La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Suite à l’interview de Eric Mevellec, Directeur Général de Dreev, nous vous proposons aujourd’hui un échange avec Quentin Maître, Electric vehicles smart charging strategy & marketing leader pour le Groupe EDF.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours en quelque mots ?
De formation ingénieur économiste dans le secteur de l’énergie, j’ai commencé ma carrière au Département Stratégie d’EDF où sont réalisées des études prospectives de long terme sur le système électrique : prévisions de consommation et analyse des leviers permettant de répondre à cette demande.
Je m’y suis spécialisé sur la prévision du marché du véhicule électrique (VE) et sur son interaction avec le système électrique selon les modes de charge. Nous nous sommes alors rendus compte que la manière de charger le véhicule électrique allait avoir un impact conséquent sur le mix électrique futur : si la recharge des véhicules se superpose à la pointe existante, cela incitera entre autres à l’investissement dans des moyens de productions carbonés comme les centrales gaz. Au contraire, si les véhicules se chargent à un moment opportun au regard des opportunités du système électrique (excédents d’énergie renouvelables par exemple), voir même si l’on est capable de stocker l’électricité, cela facilitera grandement l’intégration des énergies renouvelables et intermittentes dans le système électrique français et européen car nous saurons davantage maitriser leur variabilité.
Dans le cadre d’une étude préparatoire au Plan Mobilité Electrique d’EDF annoncé en octobre 2018, j’ai été chargé de la partie « smart charging » (ou recharge intelligente des VE), ce qui m’a donné l’opportunité de rejoindre la DMEG où je coordonne aujourd’hui les nouvelles filiales d’EDF qui sont parties prenantes sur le sujet de la mobilité électrique (DREEV, IZIVIA principalement)
Quelles sont vos convictions sur la mobilité électrique, sur le smart charging et le V2X (Vehicle-to-everything, qui permet de réinjecter dans le réseau électrique ou dans un bâtiment l’énergie stockée dans la batterie de véhicules électriques) ?
Le Plan Mobilité Electrique d’EDF repose sur trois piliers : (1) être le premier fournisseur en électricité pour véhicule électrique en 2022, (2) offrir une solution de recharge à tous nos clients (entreprises, acteurs publics, particuliers en copropriétés et en maisons individuelles, etc.) et (3) développer des offres de charge intelligente pour que le VE devienne un atout pour le système électrique.
Avec le smart charging, la recharge des VE sera bénéfique pour la collectivité : productions électriques de pointe ménagées, importations d’énergie carbonée évitées. Plus la charge sera optimisée, plus les coûts et l’impact carbone seront minimisés. En outre, le phénomène des prix négatifs (mécanisme de pricing qui du fait d’un déséquilibre momentané offre / demande résulte en une rémunération des consommateurs pour soutirer de l’électricité) que l’on a constaté récemment en Allemagne pourrait s’accentuer dans les années à venir, du fait du déversement massif d’énergie décarbonée abaissant d’autant leur prix, par exemple le weekend ou la nuit lors de la production d’électricité par les éoliennes. Le smart charging contribuera ainsi à développer des débouchés économiques supplémentaires pour les énergies renouvelables et augmentera leur valorisation sur le marché en plaçant de la consommation électrique au moment où ces moyens produisent. Un cercle vertueux se crée alors : plus on branche de VE, plus on peut intégrer des énergies renouvelables qui serviront à abaisser l’empreinte carbone du VE, et donc plus le déploiement du VE devient pertinent etc…
Différents moyens peuvent être mis en place pour exploiter cette flexibilité : offres tarifaires super creuses, pilotage local pour l’autoconsommation, V2X, etc., au final tout le monde est gagnant : le client qui fait des économies et le système électrique qui se décarbone et coûte moins cher.
Concernant plus spécifiquement la technologie V2X, quels sont les prérequis à son déploiement ?
A l’origine, le V2X a émergé au Japon, où cette technologie a été implémentée sur les bornes de recharge suite à l’accident nucléaire de Fukushima en 2011. L’objectif était de faire du vehicle-to-home (V2H) pour maintenir l’équilibre production-consommation lors de la pointe de 19h, dans un contexte de faible capacité de production. Aujourd’hui, les expérimentations à volume significatif concernent des parcs de véhicules japonais qui utilisent le protocole CHAdeMO. Ce protocole de communication permet la mise à disposition par le VE de l’information relative à l’état de charge de la batterie au système de la borne. Cette information est particulièrement importante pour le V2X car elle permet d’optimiser la recharge de la batterie, or les bornes n’avaient pas été conçues pour faire remonter cette donnée à l’origine. L’obtention de cette donnée est le premier prérequis.
Le deuxième prérequis est de disposer d’une borne qui permette la bidirectionnalité du flux électrique en courant continu en sortie de la batterie et en courant alternatif en entrée du réseau électrique. Cette bidirectionnalité peut être implémentée dans la borne de recharge mais la technologie est onéreuse en CHAdeMO : plusieurs milliers d’euros du fait du manque d’économies d’échelle, le marché étant encore focalisé sur un périmètre de niche. C’est cette technologie que nous mettons en place avec DREEV en partenariat avec Nissan. Notre conviction est que la massification du marché du V2X se fera à partir de 2022 avec l’arrivée des nouvelles gammes de VE dotés de la norme ISO 15 118, un protocole de communication véhicule-borne plus intelligent. Cette nouvelle norme, qui sera intégrée au standard de charge européen Combo CCS, pourra permettre la bidirectionnalité. Bien sûr, il faudra toujours que la borne soit compatible avec la technologie V2X, mais la bidirectionnalité viendra directement du véhicule. En effet, intégrer la technologie de bidirectionnalité directement dans le VE, en capitalisant sur le potentiel d’économies d’échelles de l’industrie automobile, rendra la solution beaucoup plus compétitive dans sa globalité pour le client final. C’est ce qu’a commencé à faire Renault avec le modèle ZOE par exemple.
Gestion des données et technologie bidirectionnelle reposent donc sur un troisième prérequis : le déploiement d’un protocole de communication performant. C’est un enjeu stratégique pour le développement du V2X mais aussi pour le déploiement du « plug and charge » et de tous les autres services qui peuvent être imaginés.
Un dernier élément manque à l’appel actuellement pour permettre le déploiement du V2X : un nombre suffisant de VE compatibles.
Aujourd’hui selon vous, comment se structure le marché et quels sont les principaux marchés adressés ?
Pour le moment, notre priorité est d’étendre notre proposition de valeur en nous positionnant sur un marché de niche rentable qui est celui des services systèmes en B2B. L’offre proposée est d’équiper des entreprises en bornes V2X au prix d’une borne normale, et d’aider le réseau, par exemple en l’aidant à se maintenir autour de sa fréquence de consigne, à 50 Hz grâce au levier bidirectionnel d’injection et de soutirage. D’autres acteurs s’implantent progressivement sur ce marché, en particulier les acteurs du stockage stationnaire. La technologie des batteries lithium-ion se prête bien à l’injection réseau car ces batteries disposent d’une bonne réactivité.
Au fur et à mesure de la baisse des coûts de l’évolution des marchés, de la règlementation, nous adressons d’autres services.
Quelle est votre analyse de la maturité du secteur et de l’environnement concurrentiel ?
Aujourd’hui le marché est embryonnaire, et l’écosystème de la mobilité électrique a d’autres enjeux structurants et prioritaires à adresser, tels que l’interopérabilité borne / VE ou la disponibilité des bornes sur le réseau, avant d’avancer sur le V2X. Les principales forces en présence sont les constructeurs automobiles, les agrégateurs dédiés, avec en fer de lance les opérateurs d’infrastructure de charge et les énergéticiens.
Les pays les plus avancés en Europe sur la technologie V2G sont les Pays Bas et le Royaume-Uni, les premiers investissant notamment beaucoup sur la R&D, en lien avec le protocole ISO 15 118 par exemple. Demain, les opérateurs de charge leaders viendront des Pays Bas (NewMotion et EVBox rachetés respectivement par Shell et ENGIE). De son côté, le Royaume-Uni a lancé le premier appel d’offre V2G (vehicle-to-grid) en février 2018, permettant de recenser une vingtaine de projets et, au-delà, de structurer tout un écosystème intersectoriel d’acteurs qui auparavant ne se parlaient pas ou très peu (électriciens et constructeurs automobiles notamment). Les démonstrateurs et les projets industriels ou académiques mis en place permettent à ces acteurs de défricher ensemble des problématiques telles que l’acceptabilité sociale, le cadre réglementaire ou l’obsolescence des batteries.
Notre objectif est de créer une dynamique similaire en France. DREEV est une joint-venture avec le californien NUVVE, le leader mondial et précurseur de la technologie V2X. Cette technologie est d’ailleurs issue de travaux de recherche effectués aux Etats-Unis dans les années 1990, et faisait alors figure de panacée au potentiel révolutionnaire sur la manière de penser la mobilité électrique. C’est à cette époque que Peugeot lançait quelques modèles de VE et qu'EDF lançait SODETREL (désormais renommé IZIVIA) ; mais le marché n’était pas encore assez mature. La recherche s’est alors déplacée sur l’enjeu des batteries des VE. Plusieurs brevets ont été déposés et une start-up, NUVVE, a été créée à la suite de ces travaux pour en porter la vision. La technologie a été éprouvée aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe, et une plateforme a été développée pour permettre d’agréger plusieurs véhicules et de transmettre les données avec une bonne réactivité pour piloter les recharges.
Quid de l’acceptabilité sociale ?
Le premier but du V2G est la satisfaction des besoins des utilisateurs. L’objectif est de rendre le véhicule chargé et opérationnel lorsque l’utilisateur en a besoin.
Aujourd’hui l’accès au V2G devient de plus en plus facile en B2B et son fonctionnement globalement bien compris, la promesse envers les clients pouvant être résumée de la sorte : « plus vous vous branchez, plus vous gagnez de l’argent ». Dans l’application, vous saisissez l’état de charge dont vous avez besoin le matin ou à une autre heure souhaitée et vous pouvez visualiser en temps réel l’état de charge de votre flotte de VE, si celle-ci est en soutirage ou en injection, et dans quelle mesure elle vous rapporte de l’argent. Les retours clients sont très positifs. Aujourd’hui ces clients sont plutôt des entreprises qui sont dans des démarches d’innovation. A titre d’exemple, notre premier client V2G, chez qui nous avons installé trois bornes, souhaite déjà en commander 80 !
Propos recueillis par Grégoire Saison, Yasmina Benbrahim, Venise Plet-Servant avec le support de Sophie Drouglazet-Giraud
Retrouvez l'interview d'Eric Mevellec, directeur général de Dreev.