La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Si les solutions concrètes à la transition énergétique reposent surtout sur les énergies renouvelables, l'efficacité et la sobriété énergétique, des scientifiques explorent depuis 60 ans une piste encourageante, mais controversée : utiliser l'énergie dégagée par les réactions de fusion nucléaire.
La fusion nucléaire est une réaction atomique au cours de laquelle deux noyaux s'assemblent pour former un noyau plus lourd, libérant ainsi une grande quantité d'énergie. De telles réactions sont notamment à l'oeuvre au sein du Soleil, où l'hélium (produit de fusion) est obtenu à partir d'hydrogène à la suite de plusieurs réactions successives. Les réactions de fusion ne peuvent se réaliser sous des conditions normales de température et de pression car l'énergie des noyaux doit dépasser la barrière de Coulomb pour qu'ils puissent s'assembler [1]. Ainsi, les températures requises aux expérimentations de fusion en laboratoire dépassent 100 millions de degrés. Dans ces conditions, la matière est à l'état de plasma : les électrons sont dissociés des noyaux, l'ensemble formant un gaz ionisé.
Le «facteur d'amplification » est un paramètre-clé dans le cadre de l'exploitation de l'énergie de fusion. Il exprime le rapport de la puissance résultant des réactions de fusion sur la puissance apportée pour chauffer le plasma associé. Ce facteur est donc un bon indicateur de la rentabilité des réactions de fusion. Lorsqu'il est égal à 1, c'est le « breakeven » : l'énergie résultant de la réaction est égale à celle dépensée pour chauffer le plasma. Lorsque la réaction de fusion est auto-entretenue (l'énergie résultant des réactions suffit à elle-seule à maintenir le plasma dans les conditions nécessaires à entretenir la réaction de fusion), le seuil de l'ignition est atteint et le facteur d'amplification est infini. Le facteur d'amplification dépend de la combinaison de 3 variables physiques : la densité, la température et la durée de confinement du plasma [2]. Cependant, lorsque la densité du plasma augmente, des instabilités apparaissent, rompant alors son confinement. Les efforts de recherche actuels portent donc sur l'augmentation de la température et du temps de confinement, afin d'améliorer le facteur d'amplification.
La réaction de fusion la plus intéressante est la fusion de deux isotopes d'hydrogène, le deutérium (2H) et le tritium (3H), donnant en résultat un noyau d'hélium et un neutron [3]. La maîtrise de cette réaction porte des enjeux considérables pour les perspectives énergétiques mondiales puisque le deutérium peut être obtenu par distillation de l'eau de mer, avec des réserves estimées à dix milliards d'années et le tritium, à l'état de traces sur Terre, peut être obtenu par fission du lithium, avec des réserves estimées de 5 000 ans (pour le lithium terrestre) à 100 000 ans (pour le lithium marin) [4].
La fusion permettrait donc de produire de grandes quantités d'énergie, tout en exploitant des ressources extrêmement abondantes. Cette technologie a connu un engouement mondial dès les années 50 avec la mise en place d'une collaboration scientifique internationale dédiée malgré la Guerre Froide. Le projet ITER, actuellement en construction à Cadarache, est le dernier projet né de cette collaboration.
Les températures atteintes lors des expérimentations de fusion nucléaire imposent de maintenir le plasma éloigné des parois du réacteur pour ne pas endommager les matériaux. Il existe deux principes de confinement pour les réactions de fusion : le confinement inertiel utilisant des rayons laser, et le confinement magnétique [5]. Dès 1968, les scientifiques russes sont parvenus à stabiliser un plasma de plusieurs millions de degré dans un Tokamak, une enceinte de confinement magnétique. Depuis, de nombreux progrès ont été réalisés dans divers Tokamaks : JET au Royaume-Uni est parvenu à atteindre un facteur d'amplification de 70% en 1997, et Tore Supra à Cadarache a réussi à maintenir en 2003 un plasma de 40 millions de degrés pendant 6 minutes 30 secondes.
Les performances atteintes dans ces réacteurs ont permis de se rapprocher du « breakeven », sans jamais l'atteindre. Devant l'importance des moyens à mettre en oeuvre pour développer l'énergie de fusion, une initiative internationale a été mise en place en 1985 sous le nom de programme ITER [6]. Conçue entre 1988 et 1998, l'organisation fut officiellement établie en 2006, date de la signature de l'accord entre la Chine, l'Union Européenne, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les Etats-Unis. Cet accord stipule notamment le partage des ressources financières et en nature entre les différents pays. Chaque partie s'engage ainsi à fournir des composants, équipements et matériels, conformément aux spécifications techniques convenues.
L'objectif principal d'ITER, est d'atteindre et de dépasser un facteur d'amplification 10, par la production de 500 MWt d'énergie de fusion avec un apport externe de chaleur de 50 MW. De telles performances nécessitent la construction d'un grand réacteur afin de réduire l'impact des turbulences sur le confinement du plasma [7], puisqu' ITER engendrera 840 m3 de plasma, contre 100 m3 pour JET. Il intégrera les progrès réalisés durant les 50 ans de recherches sur les Tokamaks. L'enjeu majeur restera de maîtriser le confinement du plasma, dont les instabilités peuvent mener à des disruptions [8].
L'ITER vise également à tester plusieurs technologies innovantes pour la production d'énergie de fusion. Le projet permettra en particulier d'expérimenter la résistance des matériaux de la paroi du réacteur au flux de neutrons à haute énergie, insensibles au confinement magnétique. L'ITER doit également prouver la faisabilité de l'autosuffisance en tritium, produit par fission de lithium disposé sur des modules installés dans le réacteur. Le tritium est un élément radioactif dont le stock est réduit de moitié toutes les 12,3 années. Il est donc à l'état de trace dans la nature. Le succès de la fusion repose sur la maîtrise d'une production de tritium en quantité suffisante.
Le site de Cadarache a été sélectionné en 2005 pour accueillir le projet ITER. Les premiers travaux d'excavation ont débuté en 2007 et le bâtiment abritant le Tokamak doit commencer à être construit cette année. L'assemblage des éléments du Tokamak est prévu pour 2015, l'obtention du premier plasma pour 2020, et les opérations de fusion pour 2027.
Si l'ITER permet de produire plus d'énergie qu'il n'en consomme, les recherches gagneront un niveau pour tenter de transformer cette énergie thermique dans la production d'électricité au sein d'une installation industrielle : c'est l'objectif du projet DEMO, dont la conception doit être achevée d'ici 2017. DEMO devrait entrer en exploitation en 2030 et produire ses premiers kilowatt-heures en 2040. Il s'agira de la dernière étape avant un développement commercial de la filière de la fusion, espéré pour la deuxième moitié du 21ième siècle.
Alors que l'énergie de fusion offre de belles promesses, le projet ITER ne fait néanmoins pas l'unanimité.
Les coûts de construction du réacteur ITER, initialement estimés à 4,7 milliards d'euros, ont été réévalués en 2013 à 12,8 milliards d'euros. Les raisons invoquées sont une modification de la conception du Tokamak en 2008 afin d'intégrer les progrès de la recherche réalisés depuis le premier design établi en 2001, une augmentation du nombre de membres dans l'organisation, et une augmentation des coûts sur le marché du BTP. La contribution de l'Union Européenne initialement estimée à 2,7 milliards d'euros a dû être réévaluée et plafonnée à 6,6 milliards d'euros pour la période 2007-2020. L'engagement stratégique de l'UE pour l'ITER est donc critiqué, alors que certains préféreraient voir allouer de tels budgets à d'autres projets de recherche, tels que le développement des énergies renouvelables, le stockage de l'énergie, le stockage du CO2 mais également la génération IV des réacteurs à fission pour les partisans de l'atome.
L'énergie de fusion est une technologie à très fort potentiel. Elle est sûre, ne dégage pas de gaz à effet de serre, les ressources en combustible sont abondantes tandis que les déchets radioactifs sont à faible durée de vie. Cependant, les barrières technologiques restent importantes et sa faisabilité technique est encore à prouver. En outre, l'horizon temporel de la maturation industrielle de l'énergie de fusion l'éloigne des enjeux immédiats de la transition énergétique.
Notes:
(1) Les noyaux atomiques, constitués de protons chargés positivement, et de neutrons électriquement neutres, se repoussent naturellement entre eux. Mais lorsqu'ils sont suffisamment proches, l'interaction forte qui est une force attractive prend le relai et permet la fusion des noyaux. Pour cela, il faut dépasser ce qu'on appelle la barrière de Coulomb, en référence à la loi de Coulomb, décrivant les forces électrostatiques entre particules chargées. Selon les lois de la mécanique quantique, la quantité d'énergie nécessaire au dépassement de la barrière de Coulomb serait beaucoup plus importante que celle nécessaire en réalité. Ce phénomène est appelé « Effet tunnel » : même si l'énergie des atomes est inférieure à celle nécessaire au dépassement de la barrière de Coulomb, il existe une faible probabilité non nulle que les particules dépassent cette barrière.
(2) Le « critère de Lawson » exprime les conditions combinées de densité, température et durée de confinement du plasma à atteindre pour un facteur d'amplification donné.
(3) La probabilité d'une réaction de fusion peut être quantifié par la « section efficace ». La réaction de fusion la plus accessible est la réaction deutérium tritium. Elle libère par ailleurs une énergie de 17,6 MeV : 14, 1 MeV dans le neutron émis et 3,5 MeV dans le noyau d'hélium.
(4) Dans l'hypothèse du remplacement de la production nucléaire actuelle par la fusion
(5) La fusion par confinement inertiel met en oeuvre des rayons laser pour densifier et chauffer les produits de réaction pendant une durée très courte. C'est le procédé adopté par exemple pour le Laser Mégajoule, au sud de Bordeaux. La fusion par confinement magnétique met en oeuvre un champ magnétique pour confiner un plasma à des densités faibles, pendant des durées plus longues.
(6) International Thermonuclear Experimental Reactor
(8) Les disruptions sont des pertes de confinement brutales du plasma, risquant d'endommager la structure.
Sources: