La reconversion, parent pauvre des politiques d…
A l’heure de la décarbonation et de la montagne 4 saisons, la mobilité se trouve au cœur des mutations économiques. Aménagements et mobilités ont vocation à être en symbiose avec les enjeux de préservation du patrimoine naturel et du cadre de vie.
La France est la première destination touristique mondiale, devant l’Espagne, les Etats-Unis et la Chine. 90 millions de visiteurs étrangers ont ainsi été reçus en France en 2018 [1]. Le tourisme domestique y est également prépondérant, tout particulièrement, depuis la crise de la Covid-19 : pour les français partis en week-end ou en vacances en juillet-août 2021, 89% des séjours ont été hexagonaux [2].
La présente étude aborde le tourisme en zones de montagne et le tourisme rural au travers d’un benchmark des pratiques en termes de mobilité et de stationnement observées sur des Grands Sites naturels très visités, notamment de montagne. La comparaison effectuée a été nationale et européenne.
Un sondage réalisé par l’INSEE pour Atout France a montré que lors d’un séjour à la montagne l’été, 79% des français souhaitent contempler de beaux paysages et être au plus près de la nature. Viennent ensuite, le besoin d’oxygénation et de remise en forme [3]. Si les nombreux parcs nationaux et régionaux [4] constituent un vivier pour répondre à ces attentes, ce tourisme doit être rendu compatible avec la préservation du patrimoine naturel, l’entretien des savoir-faire et l’agriculture [5]. Les paysages constituent ainsi le premier critère de satisfaction des visiteurs estivaux dans les zones de montagne [6].
Face à ce constat, un mouvement d’ampleur est en cours pour repenser l’accès aux grands sites touristiques naturels et les solutions de mobilité qui en découlent.
Aménagements, mobilité, stationnement ont vocation à être en symbiose avec les enjeux de préservation du patrimoine naturel et du cadre de vie. L’aménagement de parkings plus éloignés des sites naturels ou plus bas en altitude, capacitaires et bien intégrés au paysage devient une attente forte et intéresse donc les élus et gestionnaires de sites naturels. Ces nouveaux enjeux de stationnement impliquent toutefois de repenser le cheminement en modes actifs et de prévoir des moyens de transport collectifs. Ces derniers, complexes à mettre en œuvre, nécessitent un pilotage judicieux de la fréquentation attendue et le recours à de nouvelles technologies digitales comme l’intelligence artificielle. Ceci afin d'absorber les pics de fréquentation en juillet-août, tout en veillant à un taux de remplissage convenable en arrière-saison.
Les politiques publiques des Trente Glorieuses ont eu pour objectif d’attirer toujours plus de touristes français et étrangers, à l’image des différents plans Neige de 1964 à 1977. Le transport routier constitue alors le principal moyen de transport pour accéder aux sites touristiques naturels de montagne. Jusqu’aux années 1990, les sites touristiques incitent fortement les visiteurs à stationner à proximité immédiate des sites : facilité d’accès, cheminement réduit entre parking et site à voir constituent un attrait supplémentaire.
Une volonté de conciliation du tourisme et de la protection des sites apparaît progressivement notamment à partir des Opérations Grand Site lancées en 1976 puis de la loi Montagne, adoptée en 1985 [7]. A partir de la décennie 1990, des aménagements commencent à être réalisés pour limiter les effets sur les sites naturels (pollution, érosion) et répondre aux attentes des visiteurs par des labellisation toujours plus précises : schéma national pour le développement des véloroutes et voies vertes en 1998, label “Grand site de France” (Alésia, Puy-de-Dôme, Rocamadour, Cirque de Navacelles, etc.) limitant les évènements pouvant être organisés sur ces sites. La fréquentation touristique doit, en outre, être compatible avec le caractère patrimonial du site et les conditions de vie des habitants [8].
De nos jours, les visiteurs expriment eux aussi des souhaits nouveaux. D’une part, de nature, d’espace, et d’authenticité et d’autre part, de services et de qualité. Les Ministères de l’Economie, des Finances et de la Relance ainsi que de l’Europe et des Affaires étrangères ont mis en place une Enquête annuelle de satisfaction des clientèles touristiques en France [9] décrivant les attentes spécifiques des touristes, en particulier :
Ces éléments se retrouvent à l’échelle du tourisme en zone de montagne dans les études annuelles de l’agence Savoie Mont-Blanc : les paysages constituent le premier critère de satisfaction des visiteurs estivaux dans les zones de montagne et leur donnant envie de revenir [10].
Cette préservation du patrimoine naturel et bâti souhaitée simultanément par les élus, riverains et visiteurs appelle à repenser la conception des sites naturels en rendant sa place à la montagne. Pour ce faire, l’éloignement des stationnements et une meilleure intégration de ces derniers dans le paysage s’observe sur la grande majorité des sites touristiques de montagne. En conséquence, la part allouée aux modes actifs (piéton, cycliste, cavaliers, etc.) augmente structurellement. Afin de maintenir le caractère attrayant de ces sites, un aménagement de ces cheminements en mode actif s’impose pour les rendre ludiques et didactiques et les intégrer dans la démarche paysagère. Dans le même temps, des navettes et autres modes de transport sont mises en place pour proposer une desserte de qualité pour des personnes ne souhaitant ou ne pouvant pas cheminer à pied ou à vélo. Au-delà des aménagements de voirie, les visiteurs sont, de nos jours, en attente d’équipements et de service proposant une information de qualité sur l’histoire et la géologie du site (exemple des 5 Maisons de Site du Puy-Mary dans le Cantal [11]), des commerces labellisés proposant des produits du terroir, issus de circuits courts [12], ainsi que de commodités.
Si la place de la voiture tend à diminuer au cœur des sites, il convient toutefois de préciser que l'autosolisme n'est en rien, une réalité du site touristique : en moyenne, lors d’un déplacement touristique, on compte environ 3 personnes par véhicule [13]. A titre d’exemple, un comptage effectué en 2019 sur le grand site du cirque de Sixt-Fer-à-Cheval en Haute-Savoie a estimé à 3,2 le nombre de personnes par véhicule [14].
Sia Partners a réalisé un benchmark visant à connaître les bonnes pratiques mises en œuvre dans de grands sites touristiques très visités, notamment de montagne. La comparaison effectuée a été nationale mais aussi européenne avec des sites autrichiens, allemands, suisses et slovènes.
Afin de préserver le patrimoine et de mieux accueillir les visiteurs tout en répondant à leurs attentes, les sites touristiques éloignent progressivement les aires de stationnement des sites touristiques notamment par la construction de parkings relais en entrée de site et la réduction des altitudes atteignables en voiture lorsqu’il s’agit de sites de montagne.
A titre d’exemple, le Refuge des Cortalets (2 150m) et le Pic du Canigou (2 784m) dans les Pyrénées-Orientales, ont progressivement vu leur accès automobile réduit et limité à un parking relais implanté au lieu-dit de l’Esquena d’Ase (1 386m) depuis 2016 [15]. De la même manière, le Puy-de-Dôme, accessible de 1926 à 2010 par une route longue de 4 km et présentant une déclivité de 12% a vu son trafic strictement encadré. Les voitures stationnent sur un parking aménagé en contrebas et l’ascension est assurée par un train à crémaillère, le Panoramique des Dômes, depuis 2012, en remplacement d’autocars. Les randonneurs empruntent un cheminement unique afin d’éviter le phénomène d’érosion, lié au passage de piétons et cyclistes. Si cette tendance est en augmentation ces dernières années, certains sites emblématiques furent pionniers dès les années 1990 comme la réserve naturelle du Néouvielle dans les Hautes-Pyrénées ou la Haute-Vallée de la Clarée dans les Hautes-Alpes pour lesquelles les routes d’accès sont interdites à la circulation touristique l’été depuis respectivement 1994 et 2003.
Le tableau ci-dessous présente les différents sites étudiés. Ils ont été choisis par leur caractère emblématique de leur région et leur fréquentation annuelle.
Ces aménagements du stationnement permettent un accès respectant la quiétude des riverains, préservent le cadre de vie, garantissent l’authenticité des paysages, et limitent les phénomènes de dégradation des sites naturels. La création de parking relais en centre-bourg peut aussi permettre de revitaliser ces derniers, les touristes étant susceptibles de s’arrêter dans un café, un bar, un restaurant ou des commerces avant ou après leur visite du site. S’agissant des routes et stationnement, la gestion est souvent de compétences communales ou territoriales et nécessite des budgets importants à l’échelle de ces collectivités. On observe que les investissements se font généralement de manière progressive et réversible, en commençant par des modifications légères dans un premier temps (urbanisme tactique). Une fois les résultats de l’expérimentation connus, des travaux plus conséquents sont réalisés, par exemple, entre 2013 et 2020 à Vallon-Pont-d’Arc dans les Gorges de l’Ardèche (Ardèche) et entre 2008 et 2018 au Pic du Canigou (Pyrénées-Orientales) : aménagement de parkings en contrebas de la route d’accès et cachés par la végétation en été et de bordures sur la route pour empêcher le stationnement opportuniste (Ardèche), aménagement de plusieurs portes d’accès au site (Pyrénées-Orientales).
L’aménagement de stationnements plus éloignés des sites touristiques crée de nouveaux besoins d’acheminement, favorisant les modes actifs et nécessitant parfois une offre de transport public. La qualité de l’infrastructure - pour les piétons, cyclistes, est considérée comme un préalable sine qua non pour le développement des modes actifs et le maintien de l’attractivité des sites :
A noter enfin que le Pic du Canigou (Pyrénées-Orientales) propose également une offre destinée aux cavaliers.
L’éloignement des parkings implique aussi la création de transports collectifs pour certains publics : personnes âgées, à mobilité réduite ou parents d’enfants en bas âge. Ces services de transport collectif, gratuits ou payants, sont généralement assurés par des navettes thermiques ou électriques de taille réduite (une trentaine de places au maximum) et peuvent revêtir différentes formes :
L’ensemble de ces offres implique de travailler sur la multimodalité et l’échange d’informations entre les Autorités Organisatrices de la Mobilité (régionales ou intercommunales), les offices de tourisme et les gestionnaires ou délégataires de sites touristiques. Ceci afin de répondre au mieux aux attentes des visiteurs par une information complète et une capacité à répertorier les attentes et besoins des visiteurs. Pour cela les gestionnaires de sites touristiques s’appuient de plus en plus sur les hébergeurs, qui détiennent la relation avec le visiteur. Ces derniers, notés sur Internet, se différencient par la qualité de l’information fournie à leurs visiteurs.
En Autriche, dans la vallée Pitztal, le lien entre usage vertueux des transports publics et hébergement est pleinement réalisé. En effet, les voyageurs arrivant par le train reçoivent un bon d’achat pour l’hébergement. Et ceux passant au moins une nuit sur place obtiennent ainsi un bon de 5€ pour utiliser les bus locaux.
Les modules transport de certaines applications de destinations facilitent également le parcours et favorisent l’usage des transports publics. C’est notamment le cas de l’application mobile de Chamonix développée par la Compagnie du Mont-Blanc, l'Office de Tourisme de Chamonix et la Chamoniarde (société de prévention et de secours en montagne).
A l’heure d’aujourd’hui, la voiture individuelle demeure le moyen de transport le plus adéquat pour accéder à un site touristique. Le visiteur connaît à l’avance son temps de déplacement grâce à l’apport technologique qu’offrent les applications GPS avec prise en compte du trafic en temps réel.
A l’inverse, le transport collectif entraîne des ruptures de charge. Il est donc particulièrement important de soigner la qualité de ces ruptures de charge, en proposant des correspondances étudiées avec les autres modes de transport. En effet, il convient d’éviter des temps de correspondance trop importants qui risquent de renvoyer une image dégradée du site touristique voire de dissuader certains visiteurs.
La mise en place d’un système de navette présente également un coût pour la collectivité territoriale, qui est ainsi non seulement responsable de la voirie mais aussi de la mobilité. Cette équation économique doit être appréhendée de deux manières, en répondant d’abord à l’enjeu saisonnier et en répartissant ensuite judicieusement l’offre tout au long de la journée. Dans les deux cas, cela permet de gérer les pics et les creux de fréquentation.
A l’échelle saisonnière, la saison estivale peut-être décomposée en 4 périodes :
Les mois de juillet et d’août concentrent à eux seuls, environ les ¾ de la fréquentation estivale en montagne [20]. Cela a un impact majeur dans le dimensionnement d’une offre de transport collectif. Les gestionnaires de site et les Autorités Organisatrice de la Mobilité doivent donc évaluer la rentabilité économique de faire circuler des navettes durant les mois des « ailes de saison » (juin et septembre). L’absence de navette durant ces périodes risque cependant de freiner certains visiteurs compte tenu de la longueur des cheminements depuis les parkings. Leur absence peut aussi être porteur d’un signal négatif auprès des socio-professionnels et des hébergeurs sur la volonté de la collectivité de développer le tourisme 4 saisons sur le territoire : si la collectivité ne s’engage pas sur la mise à disposition de ces services de transport sur les ailes de saisons, alors les hébergeurs et socio-professionnels auront une bonne raison de ne pas ouvrir leurs activités. Cela peut créer un effet d’entrainement négatif sur tout le territoire.
En conséquence, la circulation des navettes doit être étudiée à partir de données fiables afin de garantir un remplissage minimal. Cela peut notamment passer par une réduction des horaires ou des jours de circulation. Pour ce faire, il est possible de mesurer la pertinence d’une navette en dehors des mois de juillet et d’août via l’indicateur du coût par visiteurs, en divisant le coût du service après déduction des recettes par le nombre de personnes utilisant le service. En effet, il faut veiller à ce que l’offre de transport public apporte un service aux visiteurs tout en ayant un coût par visiteur pour la collectivité qui ne s’apparente pas à une solution de transport privé.
A l’échelle d’une journée, 4 périodes majeures peuvent être identifiées. Elles ont toute une influence sur l’offre de transport :
Tout l’enjeu pour un gestionnaire de site est alors de lisser les pics pour :
Pour lisser ces pointes, les nouvelles technologies apportent aux gestionnaires de sites de grandes avancées.
Tout d’abord, le recours à des algorithmes d’Intelligence Artificielle permet de prédire avec une forte probabilité l’affluence à 3 ou 4 jours. Sur des sites en extérieur, fortement sensibles à la météorologie, la qualité des prévisions de fréquentation est directement dépendante de la qualité des prévisions météorologiques, même si cette dernière n’est pas la seule variable d’influence des modèles.
Si les algorithmes peuvent être développés rapidement, l’absence d’un historique de données de fréquentation via des capteurs rendra cette utilisation de l’Intelligence Artificielle impossible. La première étape est donc de collecter des données de fréquentation des visiteurs, des voitures sur les parkings.
Une fois les prédictions établies, l’enjeu consiste à les communiquer aux visiteurs pour essayer d’influencer le choix du jour et de l’heure de la visite du site.
Cela peut passer par l’ensemble des acteurs du tourisme comme les Offices de Tourisme, les structures socioprofessionnelles, les hébergeurs mais aussi les réseaux sociaux et applications de mobilités couramment utilisées par les visiteurs.
Si les nouvelles technologies sont de plus en plus utilisées dans les lieux touristiques clos comme les musées, bibliothèques et piscines ou en extérieur comme les parcs d’attraction, elles restent à leurs balbutiements pour les sites naturels en extérieur. Les gestionnaires de sites ont donc tout intérêt à s’emparer de ces opportunités pour optimiser la fréquentation et atténuer dans le même temps, l’impression de saturation aux heures de pointe. Aussi, ces nouvelles technologiques facilitent un pilotage économique optimal d’une solution de transport collectif comme peuvent l’être les navettes.
Le tourisme estival de montagne connaît une forte croissance depuis 2015 et cette croissance va perdurer. D’une part, on observe une attente des citadins actifs pour les espaces de pleine nature, le bien-être et la recherche de déconnexion. D’autre part, le dérèglement climatique modifie la répartition des flux touristiques entre tourisme du littoral, tourisme de pleine nature et de montagne. Pour les gestionnaires, il est donc nécessaire d’adapter les sites aux enjeux des prochaines décennies. Cela passe, en particulier, par la gestion des mobilités en voiture et actives, la régulation du stationnement, l’intégration paysagère des aménagements et l’utilisation des nouvelles technologies pour gérer la fréquentation. Il convient, en effet, d’éviter une sur-fréquentation des sites, nécessairement incompatible avec la préservation du patrimoine naturel et bâti et les attentes des habitants et visiteurs.
Notes et sources
[1] Diplomatie - Venir en france
[2] Le Monde- Les vacanciers en quête d'effort et de soleil
[3] Les echos - L'été pèse autant que l'hiver
[4] La France compte 11 parcs nationaux, couvrant 8% du territoire national et attirant chaque année 10 millions de visiteurs : la Vanoise, Port-Cros, les Pyrénées, les Cévennes, les Écrins, le Mercantour, la Guadeloupe, La Réunion, la Guyane, les Calanques et le Parc national de forêts. 56 parcs naturels régionaux (PNR) viennent s’ajouter aux 11 parcs nationaux.
[5] Parcs naturels régionaux
[6] Chiffres clés Savoie Mont-Blanc 2021, disponible sur https://pro.savoie-mont-blanc.com/Observatoire/Nos-publications/Chiffre…
[8] Grands sites de france
[9] Tourisme
[10] Chiffres clés Savoie Mont-Blanc 2021
[20] Chiffres clés Savoie Mont-Blanc 2021