La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Assurément, le législateur français a le goût de l'expérimentation en économie. Nous n'en voulons pour preuve que ses récentes tentatives pour déterminer le seuil d'inflexion de la courbe de Laffer - cette fameuse courbe qui illustre le principe du « trop d'impôt tue l'impôt ».
Constatant l'incapacité des économistes à s'accorder sur le niveau du seuil fatidique, le législateur a jugé que la meilleure façon de mettre tout le monde d'accord était d'augmenter les taux d'imposition jusqu'à parvenir à ce fameux point où les recettes fiscales diminuent
Sans doute sommes-nous sur la bonne voie : malgré les multiples hausses d’impôts décidées depuis 2010, la Cour des comptes souligne que les recettes fiscales de 2012 ont été de 6,5 milliards d’euros inférieures aux montants escomptés en loi de finances initiale [1]. Les hausses d’impôts votées ces deux dernières années permettront sans doute d’approfondir l’analyse sur 2013 et 2014 : le phénomène se confirme déjà pour la TVA, dont les recettes au premier trimestre étaient inférieures de 2,3 % par rapport à celles de la même période en 2012 [2]. Et la croissance plus faible que prévu ne suffit pas à expliquer ce différentiel. En cause, selon la Cour des comptes : une déformation de la structure de la consommation des ménages – avec une augmentation de la part des biens soumis à un taux de TVA réduit –, et des comportements de fraude fiscale. Autant d’attitudes de fuite devant l’impôt.
Ce faisant, la France concourt pour le titre de championne de la pression fiscale au sein de l’OCDE. Avec un taux de prélèvements obligatoires (TPO, défini par le rapport prélèvements obligatoires / PIB) qui s’élève à 46,3 % en 2013 (contre 34,1 % en 1970) [3], elle monte sur le podium des pays à plus forte pression fiscale. Seul le Danemark (avec 47,7 % de TPO en 2011[4]) la surpasse encore, la France ayant déjà distancé la Suède (44,2 % du PIB en 2012) et la Belgique (44,1 % en 2011) en 2012. Parmi ses atouts pour remporter la palme, la France a notamment le plus fort taux d’imposition sur le capital (44,4 % en 2011). Et la tendance dans les pays nordiques étant à la baisse du TPO, elle a bon espoir de devenir championne en titre dans un avenir proche.
Concrètement, à législation fiscale constante, pour un Français percevant un revenu moyen avec un taux d’épargne moyen, qui commence à travailler à l’âge moyen, touche un salaire moyen tout au long d’une carrière classique et meurt à l’âge moyen [5], 51 % de ses revenus au cours de sa vie reviennent à l’État et aux administrations de sécurité sociale[6], dont :
- 31,5 % de charges dites « patronales » ;
- 11,5 % de charges salariales ;
- et 7 % de TVA.
À cela s’ajoute évidemment l’imposition locale (taxe d’habitation et éventuelle taxe foncière), et s’il a hérité de plus de 100 000 € de patrimoine au cours de sa vie (le prix d’un petit studio à Paris), les frais de succession qu’il a dû acquitter. Et encore ne s’agit-il que d’un individu moyen, lequel n’est soumis ni à l’imposition sur le patrimoine ni aux tranches les plus élevées de l’impôt sur le revenu.
Concernant les entreprises, la pression fiscale n’est pas moindre : c’est en France que sont enregistrés les taux d’imposition légaux les plus élevés d’Europe sur les revenus des sociétés en 2013 (36,1 % en 2013 [7]). À l’échelle de l’OCDE, seul le Japon devance la France (40 % en 2012) [8]. Outre l’impôt sur les sociétés, les entreprises doivent également s’acquitter de la contribution économique territoriale (CET) qui a remplacé la taxe professionnelle. Celle-ci se compose d’une cotisation foncière des entreprises (CFE) et d’une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), lesquelles représentent 16,5 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires sur les entreprises.
Évidemment, en regard de cela, il faut prendre en compte les sommes reversées au contribuable quand il se trouve dans certaines situations de vie (enfants à charge, retraite, chômage, maladie), les aides et les subventions aux entreprises et les services publics dont nous bénéficions (sécurité intérieure, défense, justice, éducation, etc.). Mais la « grogne fiscale » qui se fait entendre depuis quelques mois souligne que les Français n’en ont pas pour leur argent et que ces avantages ne suffisent plus à justifier la pression fiscale record qu’ils subissent. Pour réduire le déficit budgétaire, ce n’est pas tant l’augmentation d’une pression fiscale déjà considérable qui est attendue, mais bien la réduction des dépenses publiques[9].
Certes, réduire les dépenses publiques est ardu, surtout lorsque la charge de la dette pèse lourd dans le budget de l’État (14,19 % en 2013) et qu’elle croît chaque année – plus particulièrement lorsque la note de la France se trouve dégradée. Mais c’est toutefois nécessaire, et comme l’ont montré les exemples grec et espagnol, le désendettement ne peut se faire sans croissance, fût-elle minime. L’État le premier a intérêt au retour de la croissance. Or l’augmentation des prélèvements obligatoires a fortement dégradé le pouvoir d’achat et les profits des entreprises et compromet les perspectives de croissance. Le serpent se mord la queue : la pression fiscale freine la croissance, la dette croît en conséquence et justifie d’intensifier la pression fiscale… le petit jeu peut durer longtemps.
Pourtant, les avertissements émanant des institutions les plus autorisées ne manquent pas.
En juin dernier, le FMI dénonçait une trop forte pression fiscale en France : « L’utilisation répétée de mesures fiscales pour remplir les objectifs budgétaires n’a pas seulement augmenté la pression fiscale jusqu’à un niveau excessif mais aussi entamé la confiance des entreprises et des ménages », affirmait le fonds, qui réprouvait aussi l’instabilité fiscale du pays. Selon le FMI, l’augmentation de la charge fiscale pèse de façon problématique sur la compétitivité des entreprises françaises.
À son tour, Bruxelles effectuait une mise en garde du même ordre au mois d’août : « Les hausses d’impôts en France ont atteint un seuil fatidique » assurait Olli Rehn, vice-président de la Commission européenne, chargé des affaires économiques et monétaires. « Lever de nouvelles taxes aurait pour effet de casser la croissance et de peser sur l’emploi. La discipline budgétaire doit passer par une baisse des dépenses publiques et non par de nouveaux impôts. »
Troisième coup de semonce, le rapport de l’OCDE sur la compétitivité française dont la publication était repoussée par l’Élysée depuis six mois a été rendu public le 13 novembre. Y sont dénoncés le faible nombre d’heures travaillées depuis le passage aux 35 heures et les inégalités croissantes du système scolaire et de la formation professionnelle. Et même si le CICE (« crédit d’impôt compétitivité emploi ») de Hollande a été salué par ledit rapport, l’OCDE n’en affirme pas moins que « la fiscalité du travail [en France] y est particulièrement défavorable à l’emploi », en raison de l’« effet négatif de la fiscalité assise sur le travail sur le niveau de l’emploi, et notamment des cotisations sociales » – particulièrement pour les bas salaires – et d’« un taux de l’impôt sur les sociétés comparativement élevé » (avec cependant une assiette étroite). L’OCDE propose donc plusieurs mesures visant à réduire la pression fiscale qui pèse sur le travail et sur les entreprises. Associées aux autres mesures proposées pour accroître la compétitivité, le niveau de formation, la recherche et l’innovation, pour améliorer le marché du travail et réformer le secteur public, ces propositions constituent une feuille de route pour renouer avec la croissance.
Tous ces cris d’alerte font entendre un même message : sans réforme de grande ampleur, la France court à la récession. Les principaux axes d’une telle réforme sont clairs à force d’être proposés :
- L’allongement du temps travaillé : travailler plus pour produire plus et permettre ainsi une croissance du PIB ;
- La diminution du coût du travail :
-La diminution de la pression fiscale qui pèse sur les particuliers, afin de ne pas étrangler la consommation ;
- Et pour compenser la diminution des recettes fiscales, un effort plus soutenu de réduction des dépenses publiques : il ne s’agit pas seulement de ralentir l’augmentation des dépenses, mais de les réduire effectivement, ce qui suppose entre autres de reconsidérer le périmètre d’intervention financière de l’État.
L’urgence de ces mesures n’est plus à démontrer. Sans elles, la France peut dire adieu à la croissance. Les avis et les rapports qui l’affirment se multiplient ; souhaitons qu’ils soient pris en compte. Évidemment, ce genre de présage n’est jamais doux à entendre. Les prophètes de malheur sont des gens barbants, et Cassandre n’a pu empêcher le sac de Troie. Gageons néanmoins que dans une république laïque, aucun dieu ne nous rendra sourds à sa voix.
[1] Source : Cour des comptes, Résultats et gestion budgétaire de l’État, exercice 2012.
[2] Les recettes de TVA étaient déjà de 3,5 milliards inférieures aux prévisions pour l’année 2012.
[3] Source : Vie-publique.fr.
[4] Source : Eurostat, communiqué de presse du 29 avril 2013.
[5] Source : INSEE pour l’espérance de vie, l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail, le revenu moyen, le taux d’épargne moyen.
[6] Des chiffres plus élevés sont souvent avancés. L’institut Molinari l’estime à 56,6 % pour 2013, mais il ne prend pas en compte la période de retraite. D’un autre côté, il n’intègre pas non plus la taxation de l’épargne.
[7] impôt sur les sociétés à 33,33 % et surtaxe pour les grandes entreprises – laquelle surtaxe devrait augmenter et porter à 38 % l’imposition des sociétés en 2014.
[8] Source : Eurostat.
[9] Ce que confirme un récent sondage réalisé par BAV pour Les Échos – même si aucun consensus véritable ne se dessine sur les dépenses qu’il s’agit de réduire.