La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L'hydrogène se présente comme une solution idéale pour remplacer le pétrole dans la mobilité légère. Il possède des arguments convaincants par rapport aux véhicules électriques, mais une étude complète de ses caractéristiques est nécessaire pour trancher sur sa pertinence.
Le secteur du transport représente aujourd’hui 22% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union Européenne et s’impose comme le premier poste sectoriel d’émission en France (30%) [1] et au Royaume-Uni (29,7%) [2]. Dans le même temps, l’hydrogène décarboné s’affirme comme un vecteur énergétique prometteur de la transition énergétique sur les segments où l’électrification fait défaut, du fait de son caractère stockable et transportable. Si la décarbonation de la production d’hydrogène reste une priorité (96% de l’hydrogène étant produit à partir d’énergie fossile [3]), de nombreux pays visent en parallèle son déploiement pour la mobilité. En France et au Canada, ces stratégies sont incluses dans des plans de près d’1 milliard d’euros [4][5] pour structurer la filière et augmenter la production et l’utilisation des carburants bas-carbone, notamment de l’hydrogène. Alors la stratégie hydrogène du Royaume-Uni (RU) se concentre essentiellement sur la mobilité lourde, les Pays-Bas visent le déploiement de 15 000 véhicules hydrogènes légers et 50 stations d’avitaillement d’ici 2025.
Les atouts de l’hydrogène en matière d’autonomie, de poids et de temps de recharge semblent rendre son usage dans la mobilité avantageux, d’autant que son utilisation n’émet aucun polluant en sortie de véhicule (seule de l’eau est rejetée). Ce combustible s’inscrit donc en ligne avec les évolutions réglementaires, telles que la directive européenne RED II qui impose un minimum de 14% de carburants d’origine renouvelable, ou l’engagement par la Commission Européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, qui implique une baisse de 72% des émissions du secteur des transports.
Afin d’étudier la cohérence des objectifs français, en termes de production d’hydrogène et de mobilité légère, Sia Partners a étudié la consommation annuelle d’hydrogène du déploiement de 50 000 véhicules légers en France. Les résultats montrent que cela représenterait 8% des capacités de production d’hydrogène, et moins d’1% des capacités PV et éoliennes.
Les véhicules électriques à batterie (VEB) ont fait leurs preuves en usage urbain pour des véhicules de petites tailles, dans un cadre d’accessibilité à la recharge (en particulier chez soi) et des besoins en autonomie inférieurs à 500 km.
Ainsi, entre la mise à disposition de l’électricité et la mise en mouvement du véhicule (electricity-to-wheel), 30% d’énergie est perdue dans le cas des VEB ; les véhicules à pile à combustible affichent, quant à eux, des pertes 2,5 fois plus importantes, de près de 75%.
Si on observe de près les performances techniques des VEB et des véhicules à hydrogène, plusieurs arguments jouent en faveur des VEB.
Ainsi, entre la mise à disposition de l’électricité et la mise en mouvement du véhicule (electricity-to-wheel), 30% d’énergie est perdue dans le cas des VEB ; les véhicules à pile à combustible affichent, quant à eux, des pertes 2,5 fois plus importantes, de près de 75%.
En matière d'émissions de GES, l'empreinte carbone de la production d'électricité rend les véhicules utilitaires légers (VUL) et les berlines à hydrogène deux fois moins performants que leurs homologues à batterie dans le cas du mix énergétique européen. Par ailleurs, bien que les véhicules à hydrogène émettent plus que leurs équivalents diesel dans un mix européen, leurs performances sont bien meilleures dans un mix 100 % renouvelable. Dans tous ces scénarios, les véhicules électriques génèrent moins d'émissions que les véhicules hydrogène.
Ainsi, la faible efficacité des solutions hydrogène justifie difficilement leur développement en alternative aux VEB sur le segment de la mobilité légère. Mais l’avance des véhicules électriques sur leurs homologues à hydrogène est aussi due à des choix politiques et industriels.
Jusqu’à très récemment, les gouvernements occidentaux ont particulièrement priorisé le développement des véhicules électriques. Ainsi, s’ils laissent une porte ouverte au développement de l’hydrogène, les scénarios de référence des stratégies bas-carbone visent 100 % de véhicules particuliers neufs électriques en 2030 pour le RU et les Pays-bas, 2035 pour le Canada et le Québec, et 2040 pour la France. Cette volonté s’est traduite en plans de développement des infrastructures de recharge, avec des objectifs annoncés en France de 100 000 points de recharges ouverts au public d’ici fin 2021, et d’1,7 millions en 2030 aux Pays-bas. Au RU, ce sont plus de 1,5 milliards d’euros qui ont été investis pour le déploiement des bornes de rechargement.
Ces investissements importants en faveur de la recharge électrique, s’ils n'excluent pas le développement de l'hydrogène en parallèle des véhicules électriques (d’après les objectifs nationaux, 83 000 véhicules légers à hydrogène devraient circuler d'ici 2030 en France, en Belgique et aux Pays-Bas), confirment la priorité donnée par les gouvernements au déploiement du véhicule électrique. La mise en place d’un réseau d’avitaillement hydrogène apparaît en outre plus complexe et coûteuse que la recharge pour VEB, reposant sur le maillage électrique existant. Une station de recharge hydrogène coûte ainsi 1 million d’euros, contre des prix avoisinant 45 000 euros pour une borne de recharge électrique en station [6].
Les constructeurs européens ont de même fait le choix de l’électrique pour les véhicules légers, symbolisé par la Renault Zoé, voiture électrique la plus vendue en Europe, et la Nissan Leaf, produite au RU et troisième VEB le plus vendu d’Europe. Par ailleurs, 17 industriels et 7 États membres se sont réunis autour d’un consortium appelé l’Alliance des batteries, visant à faire émerger toute la filière industrielle des batteries électriques en Europe. Au contraire des véhicules à hydrogène, les VEB bénéficient déjà d’une forte maturité technologique ; matérialisée par la baisse continue du prix des batteries, passé de 1200$/kWh en 2010 à 140$/kWh en 2020 [7]. Sur la même période, le prix des piles à combustibles hydrogène (PAC) n’a quant à lui diminué que de 37% [8].
Les ambitions institutionnelles et industrielles ont donc permis de significatives économies d’échelle de la filière électrique et ainsi son envol en France.
Pourtant, la mobilité légère à l’hydrogène peut s’avérer pertinente dans certains cas d’usages.
La mobilité légère à l’hydrogène peut être pertinente dans le cas des flottes captives. Une flotte captive correspond à un ensemble de véhicules qui dépendent d'une gestion et d’une infrastructure communes (station d’approvisionnement, dépôt). C’est le cas, par exemple, de taxis ou de véhicules utilitaires.
Ce mode de fonctionnement mutualisé permet de compenser le coût des stations de recharge en optimisant leur positionnement selon les besoins d’une flotte identifiée. Il intensifie, en outre, l’utilisation des véhicules, ce qui prévient la corrosion des piles à combustible et permet donc d’augmenter leur durée de vie. Le temps rapide de recharge offert par la solution hydrogène est aussi particulièrement déterminant pour les gestionnaires, qui tentent de minimiser autant que possible le temps d’immobilisation de leur flotte.
La coentreprise Hype par exemple, réunissant Air Liquide, Toyota, Idex et la Société du Taxi Électrique Parisien (STEP), a déployé dans Paris une flotte de 100 taxis à hydrogène ravitaillés par 4 stations et vise une flotte de 10 000 véhicules à l’horizon 2024.
L’utilisation de véhicules utilitaires à hydrogène est également intéressante dans le cadre de tournées d’entreprises avec retour quotidien au dépôt. Elle s’adapte aux livraisons au-delà du « dernier kilomètre », en particulier pour d’importantes charges utiles (de quelques tonnes). Renault se positionne sur ce marché en proposant une version hydrogène de ses véhicules utilitaires : le Renault Kangoo ZE Hydrogen sur le segment léger, puis, dans le cadre d’une joint-venture avec l’américain Plug Power, les Renault Master ZE Hydrogen, prévu fin 2021.
La conversion à l’hydrogène de 50 000 véhicules légers (fourchette haute PPE France [9]) d’ici à 2030 entraînerait les externalités suivantes :
Mobilité légère - France | Consommation annuelle |
---|---|
Consommation d'hydrogène | 31 kt |
Consommation d'électricité | 1700 GWh |
Electrolyseur | 8% Capacité France 2030 (500 MW) |
Capacité PV | 0,61% Capacité France 2020 (2,7 km²) |
Capacité éolienne | 0,64% Capacité France 2020 (74 éoliennes) |
Emissions CO2 évitées | 484 kteq CO2 |
Ainsi, la consommation annuelle d'hydrogène et d'électricité renouvelable liée au déploiement de ces véhicules ne mettront pas sous pression les capacités installées envisagées en 2030. Ces véhicules permettraient par ailleurs d'éviter plus de 480 kt d'émissions de CO2 par rapport à leur équivalent diesel.
L’utilisation d’hydrogène est par ailleurs particulièrement adaptée au sein d’un mix énergétique comportant de fortes parts d’énergies renouvelables intermittentes, afin de valoriser les excédents de production électrique qui seraient autrement perdus car techniquement et économiquement trop complexes à stocker. Ces usages permettraient en outre de créer des capacités de stockage et d’effacement décentralisées supplémentaires, capables d’appuyer l’équilibrage du réseau électrique. Les barrières techniques précédemment identifiées ne suffisent donc pas, à long terme et selon les mix énergétiques des pays [10], à écarter l’usage d’hydrogène pour la mobilité légère. Ce sont davantage des choix d’infrastructures qui verrouillent à l’heure actuelle son usage pour ce type de mobilité.
Du point de vue de l’usager, les véhicules hydrogène restent donc plus chers à l’achat et à la pompe et bénéficient d’un maillage de recharge bien plus faible. Devant cette dynamique prometteuse pour l’électrification des transports légers, l’hydrogène se présente pourtant comme une solution complémentaire aux VEB, notamment pour compenser les appels de puissance liés à l’intégration massive de la production ENR et de la mobilité électrique au réseau public. Il trouve également un fort intérêt sur l’ensemble des segments où l’usage de batteries s’avère plus ardu, notamment du fait du temps de recharge nécessaire et du manque d’autonomie.
[1] Emissions 2018 hors UTCATF, d’après Chiffres clés du climat 2021, SDES.
[3] Chiffre Commission européenne
[4] Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France, Dossier de Presse, Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Septembre 2020
[5] Minister O’Regan Launches Hydrogen Strategy for Canada
[6] https://www.kelwatt.fr/guide/conso/voiture-electrique/borne
[7] Source : Bloomberg
[8] D’après les données du Department of Energy
[9] Fourchette haute Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE). Hypothèse de 80% de berline et 20% de VUL. Hydrogène produit à partir d’ENRs uniquement. Les paramètres suivants ont été utilisés:
[10] Notamment au Japon, où l’important coût des énergies renouvelables justifie un déploiement à large échelle de l’hydrogène, qu’il peut importer d’Australie.