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Nucléaire : Des nouvelles générations de réacteurs peuvent-elles sortir la filière de la crise ?

Aujourd'hui, certaines technologies émergent pour la construction de nouveaux réacteurs et focalisent l’attention des experts. Elles constituent les pistes les plus sérieuses pour la 4ème génération.

Après des années 1990 moroses, la construction de réacteurs nucléaires avait connu une embellie au début des années 2000. Ce regain d’intérêt pour la filière nucléaire a été durement éprouvé par l’accident nucléaire de Fukushima. L’impact le plus important est venu de l’arrêt définitif des centrales allemandes et de l’arrêt temporaire des centrales japonaises. De plus les difficultés techniques, surcoûts et retards lors de la construction des réacteurs de 3ème génération (EPR et AP1000) ne sont pas de nature à rassurer les investisseurs et la population. Pour préparer la suite, de nombreux programmes de recherche ont été lancés. Leurs objectifs sont de développer de nouveaux modèles de réacteurs et d’exploiter de nouveaux combustibles. Parmi ces travaux, certaines technologies émergent et focalisent l’attention des experts, elles constituent les pistes les plus sérieuses pour la 4ème génération.

Thorium et uranium appauvri : les nouveaux combustibles de la 4ème génération

Depuis le raccordement du premier réacteur nucléaire au réseau électrique, les technologies ont beaucoup changé pour prendre en compte l’évolution des techniques et améliorer la sécurité des installations. La 4ème génération fait référence au classement habituel que l’on fait des 3 générations de réacteurs nucléaires qui ont existé. De la première génération construite dans les années 1970 à la 3ème constituées des réacteurs en construction actuellement, les changements ont toujours été dans le sens d’une amélioration de la sécurité. On est passé de générateur refroidi au gaz à des réacteurs à eau puis à des réacteurs bénéficiant de mesures de sécurité passive. La construction de ces nouveaux réacteurs connaît de nombreuses difficultés, à l’image du chantier de l’EPR finlandais d’Olkiluoto construit par AREVA. Aujourd’hui 16 des 18 chantiers de réacteurs de 3ème génération présentent des retards et des surcoûts par rapport aux prévisions initiales[1]. Ces retards sont majoritairement dus aux nouvelles exigences des autorités de sûreté pour intégrer les enseignements post-Fukushima.  Malgré leurs différences, les trois premières générations présentent une caractéristique commune forte : l’utilisation de l’uranium comme carburant. Ces technologies ont comme inconvénient de produire des déchets radioactifs à vie longue et de ne consommer qu’une faible part du combustible[2].

Selon le GEN IV International Forum[3], la 4ème génération doit s’affranchir de ces inconvénients, améliorer l’efficacité de la filière nucléaire, la rendre plus sûre et limiter les risques de prolifération. Tels sont les objectifs fixés par cette association chargée de coordonner les efforts de recherche de treize pays.

Parmi les possibilités technologiques possibles pour la 4ème génération, la France a choisi d’opter pour la technologie de surgénérateur à neutron rapide. Ces réacteurs permettent d’extraire de l’énergie d’éléments fissibles alors que les réacteurs actuels consomment des matériaux fissiles[4]. Cela permet de changer le combustible des réacteurs et d’utiliser de l’U238 et non de l’uranium 235[5]. Ainsi les 99,3% de l’uranium qui ne sont pas utilisés aujourd’hui pourraient être transformés en carburant dans ces réacteurs. Si la France a décidé d’opter pour cette technologie, c’est qu’elle permettrait de valoriser une partie des déchets produits par le parc nucléaire en fonctionnement, en particulier l’uranium appauvri issu des usines de production du combustible. D’après le CEA, cette capacité de surgénération permettrait de multiplier par 100 à 150 les capacités énergétiques des réserves d’uranium mondiales[6]. De plus la France possède déjà une expérience dans le domaine des surgénérateurs à neutrons rapides puisqu’elle a disposé de deux réacteurs prototypes de cette technologie, les réacteurs Phénix et Superphénix, qui ont fonctionné respectivement entre 1973 et 2010 et entre 1984 et 1997. C’est pour valoriser ces expériences que la France, à travers du CEA, prévoit la construction du réacteur de démonstration ASTRID pour poursuivre sur le chemin des surgénérateurs. Initialement prévu pour 2025, il fait face à des contraintes budgétaires ainsi qu’aux difficultés de l’industrie nucléaire française.

D’autres pays tels que l’Inde ou la Chine, en parallèle des réacteurs à l’uranium, souhaitent explorer l’utilisation d’un autre combustible : le thorium[7]. Si le thorium n’est pas utilisé actuellement c’est qu’aucun de ses isotopes n’est fissile. Cependant il est possible de former de l’U233 à partir de celui-ci, qui lui est fissible. La Chine, via l’Académie des Sciences Chinoise a lancé en janvier 2011 le programme de recherche le plus ambitieux. Son programme, avec un budget initial de 350 millions de dollars, prévoit de développer un réacteur utilisant du thorium, un premier réacteur expérimental devrait voir le jour en 2020 avec un objectif d’industrialisation fixé à 2040[8].

Des filières aux avantages à confirmer avant une possible industrialisation

La recherche autour de ces filières ne fait que commencer, des réacteurs de recherche devant être mis en service dans les prochaines années. Dans les deux cas, une industrialisation et une généralisation de ces réacteurs de 4ème génération ne sont pas à attendre avant les années 2040. La 4ème génération ne devrait donc pas résoudre les problèmes énergétiques de demain mais les scientifiques espèrent que ses avantages lui permettront de résoudre, à long terme, certaines des plus grandes difficultés de la filière nucléaire.

Les technologies de surgénérateurs ainsi que les réacteurs au thorium promettent de résoudre en partie le problème des déchets générés par la production d’électricité nucléaire. D’une part ils seraient à l’origine d’une production plus faible des déchets les plus dangereux. Ces déchets, les actinides mineurs, sont ceux dont la radioactivité est la plus forte et dont la durée de vie se compte en millions d’années. Une étude préliminaire réalisée par l’université Joseph Fournier de Grenoble  montre que la production d’actinide mineur dans un cycle au thorium est inférieure à celle des réacteurs actuels. D’autre part des études préliminaires font espérer qu’il serait possible d’utiliser les surgénérateurs et les réacteurs au thorium pour transmuter les déchets déjà existants. Cette opération consiste à utiliser le flux de neutrons produit par les réacteurs pour transformer des déchets à vie longue en déchets à vie courte. Dans les deux cas, ces technologies ne nécessitent pas d’enrichissement de leur combustible. Ceci permet notamment de séparer les filières civiles et militaires en empêchant le détournement des usines de combustible à des fins militaires.

Selon des estimations, au rythme actuel, les ressources d’uranium ne représentent que 100 ans de consommation[9]. La 4ème génération se propose de s’affranchir de cette ressource en valorisant des ressources aujourd’hui inutiles, dans un cas le thorium qui n’a pas d’application énergétique aujourd’hui et dans l’autre l’U238 qui bien que constituant la majorité de l’uranium ne produit pas d’énergie dans les centrales. On peut d’ailleurs observer que l’orientation des programmes de recherches des pays concernés se fait en grande partie suivant les ressources disponibles sur leur territoire.

Un dernier objectif affiché pour ces générateurs de génération 4, particulièrement pour le programme chinois de TMSR[10], est la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire pour d’autres utilisations que la production d’électricité. Ainsi l’un des objectifs des réacteurs au thorium est d’utiliser sa haute température de fonctionnement, 600°C bien supérieurs aux 350°C des réacteurs actuels, pour produire de l’hydrogène par dissociation thermique de l’eau. A travers ce modèle de réacteur la Chine espère aussi développer une utilisation non électrique de la chaleur nucléaire.

Quels seront les facteurs déterminant pour la mise en place de ces filières ?

Pour la production d’énergie, le choix d’une filière technologique ne concerne pas seulement les caractéristiques techniques, il faut aussi prendre en compte les variables environnementales et économiques. Dans le cas du nucléaire, l’acceptabilité de la filière constitue un paramètre supplémentaire non négligeable.

Le développement d’une nouvelle génération de réacteurs nucléaires est un processus extrêmement couteux et il convient de s’assurer de la viabilité de la solution retenue avant d’investir. Le programme français Superphénix fournit un exemple d’échec d’un programme de recherche. Il a couté plusieurs milliards d’euros, mais n’a pas permis d’avancer significativement vers une nouvelle génération de réacteur à cause de la forte opposition de la population et d’un manque de volonté politique[11].

Pour limiter leur exposition financière, les pays ont ainisi de plus en plus recours aux partenariats pour développer  de nouveaux réacteurs. Pour influer sur le choix de technologie, il faudra donc être à l’initiative des programmes, seuls les pays les plus ambitieux et disposant des liquidités nécessaires en seront capable et auront ainsi le leadership sur le développement de la 4ème génération. A l’heure actuelle, la Chine fait figure de leader dans les recherches en rapport avec la 4ème génération. Cette position a été soulignée par l’accord de partenariat signé entre le Département Américain de l’Energie et l’Académie des Sciences Chinoise pour le programme de recherche sur les réacteurs thorium.

Par ailleurs, pour fournir l’énergie de demain, le nucléaire est en concurrence avec d’autres formes d’énergie. Par exemple, les États-Unis sont très mobilisés sur l’exploitation des énergies fossiles d’origine non conventionnelles, tels que les gaz et pétrole de schiste. Les programmes de recherche en faveur de ces énergies mobilisent des moyens financiers qui ne peuvent pas être alloués à la recherche pour le nucléaire[12].  La 4ème génération n’est de plus pas la seule piste de recherche pour développer l’énergie nucléaire. Les SMR (Small Modular Reactor), réacteur nucléaire de faible puissance (<500MWe), sont une des voies explorée pour renouveler la filière nucléaire et captent une partie des financements de la recherche.

Les exemples de construction de réacteurs de 3ème génération montrent qu’il est difficile de maîtriser les coûts de construction des réacteurs et que la réalisation d’économies lors de la production de réacteurs en série est plus difficile à obtenir qu’espéré. Pour pouvoir convaincre les populations et les investisseurs de son bien-fondé, la 4ème génération ne pourra pas compter que sur ses avantages techniques mais devra aussi assurer un coût de l’électricité moindre que les réacteurs actuellement en construction.


Notes et sources

[1] Feitz, Anne, Les Echos, 03/09/2015, Nucléaire : des retards généralisés sur les chantiers, disponible sur <http://www.lesechos.fr/03/09/2015/lesechos.fr/021302905067_nucleaire----des-retards-generalises-sur-les-chantiers.htm>

[2] Seul l’isotope 235 de l’uranium est fissible alors qu’il ne constitue que 0,7% de l’uranium naturel (composé à 99,3% d’uranium 238)

[3] Le GEN IV International Forum est une association de treize pays visant à coordonner les recherches pour le développement de la 4ème génération de réacteurs nucléaires. https://www.gen-4.org/

[4] Fissible : Qui est susceptible de fissionner sous l’effet d’un bombardement de neutrons rapides. C’est-à-dire des neutrons de haute énergie qui ne sont pas ralentis après la fission d’un atome.

Fissile : Atome susceptible de fissionner sous l’effet d’un bombardement par des neutrons de toutes énergies. Dans les réacteurs actuels les neutrons sont ralentis avec de l’eau car à des vitesses plus faibles la probabilité de fission est plus grande.

[5] L’uranium naturel est constitué de 99,3% de l’isotope U238 et de 0,7% de l’isotope U235.

[6] La gestion durable des matières radioactives avec les réacteurs de 4e génération, CEA – Direction de l’énergie nucléaire, Décembre 2012, p.15

[7] Le thorium est un élément radioactif dont la présence dans l’écorce terrestre est 4 fois supérieure à celle de l’uranium

[8] http://www.world-nuclear.org/information-library/current-and-future-generation/molten-salt-reactors.aspx

[9] http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/reserves-d-uranium-naturel-dans-le-monde

[10] Thorium Molten Salt Reactor soit Réacteur à Sels Fondu au Thorium

[11] Rapport parlementaire <http://www.assemblee-nationale.fr/rap-enq/r1018-1.asp#P1859_148509>

[12] D’après Department of Energy FY 2015 Congressional Budget Request, Volume 3. Les dépenses de R&D pour le nucléaire s’élèvent à 475 millions de dollars, comprenant la 4ème génération, les réacteurs actuels, les SMR et les cycles combustibles, alors que pour les budgets des recherches sur les énergies fossiles sont de 570 millions de dollars.