La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La différenciation sur le marché de la fourniture d'électricité ou de gaz est complexe et nécessite une segmentation marketing fine. Or, les segmentations des principaux fournisseurs de gaz et d'électricité sont aujourd’hui comparables, voire identiques. Quels impacts auront les Smart Grids?
La différenciation sur un marché de commodités tel que la fourniture d'électricité ou de gaz est complexe et nécessite une segmentation marketing fine. Or, les segmentations des principaux fournisseurs de gaz et d'électricité sont aujourd’hui comparables, voire identiques, traduisant la difficulté qu'ont ces groupes à se différencier. Cependant, l'arrivée des compteurs communicants tel que Linky, dont le déploiement officiel a démarré le 1er décembre 2015, couplée à la démocratisation et sophistication des techniques d'analyse de données – connue sous l'appellation de data science – pourrait bien changer la donne. Avec ces futures données, transmises presque en flux continu et en temps réel, les fournisseurs pourront faire évoluer leur segmentation et leur ciblage. La question n'est pas uniquement de savoir quelle offre proposer… mais aussi de savoir à qui la proposer.
Il est d'usage de distinguer deux segmentations : la segmentation stratégique et la segmentation marketing. La segmentation stratégique (ou macro-segmentation) reflète l'organisation des business units[1] d'une entreprise et consiste à identifier trois axes : le besoin auquel la business unit répond, le type de clientèle à laquelle elle s'adresse, et la technologie utilisée pour répondre au besoin.
Dans le cas de l'électricité, le besoin se traduit par les différents métiers de l'entreprise – la chaîne de valeur – tels que la recherche et l'innovation, la production, le trading, le transport, la distribution et les services : contrats de fourniture personnalisés, éco-efficacité, maîtrise de l'énergie, etc. Les grands groupes de clientèles distinguent habituellement trois ensembles : les particuliers, les professionnels et entreprises, et les collectivités territoriales. Enfin, la technologie dépend évidemment du besoin. Dans le cas de la production d’électricité, il s’agit des différents moyens de production : hydroélectrique, éolien, solaire, nucléaire, thermique, etc. Dans le cas de la fourniture, cependant, la notion de technologie est moins évidente : citons la distinction entre les technologies de soutirage et d'injection, respectivement liées à la consommation et la production d'électricité, et les technologies de compteurs (électromécaniques, électroniques ou communicants) qui conditionnent les besoins et les services, que ce soit pour des entreprises ou des clients particuliers.
La segmentation stratégique est relativement stable dans le temps, et d'un énergéticien à l'autre. C'est avec la segmentation marketing (ou micro-segmentation) que la concurrence s'établit. C'est en effet elle qui s'intéresse précisément aux différentes caractéristiques des clients et oriente les actions commerciales des fournisseurs : s'agit-il de conquérir un nouveau segment de consommateurs ? S'agit-il de les fidéliser ou de leur vendre de nouveaux services ?
Si l'on s'intéresse au cas des clients particuliers, les fournisseurs d'électricité utilisent des critères de segmentation géographiques, sociodémographiques ou comportementaux. Un des critères les plus utilisés reste la "valeur vie client" : évaluation double composée des marges actuelle et potentielle sur la consommation ou sur les services complémentaires souscrits tout au long de la vie contractuelle du client. Depuis quelques années, les fournisseurs intègrent également des critères d'attitudes et d'attentes en matière de relation client, d’accessibilité aux services et de flexibilité. Ces critères sont même devenus primordiaux sur le marché des entreprises et des professionnels car ils conditionnent le nombre de ressources humaines affectées à tel ou tel portefeuille de clients.
Pour les clients particuliers, les critères sociodémographiques et comportementaux étaient souvent bien suffisants. C'est d'ailleurs pour cela que les offres principales des fournisseurs étaient globalement banalisées. En effet, les offres se distinguaient essentiellement sur le facteur prix : certains fournisseurs proposant par exemple des décotes de 8 à 10% par rapport aux tarifs réglementés de vente, d'autres envisageant des mécanismes de plages horaires à des prix avantageux. Mais pour se différencier davantage, les fournisseurs ont développé une gamme de services associés aux contrats de fourniture afin d'alléger la facture du client, rassurer ce dernier ou lui simplifier la vie. On pourra par exemple mentionner :
C'est probablement sur ce créneau des services complémentaires que la pression commerciale pourrait s'accentuer dans la mesure où ces derniers sont les seuls leviers qu'ont les fournisseurs pour accroître leur marge, le reste des coûts hors approvisionnement (transports, distribution, taxes, etc.) étant difficilement modulables.
Que ce soit via Linky ou tout autre dispositif communicant de type M-to-M[2], le volume de données clients explose dans le secteur de l'électricité. Si la donnée centrale reste la consommation en temps réel – ou transmise toutes les 10 minutes dans le cas de Linky –, il convient d'y ajouter les données de géolocalisation via mobile ou encore les données disponibles sur les plates-formes open data[3] (ex : données démographiques, territoriales ou météo). Celles-ci permettent non seulement de piloter plus précisément les réseaux de transport ou de distribution, un besoin incontournable pour les acteurs des réseaux, mais permettent aussi de déduire d’autres informations sur le client et ses usages comme le nombre d'occupants dans un logement, le nombre de résidences, sa considération écologique, la vétusté des équipements, l'efficacité énergétique du logement, mais également les abus de consommation ou les tentatives de fraude.
La clé de ce type d'analyse réside dans le croisement et la comparaison des données. Le croisement des données vise, à partir de deux informations de sources différentes, à obtenir ou créer de nouvelles données. Par exemple, en croisant les consommations quotidiennes du client avec ses informations contractuelles, ses éventuelles traces sur les réseaux sociaux ainsi que ses données de navigation web ou mobile dans les espaces clients du fournisseur (dans ce dernier cas, on parle de web analytics ou de web log mining), il est techniquement possible d'en déduire la catégorie socioprofessionnelle, le temps de travail hebdomadaire, certains aspects du style de vie ou encore les avantages recherchés du client. La comparaison des données vise quant à elle à évaluer le degré de ressemblance entre un client et un profil-type (le comportement le plus souvent observé chez des clients ayant un ou plusieurs critères communs) afin d'inférer d'autres critères : par exemple, si deux foyers géographiquement proches ont la même taille et les mêmes équipements, on peut avoir une bonne estimation de la consommation de l'un à partir de l'autre.
Toutes ces données collectées et déduites en flux quasi-continu permettent une meilleure connaissance client. On peut finalement les ranger dans trois catégories :
L'analyse fine des comportements et attributs clients pourraient permettre aux fournisseurs d'identifier et comprendre des petites niches de clientèles, tels que les early-adopters de l'habitat intelligent ou les clients particulièrement sensibles au budget ou à l'environnement, pour lesquels on proposera une relation client spécifique ou une offre adaptée : objets connectés de type smart home, tarifs variables selon de multiples plages horaires en lien avec la consommation réelle, rénovation ad hoc d'équipements défectueux ou énergivores, accompagnement dans les démarches de rénovation, dispositif d'effacement, etc.
Avec l'émergence des smartphones, smart grids et le développement des objets connectés et des Smart Data, la notion même de segmentation, au sens traditionnel du terme, semble déjà révolue. On pratique désormais l'hyper-segmentation ou le marketing one-to-one, c'est-à-dire personnalisé pour chaque individu. Les techniques de scoring permettent ici de cibler précisément les clients ayant la plus forte appétence pour une nouvelle offre ou ceux présentant le plus fort risque de départ vers la concurrence.
Au-delà des sensibles questions sur la confidentialité des données, qui fait aujourd’hui débat et est, à juste titre, au cœur des préoccupations des clients, il convient également de souligner que cette amélioration de la connaissance client n'est pas uniquement bénéfique pour le fournisseur mais également pour le consommateur, dans la mesure où aura enfin lieu une réelle adéquation entre les besoins et les services proposés. Car c'est bien de cela dont il s'agit : la segmentation – et a fortiori le ciblage – a toujours pour but, à différentes échelles, de personnaliser les offres pour répondre à une attente spécifique (ex : simplification des démarches, allégement de la facture, accompagnement, etc.) et améliorer l'expérience client.
Axel Augey
[1] Business Unit : centre de profit, au sein d'une entreprise, en charge d'un domaine d'activité stratégique.
[2] M-to-M : sigle anglais de Machine-to-Machine, appellation technique désignant l'internet des machines, c'est-à-dire les réseaux constitués de machines communicantes.
[3] Open data : données numériques ouvertes (accessibles et utilisables par tous) d'origine publique ou privée
[4] Deep web (ou web profond) : partie de l'internet partiellement ou totalement non indexée par les moteurs de recherche usuels