La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Alors que le projet d’EPR de Flamanville accuse retards et dérives de coûts, les interrogations s’accumulent sur les perspectives de la filière nucléaire en France, malgré les atouts de cette solution bas carbone.
Le nucléaire représente aujourd’hui plus de 70% de l’électricité produite en France. Selon la loi Energie-Climat votée en septembre, cette part sera réduite à 50% à horizon 2035 (horizon 2025 dans la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte précédemment votée en 2015), nécessitant la fermeture de 14 des 58 réacteurs français. Le gouvernement a cependant demandé à EDF d’étudier la possibilité de construire 6 nouveaux EPR, même si aucune décision sur l’avenir de la filière ne devrait être prise avant 2023. En parallèle, des recherches plus prospectives continuent en France et à l’international. Elles ont pour ambition de développer une filière nucléaire en rupture totale avec l’actuelle, grâce à d’importantes percées technologiques. La fusion nucléaire notamment, offre des perspectives plus que prometteuses si la technologie est maîtrisée.
La filière nucléaire a démarré son histoire dans les années 1950 avec la conception des réacteurs dits de 1e génération à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG). Ces réacteurs, mis en service avant les années 1970, avaient pour objectif de mettre en avant la faisabilité industrielle de l’énergie atomique.
Les réacteurs de 2e génération ont été développés à partir des années 1970, après cette démonstration de faisabilité. Différentes technologies appartiennent à cette génération, dont la filière de réacteurs à eau sous pression (REP). Les 58 réacteurs français actuellement en service sont des REP. Des réacteurs à neutrons rapides (RNR) ont également été étudiés mais ne sont aujourd’hui pas exploités en France.
La 3e génération comprend les réacteurs en cours de conception avancée ou actuellement en construction. Parmi eux, l’EPR[i], cette technologie d’origine française, s’est retrouvée au centre de l’actualité récemment. 2 EPR ont déjà été construits en Chine, à la centrale de Taishan (le premier a été mis en service en 2018, le second a atteint sa capacité maximale en août 2019 et devrait être raccordé au réseau électrique d’ici la fin de l’année). 4 EPR sont, eux, en construction en Europe : un à Flamanville en France, deux à Hinkley Point au Royaume-Uni, et un à Olkiluoto en Finlande. La 3e génération comprend également les technologies AP1000 et AES 2006, respectivement américano-japonais et russe.
Enfin, le Forum International Génération IV (GIF) a défini 6 technologies s’inscrivant dans la classification de 4e génération[ii] : 3 réacteurs à neutrons rapides (RNR), un réacteur à sels fondus, un réacteur à eau supercritique et un réacteur à très haute température. La conception de ces technologies sera étudiée plus en détail pour des mises en service envisagées à horizon 2040. Le GIF indique que « les réacteurs de 4e génération utiliseront le combustible de manière plus efficace, réduiront la production de déchets, seront compétitifs économiquement, et atteindront des standards très stricts de sûreté et de résistance à la prolifération »[iii].
Si la construction et la mise en service des deux EPR chinois se sont déroulées avec succès, la filière subit des désillusions en Europe, et pas uniquement sur le projet de Flamanville. L’EPR finlandais, dont le projet lancé en 2003 était le premier de tous, n’est toujours pas mis en service après plus de 10 ans de retard et un budget quasiment triplé[iv]. Le projet d’Hinkley Point accuse entre 10 et 15% de dépassement de budget (M£ 1,9 à 2,9) et un risque conséquent de prendre 9 à 15 mois de retard[v]. Le projet de Flamanville, lui, a vu son budget multiplié par quasiment 4 depuis son lancement (+1,5M€ en octobre 2019[vi]) et son planning retardé de plus de 10 ans également. Ces difficultés, probablement dues en partie au manque de retour d’expérience associé à la construction de têtes de série et à une perte d’expérience sur les deux dernières décennies, ne doivent pas remettre en cause le fonctionnement de la technologie EPR, mais questionnent certainement l’avenir de cette filière, au moins en Europe. Malgré tout, EDF a lancé en octobre un appel d’offres pour la reprise du projet de construction de 2 réacteurs EPR 2[vii], éventuellement sur le site de Penly en Normandie, en prenant en compte le retour d’expérience de la tête de série qu’est Flamanville.
En parallèle, la construction du réacteur de démonstration ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), piloté par le CEA[viii] et pionnier en France de la recherche sur la 4e génération, a été mis de côté jusqu’à au moins 2050[ix]. Il s’agissait d’un réacteur à neutrons rapides refroidis au sodium qui nourrissait la perspective de permettre la réutilisation du combustible usagé.
Alors quelles perspectives se dessinent pour le nucléaire ? A moyen terme, elles sont certes remises en question, mais la recherche continue sur des sujets plus prospectifs qui pourraient révolutionner le monde de l’énergie sur le long terme, notamment via la fusion nucléaire. Il s’agit de la fusion de noyaux d’atomes légers, stables et non radioactifs (les études en cours utilisent deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium) sous conditions de pression et de température extrêmes, libérant des quantités d’énergie beaucoup plus importantes que lors de la fission.
La fission nucléaire, utilisée dans tous les réacteurs nucléaires actuels, est, à l’opposé, la fission d’un atome lourd, instable et radioactif en deux atomes plus léger sous l’impact d’un neutron, provoquant une réaction en chaîne.
Le démonstrateur ITER est aujourd’hui le projet le plus avancé en termes de fusion nucléaire. Sa construction, qui a lieu à Cadarache dans les Bouches-du-Rhône, réunit 35 pays et devrait produire une puissance de fusion encore jamais atteinte : 500 MW, contre 16MW actuellement – les réacteurs nucléaires aujourd’hui en opération en France atteignent des puissances de 900 MW, 1300 MW et 1450 MW[x]. L’objectif de ce projet est de démontrer que la réalisation de réactions de fusion dans un environnement proche de celui d’une future centrale de fusion est possible dans des conditions de sûreté optimales. Le totamak[xi], qui récupère l’énergie issue de la fusion, devrait produire, fin 2025, un premier plasma dans lequel deutérium et tritium pourront fusionner pour former de l’hélium. Selon le CEA, « la fusion pourrait devenir une nouvelle ressource d’énergie illimitée, sans risque majeur, et sans déchets hautement radioactifs à stocker »[xii]. Les isotopes utilisés pour la fusion sont en effet légers et non radioactifs, contrairement aux noyaux très instables utilisés dans les réactions de fission nucléaire. Il serait même envisageable de pouvoir utiliser de l’hélium dans les réactions de fusion, et d’exploiter les ressources très abondantes présentes sur la Lune. Si les perspectives sont très long terme, elles sont cependant extrêmement prometteuses. Les agences spatiales mentionnent l’intérêt de l’extraction d’hélium 3 sur la Lune, et même sur Jupiter, alors que des gouvernements, candidats politiques et entreprises privées ont clairement fait part de leur intérêt pour cette perspective[xiii]. La NASA indiquait même dès 2015 que l’un de ses programmes visait à la construction d’un système d’extraction qui comprendrait notamment l’hélium-3.[xiv]
Avec les difficultés actuellement rencontrées sur les projets EPR en Europe et en France, c’est toute la filière nucléaire qui est remise en question par un nombre croissant d’acteurs, d’autant plus que la loi Energie-Climat va dans le sens de fermeture de centrales dans les 15 prochaines années.
En France, le gouvernement ne devrait prendre aucune nouvelle décision majeure d’ici la mise en service de l’EPR de Flamanville, soit 2023 au plus tôt. Si un débat public doit avoir lieu, il sera cependant nécessaire de s’assurer qu’il est éclairé. Rappelons que dans une enquête de juin 2019 réalisée par BVA pour Orano[xv], 69% des sondés répondaient que le nucléaire contribuait selon eux un peu ou beaucoup à la production de gaz à effet de serre et au réchauffement climatique. Respectivement 11%, 10% et 10% de ces sondés pensaient également que le charbon, le gaz et le pétrole produisaient moins de gaz à effet de serre que le nucléaire.
Si la filière souffre à court et moyen terme, des perspectives prometteuses existent sur le long terme pour un nucléaire en totale rupture avec les technologies actuelles et en construction. Si les recherches entamées réalisent des avancées importantes, c’est une potentielle source d’énergie sûre, illimitée, s’affranchissant des difficultés non résolues du nucléaire actuel (radioactivité, traitement des déchets), qui pourrait naître un jour.
Une analyse de Caroline Le Gall
Retrouvez le premier article du cycle Nucléaire ici : Le Panorama du nucléaire civil français en 2020
[i] EPR : European Pressurized Reactor / Evolutionary Power Reactor
[ii] Generation IV International Forum
[iii] Generation IV International Forum [traduction libre]
[v] Communiqué de presse EDF, septembre 2019
[vi] Communiqué de presse EDF, octobre 2019
[vii] EDF, Concevoir et construire le nucléaire de demain
« Le projet EPR 2 a pour objectif de disposer d’un modèle compétitif dans le marché des nouveaux moyens de production à l’horizon 2030 » - « 3 leviers sont mis en œuvre pour gagner en compétitivité :
[viii] CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives
[ix] Le Monde, aout 2019
[x] EDF, 2018
[xi] ITER : « Le tokamak est une machine expérimentale conçue pour exploiter l'énergie de la fusion. Dans l'enceinte d'un tokamak, l'énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide. Tout comme les centrales électrogènes classiques, une centrale de fusion utilise cette chaleur pour produire de la vapeur, puis, grâce à des turbines et à des alternateurs, de l'électricité. »
[xii] CEA
[xiii] ESA, « Helium-3 mining on the lunar surface »
[xiv] NASA, « Harnessing Power from the Moon »
[xv] Etude BVA pour Orano, juin 2019, « Les français et le nucléaire, connaissances et perceptions »