La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Avec 42,5 millions de tonnes de déchets par an en 2018[i] (38,2 Mt en 2008[ii]), le secteur du bâtiment est l’un des principaux producteurs de déchets en France.
Si la plupart des déchets inertes sont bien valorisés, c’est moins le cas des 12,2 millions de tonnes de déchets du 2nd œuvre (issus lors de la phase de curage de la partie non structurelle d’un bâtiment). La Loi sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte du 17 août 2015 prévoyait que 70 % soient valorisés au 1er janvier 2020. En 2011 seuls 35% étaient valorisés selon l’ADEME. Un chantier de taille auquel s’est attelée la plateforme DEMOCLES.
En 2014 l’ADEME et Récylum (devenu aujourd’hui ecosystem, éco-organisme agréé par les pouvoirs publics pour la collecte, la dépollution et le recyclage des Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques – DEEE) ont co-financé la création de la plateforme collaborative DEMOCLES. Celle-ci regroupe alors 28 organismes, entreprises et administrations engagés dans cette démarche pour définir les modalités techniques de la gestion durable des déchets du 2nd œuvre, c’est-à-dire détailler les matériaux qui se valorisent et sous quelles conditions, et clarifier les périmètres de responsabilités de chacun et les besoins en compétences associés.
La première phase du projet DEMOCLES (2014-2016) a donc réuni différents acteurs de l’industrie du bâtiment jusqu’à la filière de valorisation pour effectuer un constat afin, dans une seconde phase (2017-2018), de développer des ressources à disposition de ces acteurs pour améliorer les pratiques en matière de prévention et gestion des déchets du 2nd œuvre.
Aujourd’hui ce sont différents outils qui sont disponibles pour permettre le suivi et permettre la valorisation des déchets :
1. Pour la démolition ou réhabilitation d’un bâtiment ayant une Surface Hors Œuvre Brute (SHOB) supérieure ou égale à 1000m², un diagnostic déchets doit être exigé par la MOA avant la démolition. Celui-ci permet d’une part, de planifier au mieux la gestion des déchets en évaluant les flux que le chantier va générer et en ciblant les filières de valorisation. D’autre part, il aide MOA et MOE à préciser leurs exigences dans les DCE, notamment pour le lot curage.
2. Les entreprises proposent ensuite des solutions dans un Schéma d’Organisation et de Gestion des Déchets (SOGED) qu’elles s’engagent à respecter. Un ensemble de documents de traçabilité permettent à la MOA/MOE de suivre la gestion des déchets jusqu’à leur valorisation.
3.Enfin, un récolement des diagnostics déchets est à déclarer à l’ADEME et permet de comparer les quantités réelles de déchets évacués et valorisés avec les conclusions du diagnostic déchets réalisé avant la démolition.
En engageant le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés, DEMOCLES effectue aujourd’hui le constat que ces étapes ne s’articulent pas correctement et que ces outils restent sous-exploités. Alors que les MOA sont le premier maillon de la chaîne, elles sont peu sensibilisées aux problématiques de leurs déchets ou mal informées de leurs responsabilités juridiques. Il leur est donc difficile d’exprimer des attentes en termes de réutilisation/valorisation/recyclage lors de la rédaction de leurs DCE puis d’en suivre l’exécution sur le terrain.
Les groupes de travail DEMOCLES ont donc remis en avant les responsabilités et rôles de chacun. Ils préconisent aussi des pratiques telles que le curage sélectif, s’opposant à la méthode courante qui consiste à mélanger tous les déchets dans une même benne rendant ensuite la valorisation impossible ou laborieuse. En effet, ce sont 10 des 15 catégories de déchets valorisables qui ne peuvent pas être recyclés s’ils sont collectés en mélange. Une dépose sélective lors du curage demande plus d’organisation (anticipation, phasage, place disponible sur le chantier pour les contenants, optimisation des rotations, etc.) mais permet une valorisation optimale à coûts finalement équivalents.
DEMOCLES propose ainsi un ensemble de recommandations qui, si elles sont suivies, permettent de valoriser les déchets à plus de 80%, sans surcoût significatif dans l’opération. De nombreux acteurs ayant mis en place les méthodologies recommandées ont témoigné du succès de leur chantiers : des taux de valorisation supérieurs à 95% sans surcoût significatif et la satisfaction des équipes à travailler sur des chantiers propres étaient mis en avant. « Quand on veut, on peut » affirmait ainsi Valérie Bonnard, Chef de projet RSE Développement durable - Investissements chez SNCF Gares & Connexions, lors l’événement « Gestion durable des déchets du bâtiment : le grand rendez-vous de DEMOCLES[iii] » organisé par DEMOCLES, ecosystem et l’ADEME, qui s’est tenu le 12 mars 2020.
Lors de cet événement, DEMOCLES a lancé un grand appel à projets : « Gestion des déchets de chantiers du bâtiment : pour une maîtrise d’ouvrage exemplaire ». Afin d’inscrire le changement des pratiques dans la durée, DEMOCLES a souhaité accompagner 50 MOA dans l’évolution de leurs pratiques en termes de gestion des déchets de chantier et d’économie circulaire.
Si on note que le diagnostic déchet requiert une attention particulière pour une montée en compétences des diagnostiqueurs et des besoins en qualité de gestion de projet, la traçabilité est en passe de s’imposer comme un enjeu majeur. En effet, encore aujourd’hui elle s’effectue couramment par l’intermédiaire de bordereaux de suivi des déchets (BSD) qui passent d’acteurs en acteurs et rendent le suivi extrêmement complexe et laborieux pour les MOA/MOE. Or les nouvelles attentes en termes d’économie circulaire (70% minimum de valorisation des déchets), les pratiques émergentes de réemploi in situ (ex. : projet de métabolisme urbain à Plaine Commune), le développement de plateformes internet de matériaux de réemploi sur le modèle leboncoin (ex. : Cycle Up) et les perspectives offertes par la blockchain militent pour une transparence et une anticipation accrue sur les flux de matériaux, de la conception du bâti neuf au réemploi.
Combinée à un cadre juridique favorable aux matériaux de réemploi, une traçabilité de bout en bout développerait une économie de la chaîne de valeur, permettant d’identifier les marges de progrès potentiels. De plus, avec des informations avérées sur les quantités et une garantie de la qualité des déchets produits, elle permettrait d’installer la confiance parmi les acteurs de la filière du recyclage et de la valorisation. En effet, ces informations sont indispensables pour les investisseurs afin de dimensionner les technologies et installations en fonction des flux prévus.
Une analyse de Louis ALLART et Raphaël BARTH