La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le 7 janvier 2015 la deuxième brique de la réglementation Européenne REMIT est entrée en vigueur. Cette nouvelle réglementation a pour but d’assurer la transparence et l’intégrité des marchés de gros de l’électricité et du gaz à l’échelle de l’Europe. Elle crée aussi une surveillance des marchés.
REMIT[1] s’inscrit dans le mouvement de durcissement des régulations des marchés financiers à la suite de la crise de 2008[2] et s’intéresse aux marchés de gros de l’énergie. Une règlementation européenne est rendue nécessaire par l’influence[3] des marchés de gros de l’énergie, leur interdépendance et la volonté de créer à terme un marché unique pour la plaque Europe.
REMIT s’est construit en plusieurs temps : tout d’abord, en 2011 le règlement REMIT est entré en vigueur apportant avec lui des obligations de transparence pour les acteurs de marché. Puis de 2011 à fin 2014 les différentes instances Européennes ont travaillé à la création des actes d’implémentations de REMIT qui sont entrés en vigueur le 7 janvier dernier.
La première vague de dispositions a notamment débouché sur la création d’une agence européenne de coordination des régulateurs nationaux pour l’énergie (ACER). Cette agence surveille les marchés, avertit les agences de régulation nationales (ARN - en France cette agence est la commission de régulation de l’énergie ou CRE) d’un comportement suspect et les coordonne lors d’enquêtes transfrontalières. Les états membres ont quant à eux l’obligation de donner à leur ARN les pouvoirs d’enquête et de sanction sur les marchés de gros d’énergie.
De leur côté, les acteurs de marché ont l’obligation de publier les données fondamentales[4] les concernant de manière immédiate. Par exemple l’indisponibilité prévue ou fortuite d’une centrale de production ou d’un terminal gazier est une donnée fondamentale[5]. Les énergéticiens ne peuvent pas agir sur les marchés préalablement à la diffusion de ces informations internes. Ils peuvent déclarer ces données sur une plateforme dédiée d’une ARN, d’une place de marché ou sur leur site internet directement[6]. La directive définit et ré-édicte également les interdictions de manipulation de marché et de délit d’initié sur les marchés de gros de l’énergie. De plus une personne agissant sur ces marchés a l’obligation d’avertir son ARN et l’ACER[7] si elle suspecte une manipulation de marché. Enfin pour éviter un phénomène de loup solitaire les entreprises doivent prendre des dispositions pour détecter les manipulations de marché et les délits d’initiés.
Suite à cette première phase qui a eu lieu en 2011, les actes d’implémentation votés en décembre 2014 précisent le deuxième volet de REMIT : le reporting des transactions de gros de gaz et d’électricité.
La première phase du reporting débute à partir du 7 octobre 2015 les transactions standards (produits échangés sur les places de marché organisées) ce qui laisse 9 mois entre le moment de l’entrée en vigueur du texte de loi son application.
Le processus de reporting étant complexe, tous les détails d’une transaction doivent être déclarés, un long travail préparatoire est donc nécessaire. Il passe par la compréhension de la réglementation, l’identification des changements à apporter aux processus internes puis son application, l’adaptation des systèmes d’information et la formation du personnel. A terme les énergéticiens doivent développer de nouvelles compétences en interne, et les gérer d’un point de vue ressources humaines, pour effectuer les actions de contrôle, de gestion des alertes et des erreurs nécessaires par cette obligation de reporting.
Il est possible de se tourner vers un éditeur de logiciel afin de disposer d’une solution clé en main, leurs logiciels de reporting aussi appelés “Registered Reporting Mechanism” (RRM) respectent les spécifications édictées par l’ACER et sont nécessairement approuvés par celle-ci. Cependant 4 mois avant le début des obligations de déclaration, la liste des éditeurs approuvés était toujours vide[8]. Par ailleurs les dernières spécifications techniques, indispensables pour achever le développement des logiciels et les commercialiser, n’ont été communiquées par l’ACER qu’à la fin du mois de février. Ce manque de solutions RRM est autant de préparation et d’anticipation en moins pour les acteurs du marché de gros.
Les deux points d’inquiétude pour les énergéticiens sont l’augmentation des coûts de support engendrée par la réglementation pour des transactions à faible marge et la faisabilité technique du reporting.
Depuis l’entrée en vigueur de REMIT en 2011 ceux-ci redoutent la surcharge de travail que les actes d’implémentation ont apporté. Ainsi RWE, un énergéticien allemand, dans son rapport annuel s’attendait à une augmentation significative des coûts de reporting et de transaction pour les échanges sur les marchés de l’énergie[9]. Les acteurs de marché ont pourtant averti l’ACER lors de consultations publiques[10] préalables à l’adoption des actes d’implémentation pendant l’année 2012. Ils estimaient le temps de mise en conformité entre 12 et 24 mois à condition que les spécifications techniques soient publiées rapidement après le texte de loi. Certains acteurs demandaient également l’exclusion des transactions non-standardisées de gré à gré des déclarations obligatoires, ils avancent le fait que ces transactions sur-mesure sont par nature incompatibles avec une procédure standard de déclaration.
"Les deux points d’inquiétude pour les énergéticiens sont l’augmentation des coûts de support engendrée par la réglementation pour des transactions à faible marge et la faisabilité technique du reporting."
Par ailleurs, la création de nouvelles réglementations augmente les coûts de support pour des énergéticiens face à un marché très concurrentiel et dont le niveau de marge faiblit. Ainsi le CFO[11] de RWE Supply & Trading déclarait qu’en Europe les marchés déprimés de l’énergie n’offrent plus de débouchés intéressants ni sur les prix ni sur les volumes mais que dans le même temps les régulations se font de plus en plus exigeantes[12].
Les acteurs selon leur taille et leur implication dans les marchés financiers n’ont pas tous les mêmes difficultés à s’adapter à REMIT. En effet, les traders importants ou les institutions financières déjà soumis à la réglementation EMIR[13] peuvent bénéficier de synergies entre les adaptations mises en place pour EMIR et celles que REMIT exige. Les plus petits acteurs eux devront faire preuve d’adaptation et de rapidité afin de faire face à ces nouvelles obligations, à plus forte raison que les solutions RRM ne sont pas connues à date.
Ainsi cette réglementation ambitieuse et utile pour construire l’Europe de l’énergie est en pratique basée sur un système de reporting qui peut-être complexe à mettre en œuvre pour certains acteurs. Passé cette difficulté le régulateur aura la lourde tâche d’analyser la montagne de données qui lui parvient tous les jours.
Maximilien d'Andigné et Yves Sourdrille
Sources et Notes :
[1] Regulation on wholesale Energy Markets Integrity and Transparency, Règlement N°1227/2011 et Règlement d'exécution N°1348/2014
[2] Parmi les directives adjacentes on peut citer MAD sur les abus de marché, MiFID, MiFIR et EMIR sur les exigences de capitaux et les produits dérivés.
[3] Les marchés de gros de l’énergie jouent un rôle important pour tous les acteurs du monde de l’énergie. Ils déterminent les revenus que peuvent tirer les producteurs et les importateurs de leurs centrales de production mais également les coûts d’approvisionnement des fournisseurs d’énergie et in-fine la facture des consommateurs.
[4] Les données fondamentales sont les informations sur la capacité et l’utilisation des installations de production, de stockage, de consommation ou de transport d’électricité ou de gaz naturel ou GNL. Les indisponibilités prévues ou fortuites (pour cause de maintenance, grève, panne, conditions climatiques…) font partie des données fondamentales. Cette obligation de déclaration des données fondamentale touche principalement les producteurs d’électricité ou les importateurs de gaz.
[5] De manière plus générale une donnée fondamentale est une information sur la capacité et l’utilisation d’une ou plusieurs installations de production, de stockage, de consommation ou de transport d’électricité, de gaz naturel ou GNL. Toutes les indisponibilités prévues ou fortuites (pour cause de maintenance, grève, panne, conditions climatiques…) sont des données fondamentales. Cette obligation de déclaration des données fondamentale touche principalement les producteurs d’électricité ou les importateurs de gaz.
[6] RTE a mis en place un portail de transparence pour déclarer les données fondamentales des installations en France. On peut y apprendre par exemple que du 3 au 4 mars la centrale thermique EON PROVENCE 5 devait être indisponible pour un rechargement de combustible, finalement elle a pu redémarrer dès le 3 mars en avance sur le programme.
[7] Dans ce but l’ACER a mis en place une plateforme de notification
[9] Nous pouvons lire dans le rapport annuel 2013 de RWE : “Moreover, all transactions have to be entered into a transaction register. It is too early to determine the degree to which we are affected by REMIT and EMIR. We expect a significant increase in reporting and transaction costs in energy trading”
[10] Les consultations publiques de l’ACER
[11] Chief financial officer: directeur financier
[12] “The value of our thermal generation assets is almost erased. We don’t earn the costs of capital on the generation fleet in Germany and also other parts of Europe. Trading opportunities and trading volumes in the European energy and commodity markets are diminishing, so the trading markets are shrinking. At the same time, the regulatory burden is snowballing.” Source : “Treading a new trading path” PWC
[13] EMIR est une régulation européenne visant à réduire les risques des marchés de gré à gré