directive européenne définie les acteurs et leurs responsabilités :

  • L’État français doit adapter le cadre législatif et réglementaire afin que de telles offres soient possibles, tout en assurant une exposition raisonnable des consommateurs au risque de prix de gros.
  • Les fournisseurs concernés devront proposer au moins une offre à tarif dynamique aux consommateurs qui leur en font la demande. Ils devront aussi informer les consommateurs des opportunités, des coûts et des risques de ces offres.
  • Les clients finals qui souscriront à ces offres deviendront des membres actifs du marché de l’électricité et seront amenés à adapter leur consommation en fonction des prix. La directive définit le client final comme “un client qui achète de l'électricité pour son propre usage”[ii], ce qui inclut donc tous les types de consommateurs (particuliers, professionnels, entreprises et acteurs publics).
  • La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) analysera l’évolution de ces offres et publiera un rapport annuel à leur sujet. Elle étudiera en particulier leur impact sur les factures des consommateurs.

 

Une transposition française qui devra préciser l’architecture de ces offres

La directive européenne doit d’abord être transposée dans la loi française, ce que le Gouvernement semble avoir prévu de faire par ordonnance avant fin 2020[iii]. La loi devra préciser la définition des tarifs dynamiques et clarifier la manière dont l’État assurera « une exposition raisonnable des consommateurs au risque de prix de gros »[iv].  

Comment fonctionne la tarification dynamique ?

Une définition à confirmer

Un contrat d’électricité à tarification dynamique est « un contrat de fourniture d'électricité conclu entre un fournisseur et un client final qui reflète les variations de prix sur les marchés au comptant, y compris les marchés journaliers et infra journaliers, à des intervalles équivalant au moins à la fréquence du règlement du marché »[v]. Les tarifs dynamiques comme on l’entend jusqu’alors en France - les offres à heures creuses/pleines et leurs variantes (ou Time of Use pricing) - semblent ne pas correspondre à la définition retenue par l’Union européenne. Dans une étude publiée en 2016 par la Direction Générale de l’Énergie, la Commission distinguait ces tarifs des tarifs dynamiques : « L’effacement basé sur les prix peut reposer sur des structures tarifaires différentes, allant des tarifs simples et statiques (i.e. fixés à l’avance) - heures de pointe/creuses « time of use » (TOU) -, aux tarifs dynamiques (tarifs en temps réel – Real Time pricing -, et tarification en période de pointe – Critical Peak Pricing) qui varient en fonction des prix sur le marché de gros» [vi]. Eurelectric, association sectorielle représentant les acteurs de l’électricité au niveau européen, était en faveur d’un élargissement de la définition des tarifs dynamiques aux tarifications Time Of Use[vii], afin de donner plus de choix aux fournisseurs. Cette interprétation d’une définition stricte devra être confirmée lors de la transposition de la directive par les États membres.

 

Une tarification progressivement expérimentée

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L’Illinois (États-Unis) est un précurseur des tarifs en temps réel, puisque les deux fournisseurs d’électricité y sont tenus de proposer des offres avec une telle tarification aux consommateurs résidentiels depuis 2007. Le succès de la tarification dynamique y apparaît toutefois limité. En décembre 2018, le fournisseur Ameren Illinois avait un peu plus de 13 000 clients à tarif dynamique[viii] et son concurrent ComEd avait lui presque 30 000 clients à ce tarif[ix] - pour 12 millions d’habitants dans l’État de l’Illinois. ComEd note néanmoins une croissance notable du nombre de ses clients à tarification dynamique en 2018 (+25 %) ainsi qu’une hausse de la part de ces clients déclarant recharger un véhicule électrique (+58 %).

Ces premiers déploiements ont également permis à ComEd d’étudier les comportements des utilisateurs. Ainsi, 84 % de ses clients déclarent repousser l’utilisation d’un équipement très consommateur en période de pic, seuls 11 % étant dotés d’un équipement intelligent pour réduire leur consommation. Deux tiers des clients en tarification dynamique déclarent avoir fait des économies par rapport à une facturation classique.  Il est ressorti du même sondage que les clients préféreraient être en day-ahead : les prix de chaque heure sont publiés la veille, ce qui facilite la programmation des différents équipements.

Les autres offres identifiées sont plus récentes : elles datent de la deuxième moitié des années 2010. Toutes les offres en tarification dynamique identifiées sont des contrats à durée indéterminée : le client n’est pas tenu de rester une durée minimum.

 

Une facturation plus complexe

En tarification dynamique, la facture envoyée chaque mois aux consommateurs comprend :

  • la consommation facturée à partir du prix sur le marché de gros chaque heure ou chaque demi-heure de chaque jour du mois facturé ;
  • une commission de fourniture ;
  • des charges d’utilisation du réseau, souvent proportionnelles à la puissance, ainsi que les taxes.

Cette tarification est une véritable rupture pour les fournisseurs, d’autant plus que les tarifs en intraday et en day-ahead sont peu représentatifs aujourd’hui du prix qu’ils payent pour s’approvisionner.  Dans les pays qui se sont déjà lancés, les associations de consommateurs soulignaient quant à elles les risques de difficultés de lecture des factures.

Quelle efficacité potentielle de la tarification dynamique ?

De nombreux bénéfices mis en avant

Dans le cadre de la refonte de la directive Électricité, la Commission européenne souhaitait « placer le consommateur au cœur du marché de l’énergie »[xi], notamment via les tarifs dynamiques qui doivent permettre d’accéder à de nouveaux gisements d’effacement et ainsi, de réduire les pics de consommation, de réduire les investissements dans les unités de production de pointe et dans les renforcements réseaux et de faciliter l’intégration des énergies renouvelables intermittentes.

Cette conviction repose principalement sur des travaux théoriques – nombreuses études publiées sur le sujet et étude de la Direction Générale de l’Énergie mentionnée plus haut – et sur les quelques premières expériences menées à travers le monde (cf. tableau). Le régulateur de l’énergie néo-zélandais partage l’engouement européen : « Le marché au comptant en tarification prix réel favorisera grandement les technologies qui évoluent rapidement comme les batteries et les équipements intelligents, facilitant l’exploitation de tout le potentiel de ces innovations[xii]». Les fournisseurs avancent quant à eux des gains directs sur la facture pour les clients, par rapport à une tarification fixe :

  • Griddy au Texas : 17 à 30 % en moins sur la facture en moyenne (données sur les années 2013-2018, moyenne des particuliers et des entreprises) ;
  • Octopus au Royaume-Uni : £210 en moins en moyenne sur les douze derniers mois pour une famille britannique type (comparé cette fois-ci aux six principales tarifications variables du pays) ;
  • Ameren Illinois : 15 % en moins en moyenne depuis 2007 (pour les particuliers).

Certaines offres, comme celles d’Octopus et de ComEd mettent en avant les prix négatifs qui se produisent parfois sur le marché de gros : les fournisseurs paient alors leurs clients. Les clients interrogés par ComEd et Ameren (dans le cadre du rapport annuel que ces fournisseurs sont obligés de publier sur leurs offres à tarif dynamique) font aussi part d’une satisfaction plus qualitative : ils ont le sentiment d’être en contrôle de leur consommation et de leur facture énergétique mais aussi d’être utile à leur communauté.

 

Une opportunité pour les acteurs de la transition énergétique

Si la tarification dynamique peut au premier abord sembler aller à l’encontre des efforts récents de simplification (offres tout-en-un par exemple), elle pourrait être un outil intéressant pour les fournisseurs qui souhaitent développer des offres d’accompagnement aux économies d’énergie, voire d'agrégation d’effacement et renforcer ainsi leur positionnement d’acteur de la transition énergétique. Le potentiel de ces services est d’autant plus intéressant en France, où l’électricité représente un tiers du chauffage[xiii].

 

Une efficacité sous conditions

Pour pouvoir optimiser la tarification dynamique, un certain nombre d’éléments doivent être réunis :

  • Une communication pédagogue pour expliquer les évolutions saisonnières, hebdomadaires, journalières du marché de gros de l’électricité, voire pour déconseiller le recours à une telle tarification pour les passoires thermiques équipées de convecteurs électriques ;
  • Un équipement intelligent minimum permettant le pilotage de certains équipements électriques ;
  • Des outils digitaux facilitant la visualisation des prix et l’appropriation par le client de sa facture énergétique ;
  • Un système SI permettant la gestion d’une tarification horaire reflétant le marché au comptant en day-ahead ou en temps réel.

Les fournisseurs qui proposent déjà des tarifications dynamiques ont développé différents outils pour communiquer de manière pédagogique aux consommateurs les prix horaires ou semi-horaires : applications smartphone avec notifications en cas de prix très élevés ou très bas voire négatifs, sms, mails, site internet, etc. ComEd, dans son sondage réalisé auprès de ses clients, note un fort intérêt pour un aimant changeant de couleur en fonction du niveau du prix (72 % de clients intéressés). Cet intérêt est toutefois en baisse par rapport à l’année dernière, alors que l’utilisation de l’application du fournisseur est en hausse.

L’étendu des conditions à une exploitation optimale du potentiel supposé des tarifs dynamiques est une difficulté non négligeable. Il est à craindre que les offres soient excessivement lourdes à mettre en place et que leur complexité effraiera les clients, en particuliers les plus petits.

Le développement d’offre à tarification dynamique ne sera pas un petit chantier. L’autorité régulatrice de l’électricité de Nouvelle-Zélande estime même que la mise en place des tarifs en temps réel est la plus importante évolution du marché de gros au comptant du pays depuis sa création. Si l’archipel se donne quatre ans pour progressivement passer au temps réel, les États membres de l’Union européenne ont seulement un an et demi pour développer leurs offres pour tous les clients finals. Si la transposition française tarde, il sera compliqué pour les fournisseurs de proposer des offres ambitieuses dès 2021.

 

Une analyse de Venise Plet-Servant


Sources et Notes : 

[i] Directive 2019/944 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité datée du 5 juin 2019

[ii] Directive 2019/9544, article 2, définition numéro 3

[iii] La loi relative à l’énergie et au climat qui doit être officiellement promulguée avant fin 2019 permet dans son actuel article 6 au Gouvernement de transposer la directive 2019/944 par ordonnance, et ce sous douze mois après publication de la loi mentionnée

[iv] Directive 2019/944, considérant numéro 25

[v] Directive 2019/944, article 2, définition numéro 15

[vi] Traduit de l’anglais : « “Price-based demand response can encapsulate a number of different types of tariff structures from simple and static (e.g. set in advance) peak/off 'time of use' (TOU) tariffs to dynamic tariffs (Real Time pricing, RTP, and Critical Peak Pricing, CPP) which vary with underlying wholesale market prices », Impact Assessment study on downstream flexibility, price flexibility, demand response & smart metering, Final report, Commission Européenne, DG Energie, juillet 2016

[vii] Dynamic pricing in electricity supply, note de position, Eurelectric, février 2017

[viii] Ameren Illinois Power Smart Pricing 2018 Annual Report, avril 2019

[ix] ComEd’s Hourly Pricing Program 2018 Annual Report, avril 2019

[x] Principes de gestion des calendriers tarifaires fournisseurs et de la pointe mobile pour les points de livraison BT≤ 36 kVA équipés d’un compteur électrique communicant, Enedis, juin 2019

[xi] Proposition 2016/0380 (COD) de directive concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité datée du 23 février 2017

[xii] Traduit de l’anglais : « The spot market under [Real Time Pricing] will far better support rapidly evolving technologies like battery storage and smart appliances, making it easier to capture the full potential of these innovations », Decision to implement RTP, Autorité régulatrice de l’électricité de Nouvelle-Zélande, juin 2019

[xiii] 35% exactement en 2012, Chiffres clés du bâtiment, ADEME, édition 2013